À l’approche du 14 juillet, fête nationale des Français, me revient en tête une des répliques les moins remarquables du débat des prétendants républicains à la présidence américaine tenu en juin dernier.
Elle fut prononcée par Michelle Bachman, parlant de la stratégie américaine en Libye:
C’est intéressant. Les propres conseillers d’Obama ont dit qu’il dirigeait, mais depuis l’arrière. Les États-Unis ne dirigent pas depuis l’arrière. En tant que Commandante en chef, je ne dirigerai pas depuis l’arrière.
Nous sommes la tête. Pas la queue. Le Président avait tort.
Tout ce que nous avons à savoir est que le président a laissé la direction des opérations en Libye à la France. C’est tout ce que nous avons à savoir.
La francophobie inhérente à cette déclaration est parfaitement non-remarquable. Aucun autre candidat n’a reproché à Bachmann son mépris pour une nation alliée, membre de l’OTAN. Aucun journaliste ne lui a posé de question à ce sujet par la suite. Dire du mal de la France, au plus haut niveau, est un non-événement aux États-Unis.
Après tout, le ministre de la défense de George W. Bush, Donald Rumsfeld, n’a-t-il pas dit au sujet du refus de Paris de s’engager en Irak: « Aller à la guerre sans la France c’est comme chasser l’orignal sans accordéon ».
L’arrestation de Dominique Strauss-Khan fut simplement une autre occasion de jeter du fiel sur les nombreux torts de l’homo franciscus.
Ayant été correspondant en France et aux États-Unis, j’ai ma théorie sur les sources de la francophobie américaine (et de l’anti-américanisme français). J’avais été très frappé, lors des célébration du 100e anniversaire de la Statue de la Liberté en 1986, que le réseau américain qui retransmettait la cérémonie avait préféré diffuser des commerciaux plutôt que le bref discours du président français Mitterrand. Manque de temps ? Pas pour les Jazzercise Ladies qui se trémoussaient juste après.
Mon avis: les Américains n’ont jamais pardonné aux Français de leur avoir donné la Statue de la Liberté, donc un de leurs principaux symboles. Ils préfèrent l’occulter. Pire: les Américains n’ont jamais pardonné aux Français d’avoir joué un rôle déterminant dans l’indépendance américaine. En effet, comme l’immense majorité de nos voisins ignorent (ou s’empressent d’oublier), sans la flotte française, George Washington serait une note de bas de page dans l’histoire de l’Empire britannique. Les généraux britanniques voulaient d’ailleurs se rendre aux Français, pas à la racaille indépendantiste de Washington.
Évidemment, en retour, les Français ne pardonneront jamais aux Américains d’être venus les sauver pendant les deux grandes guerres. Dans les deux cas, des moments (ou un symbole) nationaux essentiels doivent leur existence à la volonté d’une autre nation, ce qui est une atteinte permanente à l’estime de soi.
Mon collègue blogueur Jean-Benoît Nadeau, co-auteur de La grande aventure de la langue française, a récemment développé une autre théorie, qui tient à la fois de l’histoire politique et linguistique des anglophones. La longue prévalence du français comme langue de l’élite britannique, d’abord, a créé à la fois une attraction (le français est la langue noble) et une répulsion (c’est la langue des oppresseurs). La présence d’un très grand nombre de mots anglais empruntés du français, ensuite, agit comme les trous dans le gruyère. Nadeau explique:
La langue anglaise s’est d’ailleurs construite autour d’une double couche : la couche populaire, composée de mots germaniques, (begin, put up with, bother), et la couche érudite, diplomatique, savante, d’origine française, où l’on dit commence, tolerate, perturb.
La langue anglaise est truffée de milliers de doublets – des quasi-synonymes qui traduisent la même idée, sans avoir le même connoté. Même dans l’assiette : on ne mange ni pig, ni ox, ni calf, ni snail, mais du pork, du beef, du veal et des escargots !
Voici (en English) une illustration de ce que Benoît raconte:
La tension entre le français et l’anglais est donc imbriquée dans la langue même. Les anglos ne peuvent jamais se débarrasser du français, car ils le parlent à moitié, inconsciemment. Nadeau croit que la francophobie et la francophilie des anglo-américains sont les deux faces d’une même pièce: de la présence de lourds fragments de francité dans leur identité même, fragments qu’ils refusent d’assumer. (Remarquez, les francophones sont en train de converger volontairement vers eux, en intériorisait les mots anglophones pour tout ce qu’il y a d’intéressant, d’amusant, de cool, de nouveau.)
Qu’en conclure ? Que les anglo-américains ont fait un choix. La francophobie est politique. La francophilie est hédoniste. On se moque de l’armée française et de ses politiciens. On envie la cuisine, les parfums, la mode. Pour les anglos, les exutoires sont trouvés. Pour les francos, la solution aussi: nommer présidents et généraux les parfumeurs, couturiers et grands chefs !
En prime, pour les lecteurs du blogue, la meilleure blague anti-française que j’aie lue (vous pouvez m’en soumettre d’autres, bien sûr):
(Paris, 1941) De source autorisée, on apprend à l’instant qu’après le bombardement de Londres par l’aviation Nazie, le gouvernement de la République française vient de relever sa cote d’alerte, la faisant passer de « Sauvez-vous! » à « Cachez-vous! ». Les deux seuls niveaux d’alertes supérieurs sont « Rendez-vous! » et « Collaborez! ». Le relèvement de la cote d’alerte a été précipitée par un récent incendie qui a détruit l’usine française de fabrication de drapeaux blancs, ce qui a annihilé la capacité de manœuvre de l’armée nationale.
Puisque je ne puis vous laisser sur cette très mauvaise impression, voici un rare exemple de défense de la France par un humoriste américain, Bill Maher, en pleine controverse du refus de la France d’appuyer les États-Unis en Irak: