Indépendance: Le converti

2011-01-26-Jordi-Pujol-355x550-150x150Toute comparaison est boiteuse, mais je me risque. Imaginez que Jean Lesage, le premier ministre du « maître chez nous » du début des années 60, ait été élu six fois à la tête du Québec et ait gouverné pendant 23 ans. Un premier ministre nationaliste, mais fédéraliste.

Imaginez maintenant que, huit ans après avoir quitté volontairement le pouvoir, il annonce que, vu l’évolution de la situation du Québec, il estime que l’indépendance est désormais une absolue nécessité. Cela ne créerait-il pas un léger remous dans les chaumières ?

C’est précisément ce qui vient de se passer en Catalogne. Le leader historique de la nation catalane, Jordi Pujol, vient d’affirmer que l’avenir de son peuple passe nécessairement par son indépendance.

La Catalogne et le Québec ont des relations privilégiées et j’ai eu la chance d’assister deux fois à des rencontres avec ce géant politique entre 1995 et 2000. Son épouse ne s’en cachait pas, elle était indépendantiste. Lui, non.

Pourquoi, lui demandions-nous ? Il nous répondait que c’était tout simplement impossible. La moitié des résidents catalans étaient, en fait, des immigrants ou des descendants d’immigrants d’autres régions espagnoles. Donc, calculait-il, même si la totalité des Catalans votaient Oui, ce qui n’était pas acquis, il serait impossible de dégager une majorité.

Les choses ont-elles changées ? J’ai rencontre ce week-end plusieurs journalistes catalans qui m’ont dit: oui. « Maintenant, plusieurs non-Catalans d’origine sont plus indépendantistes que les Catalans ! »

Pas assez, il faut le dire, pour obtenir une majorité dans les sondages. L’idée d’indépendance — avant la déclaration de Pujol de fin janvier — est autour de 30%

Un recul historique

La raison du glissement, de Pujol et de beaucoup de Catalans, est double. D’abord, une partie de l’autonomie dévolue à la Catalogne en 2006 a été invalidée, en juin, par la Cour constitutionnelle espagnole, très centralisatrice.

Pour la Cour, il faut biffer la mention de l’existence de la « nation catalane ». Puis, il faut interdire que la langue Catalane puisse jouir d’un statut prédominant sur le territoire catalan. Un recul historique. Plus d’un million de Catalans — sur un total de sept — sont descendus dans la rue en juillet dernier pour protester.

Vous ne devinerez jamais ce qui se passe ensuite. Pour réparer ce tort, il faudrait amender la constitution ! Or l’opinion publique espagnole est contre, et les deux principaux partis espagnols croient que le fruit n’est pas mûr. (Enfin, ils ne le disent pas comme ça, mais ça revient au même).

Une perte de puissance économique

Ce n’est qu’une des conditions de la montée du sentiment indépendantiste catalan. L’autre tient à l’estime de soi économique de la nation. Car contrairement au Québec, la Catalogne a toujours été la province riche de l’Espagne. Son moteur économique. Les impôts des riches Catalans payaient pour les programmes des pauvres Andalous. Et la Catalogne était devenue riche sans pétrole et sans Pacte de l’auto. Un lieu d’entrepreneuriat par excellence.

Or, depuis la crise, les finances de la Catalogne souffrent. Les indicateurs économiques trahissent un déclin que les citoyens ressentent avec effroi. Une récession de 5% en 2009, le gel des pensions des retraités, une forte montée du chômage, tout cela lié à l’éclatement d’une bulle immobilière à Barcelone, ville la plus chère d’Europe. Or les Catalans voient, encore, une partie de leurs avoirs siphonnés par le gouvernement central.

Perte d’autonomie politique, perte de puissance économique, absence d’espoir de réforme à perte de vue, c’en est trop.

Dans son article intitulé: De la cour constitutionnelle à l’indépendance, via le Québec, Pujol écrit:

La relation entre l’Espagne et la Catalogne pourrait un jour nous forcer à devoir choisir: soit vivre dans l’Espagne que la Cour a dessinée […] et qui jouit du soutien de la majorité des Espagnols, soit l’indépendance.

Pujol explique ensuite comment il en vient à cette conclusion:

Longtemps, la majorité des nationalistes catalans n’ont pas envisagé l’indépendance. Ils ont joué leurs cartes en faveur de l’autonomie avec succès en obtenant un haut niveau de pouvoirs politiques et administratifs, obtenant la garantie de son identité. Et ils ont rejeté les appels de ceux qui voulaient l’indépendance. Ils avaient de bonnes raisons de le faire.

Ils ne les ont plus.

Personne ne peut douter de la viabilité d’une Catalogne indépendante.

Hier, l’opposition à l’indépendance était fondée sur notre volonté de ne pas mettre en péril la cohésion interne de la Catalogne. Mais cet argument a été affaibli par le traitement économique discriminatoire que nous subissons et qui devient de plus en plus évident, avec ses effets sociaux et humains.

Aujourd’hui, il n’y a plus d’arguments politiques, économiques ou même sentimentaux qui nous rattache à l’Espagne.

Une course à obstacles

Et la solution québécoise ? Pujol est clair: la majorité des Catalans préféreraient un statut à la québécoise (le Québec a davantage d’autonomie que la Catalogne) que l’indépendance. Mais, ajoute-t-il,

Il est probable que, pour l’Espagne, un statut à la québécoise soit aussi inacceptable que l’indépendance.

Pujol suivait de très près l’actualité québécoise. Il a écouté la soirée référendaire de 1995 en compagnie de son vieil ami Jean Daniel, le directeur du Nouvel Observateur. Un plan de table nous ayant mis un jour côte-à-côte, Jean Daniel m’a raconté:  « Lorsqu’il a vu le résultat, presque 50%, Pujol a dit: avec un résultat comme celui-là, je ferais un malheur! » Traduction: fort de ce rapport de force, il aurait augmenté l’autonomie catalane en Espagne.

Les nouveaux indépendantistes catalans ne sont pas au bout de leur peine. D’abord, la constitution espagnole indique que le pays est « indivisible ». Ensuite, les régions n’ont jamais développé de système électoral autonome. C’est l’État central qui organise les élections, et les référendums. Pujol mesure mieux que quiconque le degré de difficulté:

L’indépendance est difficile à réaliser. Le seul autre choix, celui imposé par l’Espagne et les institutions espagnoles, n’est pas difficile. C’est le choix d’abdiquer. Et d’accepter la marginalisation et la chute de la Catalogne. C’est le choix de la facilité. Mais cela signifierait notre disparition.

(Merci à l’alertinternaute Michelle B. pour ce signalement.)

IFRA2-300x262Votre blogueur favori, avec Pujol, en 1999. Lisée: « Mais pourquoi pas l’indépendance? » Pujol: « T’es qui toi? »

Ce contenu a été publié dans Catalogne, Europe par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !