« Je m’attendais à ce que ce soit difficile de faire passer notre message dans la population, mais c’est devenu pire avec le temps. » C’est le patron du lobby des patrons, Yves-Thomas Dorval, qui a lancé ce cri du cœur à la fin avril.
Car oh ! comme les temps sont durs pour le patronat et l’État dans le grand marché de la communication. Prenez la grève étudiante. Cette génération de militants nage sur Facebook et Twitter comme s’ils étaient tombés dedans quand ils étaient petits. Pourquoi ? Parce qu’ils sont tombés dedans quand ils étaient petits.
(Vous lisez le texte de ma chronique de l’édition courante de L’actualité. Mes lecteurs les plus fidèles auront reconnu ici une reprise de thèmes d’abord exploités dans le billet Facebook 1; patronat 0).
L’information, les slogans, les arguments, les affiches et les vidéos circulent entre eux, et entre eux et les journalistes, à la vitesse d’Internet. La réplique de l’État et du patronat ? On a l’impression qu’ils sont encore au temps de la diligence. J’exagère ? Oui. Mais voyez ceci : la fameuse blague de Jean Charest sur les étudiants qui devraient travailler dans le Nord fut mise en ligne par RDI, puis relayée en trois coups de cuillère à iPhone à plus de 300 000 personnes.
Horreur ! nous dit Dorval, le président du Conseil du patronat, qui se désole que personne n’ait écouté le reste du discours, dont il atteste qu’il fut « extrêmement intéressant ». Je veux bien le croire et j’ai voulu m’en rendre compte par moi-même. Mais il n’est pas sur le site du premier ministre ni sur celui du PLQ. On n’en trouve même pas la version écrite ! (Ni sur le site du Conseil du patronat, où j’aurais voulu visionner la conférence de presse de Dorval ou en lire la transcription, sans succès.)
Si quelqu’un ne fait pas son boulot dans les médias sociaux, ce ne sont pas les opposants au premier ministre et au patronat.
Il y a un paradoxe dans la stratégie de communication du gouvernement du Québec. Les publicités télé, fort bien faites, nous vantent le Plan Nord, le budget Bachand, la lutte contre le travail au noir, Investissement Québec. Voudriez-vous les voir sur YouTube ? Bonne chance ! Les communicateurs gouvernementaux font-ils exprès de limiter l’accès à leur… propagande ?
On dirait que Québec vient de maîtriser l’outil qu’est la télévision. Mais qu’il n’arrive pas à se brancher aux autres plateformes. Pis encore, le premier ministre et sa ministre de l’Éducation n’ont pas réussi à expliquer correctement leur propre offre faite aux étudiants pendant le conflit. Il a fallu un fiscaliste, Luc Godbout, de l’Université de Sherbrooke, pour révéler (oui, révéler !) sur toutes les antennes que l’offre répondait à l’objectif d’augmenter l’accessibilité aux études supérieures des 60 % de jeunes venant des ménages les moins fortunés du Québec.
Si le gouvernement était entré dans le 21e siècle de la communication en même temps que les étudiants, il aurait inondé Facebook et Twitter de messages courts, clairs et concis. Il aurait mis en ligne une brève vidéo explicative. Il a préféré… acheter des pages de pub dans les grands quotidiens !
On conçoit fort bien qu’en règle générale Jean Charest ne parle pas aux mêmes personnes que Gabriel Nadeau-Dubois, télégénique leader de la CLASSE. L’électorat libéral traditionnel, par définition plus conservateur, était jusqu’à récemment moins enclin à passer des heures devant l’écran. Ce n’est plus vrai. L’extension de l’utilisation d’Internet touche maintenant toutes les classes sociales et d’âge.
Le retard du patronat et de l’État à investir ce nouveau terrain de la communication est d’autant plus surprenant que d’autres, dans les domaines commercial (embauche de mamans blogueuses par des entreprises de lessive) et politique (la campagne d’Obama, notamment), ont compris très tôt qu’il fallait y être ou mourir.
Le conflit étudiant est l’occasion d’illustrer jusqu’au paroxysme le fossé numérique qui sépare la nouvelle génération de l’ancienne — Jean Charest étant le premier baby-boomer à diriger un gouvernement du Québec, on ne le dira jamais assez.
Et pour reprendre le beau néologisme du communicateur Jean-Jacques Stréliski, si la « e-révolution tranquille » est désormais en marche, on connaît déjà le nom des e-révolutionnaires et celui des e-révolutionnés.
Et encore:
Sur le site du premier ministre du Québec, je note une régression de l’accès à l’information. Avant, on pouvait y consulter en ligne tous les discours de nos chefs de gouvernement depuis 1994 jusqu’à aujourd’hui. Maintenant… aucun !