Internet: Mes ennemis les pingouins

membre1Je suis un des 28 millions de papas victimes des pingouins.  Vous ne me suivez pas ? C’est que vous n’avez pas dans votre entourage immédiat un garçon ou une fillette de 6 à 12 ans, disposant d’une connexion internet.

Ils sont, oui, 28 millions de gamins, dont plusieurs dizaines de milliers au Québec à se donner rendez-vous sur le Club Pingouin, un jeu vidéo en ligne qui, à première vue, semble trop beau pour être vrai. Non-violent, convivial, éducatif, collaboratif et, l’ai-je dit?, non-violent.

L’organisme américain Consumer Reports, très sévère, affirme d’ailleurs que de tous les jeux en ligne pour enfants, «Club Pingouin et Webkinz créent la meilleure expérience globale», y compris éducative.

Mais voilà le hic. Le jeu, création de trois Canadiens anglais et rachetée par Disney pour la modique somme de 350 millions $US, appâte les enfants avec moult jeux gratuits. Essentiellement, le jeune se crée un pingouin, en prend soin, le loge, l’habille, le nourrit. Ses amis, à l’école, ont également leurs pingouins. Chacun se connecte à l’autre et le jeu devient réseau social. On se donne rendez-vous, on s’échange des messages, on participe à des fêtes, on accompagne ses pingouins dans des jeux. Jusqu’à un certain point:  le point de rentabilité.

Le pingouin de votre fils, voyez-vous, est victime de discrimination systémique. Il ne peut avoir certains accessoires, il ne peut entrer dans certains lieux, il ne peut jouer à certains jeux parce que l’enfant responsable du pingouin… n’a pas payé ! Oui, pas payé son abonnement de 5,95$/mois. D’autres, eux, ont payé. Votre enfant est poche. Son pingouin en souffre.

L’émission La Facture a diffusé ce mardi un intéressant reportage à ce sujet, posant la question de savoir si le jeu, multinational et multilingue, contrevient à la loi québécoise qui interdit la publicité destinée aux enfants.

pingouin

 

 

 

 

 

 

Il n’y a aucun doute: le jeu, très bien fait — ce qui explique son succès phénoménal — est une longue publicité pour… lui-même. (Pour l’instant, aucun placement de produit Disney.) La chose est choquante car elle reproduit précisément ce que la loi québécoise de 1978 a voulu bannir: des publicités ciblées vers les enfants qui, ensuite, se tournent vers les parents pour susciter un achat.

Le jeu doit-il être déclaré illégal au Québec ? Dans sa forme actuelle, certainement (mon fils n’est pas du même avis, mais qu’il lance son propre blogue !). Cela dit, le fait de devoir payer pour un jeu vidéo n’est pas répréhensible en soi. Disney n’est pas la Croix rouge et de nombreux parents ne rechignent pas à l’idée d’acheter des consoles, jeux, DVDs et autres babioles électroniques.

De même, un grand nombre de jeux vidéos offrent une période d’essai, gratuite, suivie de l’obligation d’acheter si on veut continuer à y perdre son temps. Le problème du Club Pingouin est que la période d’essai est permanente,  la période de vente, infinie. Plus on joue, plus on souffre de ne pas pouvoir payer.

Attendez, il y a pire. Vous avez cédé. Moi, j’avais conçu le projet de laisser mon fils acheter son abonnement d’un mois avec son argent de poche. C’est mon principe: il utilise son argent selon ses choix. Mais c’était avant que je lise Like Taking Candy From a Baby: How Young Children Interact with Online Environments, l’étude de l’organisme américain Consumer Reports. Je savais que les gamins pouvaient acheter sur Club Pingouin des Puffles, des animaux de compagnie dont ils s’occupent ensuite.  Les enfants créent un lien affectif avec leurs petits Puffles. Mieux encore, le jeu leur indique si leur Puffle est content, triste, affamé ou s’il veut jouer.

Devenus membres, ils peuvent en acheter davantage, bien les loger, leur procurer des accessoires. Et quand vous arrêtez de payer ? Votre enfant viendra, les larmes aux yeux, vous montrer le message: «Les biens de votre Pingouin vont être entreposés et pourront être retrouvés lorsque vous reprendrez votre abonnement.»

L’étude cite cette mère affolée:

«Oh mon Dieu, aujourd’hui est le dernier jour du mois et j’ai oublié de renouveler l’abonnement. Mon fils va me tuer si je perds tout son matériel» Elle veut dire l’igloo que son fils a construit dans le Club Pingouin, pendant plusieurs heures — sinon jours — de jeu pour construire toutes les pièces et les remplir des trophées qu’il s’est évertué à gagner.

Et il y a les Puffles, qui ne sont heureux que s’ils sont nourris. Qui va les nourrir ? Ils vont mourir dans l’entrepôt !

C’est une vente à crédit, donc. Et une prise d’otages. Rien ne vous appartient si vous ne faites pas tous les paiements. Mais contrairement au paiement de votre Écran plasma, il n’y a pas de paiement final. Si vous voulez que votre pingouin et vos Puffles ne soient pas enfermés dans un entrepôt obscur, il faut payer les sous (la rançon?) pendant toute votre vie. Heureusement que les gamins grandissent et finissent par découvrir l’existence de Beyonce.

La solution: imposer au jeu que l’utilisateur soit avisé au départ qu’il peut y jouer gratuitement pour x heures. Au delà de quoi, si papa ou maman ne sortent pas la carte de crédit, plus de jeu. A cette condition, et à cette condition seulement, je serai prêt à faire la paix avec les pingouins.

*    *    *

Lecture suggérée: Babes in the Woods, de Caitlin Flanagan, dans The Atlantic Monthly. Elle indique que Club Pingouin abaisse l’âge du clavardage, de l’école secondaire à l’école primaire, et montre comment le site n’est pas aussi sûr qu’il le dit car n’importe qui peut se faire passer pour un jeune pingouin qui se lie d’amitié avec un autre.

Ce contenu a été publié dans Société par Jean-François Lisée, et étiqueté avec . Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !