La drogue des lâches

Je ne décolère pas. J’ai d’abord lu les témoignages recueillis par ma collègue Josée Blanchette (« SHOOTER ! — La culture du viol, cul sec ! ») sur l’utilisation du GHB, la drogue du viol, dans les bars. Puis, j’ai entendu d’autres témoignages. Je connaissais le phénomène. C’est l’ampleur qui me sidère. « Je ne connais aucune fille qui ne s’est pas fait violer ou agresser, raconte une des victimes. Même chose pour le GHB. Toutes les filles l’ont vécu ou connaissent quelqu’un de proche à qui c’est arrivé. » Elles avancent un chiffre : « C’est 90 % de filles qui sont touchées. C’est pas un débat ! » Ce serait 5 % que ce serait déjà intolérable.

Mes coups de sonde confirment. C., 30 ans : « Pour avoir moi-même été droguée au GHB plusieurs fois (et parce que toutes mes amies l’ont été aussi), on sait que c’est un problème depuis une décennie. Je suis passée proche de me faire agresser une couple de fois, mais j’ai toujours eu l’avantage de traîner avec des gars, donc je suis un peu moins accessible et mieux protégée. Plusieurs amies se sont fait violer. »

V., 50 ans : « Perso, je connais deux filles qui se sont faites droguer, sans viol ou agression. Une qui s’est ramassée à l’hosto, l’autre qui s’est retrouvée à quelques coins de rue de chez elle, complètement perdue. » G., 25 ans, rapporte ne connaître personne qui s’en dise victime, même si les rumeurs abondent. Impossible, donc, de quantifier correctement le phénomène. Sa seule existence est scandaleuse.

Que faire ? « Je ne pense pas que si tu écris une chronique là-dessus, les gars vont dire : “hey, dans Le Devoir, M. Lisée a dit que c’était pas correct, alors on s’abstient” ! » C’est mon fils de 21 ans qui me parle ainsi. Comme quoi, chez nous, l’irrévérence est héréditaire. Mais il a raison. Il faut frapper extrêmement fort. Utiliser tous les leviers disponibles pour venir au secours de nos jeunes femmes et rendre ce comportement criminel, comment dire ?, imbuvable.

On me rapporte que des vidéos très bien faites sur le consentement sont montrées dans les écoles. Mais face aux racailles, aucune explication logique ne tiendra. Les messages de prévention doivent se rendre à leur niveau : en bas de la ceinture. Je testerais les slogans suivants, qui devraient être affichés là où ils ne peuvent y échapper : au-dessus des urinoirs. « Le GHB, la drogue des lâches ». Je déclinerais : « Le GHB, la drogue préférée des loosers » ; « Le GHB, pour ceux qui n’ont pas de couilles ».

Une seconde série porterait sur les conséquences de son utilisation. Pas les conséquences sur les filles… ils s’en balancent, de toute évidence. Mais sur eux. Gros plan sur un de ces jeunes mecs qui se remet d’une bonne gifle. Écrit en haut : « j’avais enfin une blonde, elle m’a claqué ». En bas : « Ella a su pour le GHB. Les filles se disent tout. »

Il y aurait aussi celle-ci, mettant en vedette un prisonnier bien baraqué et tatoué, à l’air salace, regardant droit devant. En haut, on lirait : « Avec le GHB, tu triches pour cinq minutes de sexe. » En bas : « Ensuite, tu es ma bitch pour cinq ans en dedans ! »

Versant intimidation, il y aurait aussi : « Grâce au GHB, ta photo ici ! », écrit au-dessus des photos d’arrestation — face, profil — d’accusés d’utilisation de la drogue du viol. La case du milieu laisserait place à un miroir.

La sensibilisation dans les écoles secondaires, cégeps et universités pourrait commencer par un visionnement de Promising Young Woman, où la protagoniste piège un à un les soûleurs et empoisonneurs de femmes, pour mieux les châtier. Ça leur donnera une bonne frousse (et des trucs aux filles). Il faut s’adresser aux autres jeunes hommes, les non-lâches, dont la réputation est une victime collatérale de ces comportements criminels, autrement plus graves pour les filles, évidemment. Mais leur colère doit servir de levier pour isoler, ostraciser, neutraliser les violeurs.

M., 24 ans, raconte : « Souvent les hommes crient “pas tous les hommes !” quand on parle de culture du viol. Ils ont raison. Toutefois, le nombre d’hommes dangereux et d’hommes qui ferment les yeux devant les comportements de leurs amis est assez élevé pour que, pour ma propre sécurité, je doive me méfier et agir comme si c’était bel et bien “tous les hommes”. »

Voilà comment les violeurs au GHB (et les autres) pourrissent la vie de toute la jeune faune qui aimerait flirter en paix et ne pas se tenir constamment sur ses gardes dans ces lieux où, par définition, on cherche l’insouciance et le plaisir.

D’ailleurs, ces publicités devraient être sociofinancées par un nouveau groupe, celui des gars insultés qu’on les prenne pour des lâches. Je propose : les Gars en Hostie contre les Barbares (bandits ? bâtards ? baveux ?), les GHB contre le GHB.

Le ministre de la Sécurité publique devrait toutes affaires cessantes prendre ce sujet à bras-le-corps. En faire une question nationale. Pour commencer : obliger les bars à s’équiper de caméras de sécurité dernier cri. Notre génie de l’intelligence artificielle, Yoshua Bengio, devrait produire un algorithme permettant à ces caméras de repérer tout mouvement suspect de versement de substance dans un verre, prendre le cliché et le projeter sur les écrans du bar ! Et puis, ajoute C., « me semble que les bars pourraient être mieux outillés pour nous aider, pis c’est très vrai que le staff est souvent saoul, donc ça rend ça compliqué ».

Mon fil Twitter a-t-il senti ma colère à ce sujet ? Il m’affiche un texte sur une loi au Nigeria. Les violeurs y sont chirurgicalement castrés, et toute personne qui viole un enfant fait face à la peine de mort. Doit-on faire de même ici ? Je ne le propose pas. Je me contenterais de cinq ans de castration chimique pour un premier délit. Je suis parlable pour 25 ans en cas de récidive.

Ce qui nous permettrait de poser cette dernière affiche, au-dessus des urinoirs de bars : « Le GHB ? Si la castration vous intéresse ! »

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)


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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

2 avis sur « La drogue des lâches »

  1. Il y a un angle que vous n’avez pas couvert. Comment se procure-t-on le GHB? Qui produit cette drogue? Ne devrait-on pas être aussi ou même davantage sévère envers les producteurs et les trafiquants de cette drogue? L’achat et la possession devrait être aussi sévèrement contrôlés et punis. Toutefois la répression, si elle peut être dissuasive, ne peut pas une solution à long terme. Plus largement, il faudrait se questionner où et comment ces violeurs font leur éducation sexuelle? Manifestement, il y a eu des lacunes majeures dans leurs familles. De même qu’à l’école, l’absence de cours adéquat sur la sexualité par des spécialistes n’a sûrement pas aidé. Ce qui est prévu comme cours ne me semble guère suffisant. Cette lacune a laissé toute la place aux sites pornographiques qui offrent une image généralement triste et sexiste des relations humaines. Sans jouer au puritain, il faudrait se demander de quelle façon cet accès facile par des jeunes hommes peu ou pas informés à des contenus pornographiques, parfois très dérangeants et dont personne n’ose franchement parler, ne contribue pas à cet culture du viol.

  2. Bonjour M. Lisée,

    Excellent article! On ressent bien votre colère et je la partage. J’ai justement une question concernant le GHB. J’ai déjà posé la question mais je n’ai jamais eu de réponse. Je lance ma bouteille à la mer. Le GHB est incolore, inodore et indétectable. Compte tenu des dégâts humains causés par cette drogue, ne serait-il pas le temps que les compagnies pharmaceutiques qui les fabriquent incorporent un élément qui puisse le rendre détectable? Tous les médicaments que j’ai pris jusqu’à date goûtait le diable au point d’avoir des hauts le coeur. Pourquoi le GHB est-il incolore, inodore et indétectable? ET pourquoi les pharmaceutiques n’y remédient-ils pas?

    J’appuie votre campagne publicitaire!

    Salutations cordiales!

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