La seule personne qui puisse empêcher François Legault d’être Premier ministre du Québec, au soir de la prochaine élection, s’appelle François Legault.
Je l’affirme aujourd’hui pour deux raisons. D’abord parce qu’avec la fusion CAQ-ADQ annoncée ce mardi, Legault démontre qu’il a la capacité de passer les tests que le contexte politique lui impose. C’était l’étape la plus difficile.
Lancer le groupe de réflexion, choisir ses thèmes, faire le tour du Québec, tout cela offrait un degré de difficulté réel et fut très correctement réalisé. Mais les Caquistes étaient entre eux, pour l’essentiel.
La fusion avec l’ADQ imposait de composer avec l’autre, son histoire, ses objectifs, ses caprices, ses égos. Puisque la Coalition s’appelle Coalition, l’opinion aurait considéré comme un grave échec l’incapacité de s’ouvrir au partenaire le plus naturel.
François Legault devait avaler l’ADQ. Il l’a fait. Le 14 février, il présentera son aile parlementaire coalisée, formée d’ex-adéquistes et d’ex-péquistes. Sa mission de préparation du terrain politique sera ainsi accomplie.
Quel prix pour l’ADQ ?
Qu’en est-il du prix à payer pour s’adjoindre l’ADQ ? En termes politiques, il n’y en a pas.
Sur la santé, Legault accepte un projet pilote d’utilisation du privé. Tous les électeurs qu’il cherche à convaincre (les centristes) disent depuis des lustres être d’accord avec davantage de privé dans la santé. Je ne dis pas que je suis d’accord, je constate que Legault gagnera des voix, plutôt que d’en perdre, en ouvrant cette porte.
Sur l’aide aux familles — le 100$ par mois qui serait accordé aux parents d’enfants qui n’utilise pas les garderies — c’est malheureusement la même chose. En termes de politique publique, cette proposition adéquiste est une catastrophe: la proposition est séduisante chez les familles les plus pauvres, celles qui devraient au contraire être incitées à envoyer leurs bambins en garderies. En termes de politique électorale, l’ADQ sait que cette proposition est la plus populaire, notamment dans le 450. (Un ex-stratège adéquiste m’avait expliqué qu’en 2003, la proposition péquiste de semaine de 4 jours pour les parents d’enfants en bas âge avait beaucoup mordu sur leur électorat.)
Finalement la défection de Claude Garcia, président de la commission politique de l’ADQ, est un cadeau pour la CAQ. D’abord, la notoriété de M. Garcia est infinitésimale. Mais pour la minorité d’électeurs qui savent de qui il s’agit, deux images s’imposent: Garcia fut celui qui, en 1995, affirma que le camp du Non devait « écraser » les souverainistes; depuis il prône la privatisation complète d’Hydro Québec. Autant dire qu’il a, sur l’électorat centriste, le pouvoir d’attraction d’un nid de guêpe.
Il aurait été beaucoup plus difficile pour la CAQ de composer avec Claude Garcia à l’interne. Et si, demain, Garcia devait diriger un groupuscule de droite dure, cela ne ferait que rendre la CAQ plus acceptable, en comparaison.
Legault vs Legault
Je reprends. Seul François Legault peut empêcher François Legault de devenir Premier ministre. Certes, maintenant qu’il est le meneur, tous vont tirer sur lui. Opposition, gouvernement, syndicats et médias. Mais cela est dans l’ordre des choses. Si François Legault fait front avec compétence à ce feu nourri, il n’a rien à craindre. La chute, s’il y en a une, viendra de la faute, des contradictions, des dissensions et, beaucoup, de l’usure.
Pour l’instant, François Legault n’a pas fait un sans faute. Il lui est arrivé de se contredire, de cafouiller. Le lancement de son parti était une contre-performance. Mais, au total, l’opération CAQ est une réussite.
Pas étonnant que Jean Charest soit si nerveux.
* Note : dans une version précédente de ce billet, j’avais identifié Claude Garcia, président de la commission politique de l’ADQ, comme cadre supérieur à la Sun Life, alors qu’il s’agit plutôt de la Standard Life. Merci à Pierre Duhamel d’avoir signalé l’erreur.