J’avoue avoir piqué une colère en 1991 quand la féministe Susan Faludi a publié son Backlash : La guerre froide contre les femmes. Elle y affirmait que la société masculine américaine agissait de mille manières pour faire reculer les droits des femmes chèrement acquis en 30 ans. Arrivant de quatre ans de correspondance aux États-Unis j’avais constaté qu’au contraire, les gains féminins se multipliaient et je trouvais contre-productif de tenter de culpabiliser les hommes qui, tant bien que mal, s’ajustaient à cette nouvelle réalité.
Vingt ans plus tard, j’avoue être sur le point de piquer une colère car les États-Unis de 2012 sont le lieu d’une guerre, véritable cette fois, contre les femmes, leur liberté de choix, le contrôle de leur corps.
Le Texas a ouvert le bal, l’an dernier. Là, une femme voulant obtenir un avortement a l’obligation de se soumettre à une échographie, doit regarder à l’écran l’image du fœtus ou se faire décrire par le médecin la santé et le stade d’évolution de sa présumée victime. Elle doit réfléchir ensuite pendant 24 heures avant de confirmer sa volonté d’avoir un avortement. En tout début de grossesse, lorsque le fœtus est invisible à l’échographie, le médecin doit procéder à une « échographie transvaginale » requérant l’insertion d’un instrument dans le vagin pour obtenir le son du cœur battant.
Il s’agit évidemment d’une volonté de traumatiser la candidate à l’avortement, autrement vue comme une écervelée. La Virginie et huit autres États ont adopté une mesure similaire ces derniers mois et plusieurs – l’Idaho, la Pennsylvanie, l’Alabama , le Mississipi – en débattent. Au total, une vingtaine (sur 50) ont adopté une version de ce principe, faisant intervenir l’État dans la relation entre une femme et un médecin, imposant une procédure médicale et… laissant la facture à la patiente !
Ces lois font partie des 1 500 projets anti-avortement introduits par les Républicains portés par la vague du Tea Party lors de l’élection de mi-mandat, en novembre 2010. Mais plusieurs mesures vont au-delà et ciblent la contraception elle-même.
Les élus, massivement masculins, du Texas et de huit autres États ont éliminé le financement public des cliniques Planned Parenthood parce que certaines des cliniques du réseau offrent l’avortement parmi leurs services. Mieux : même les cliniques acceptant l’argent contre la promesse de ne pas offrir d’avortements sont coupées. L’effet combiné de toutes les restrictions budgétaires retire à 400 000 texanes l’accès à des services de contraception.
On a fait grand cas de ce que l’animateur de radio républicain Rush Limbaugh ait déclaré que les femmes réclamant le remboursement de leurs contraceptifs voulaient « être payées pour avoir des relations sexuelles ».
Mais Rick Santorum, un des deux candidats sérieux pour l’investiture républicaine à la présidence, estime que les 50 États devraient avoir le droit d’interdire la contraception. Il annonce qu’en tant que président, il n’agirait pas en ce sens, mais avertirait la nation contre « les dangers de la contraception ». Car, après tout, dit-il, la contraception est « une permission pour faire dans le domaine sexuel des choses que vous n’êtes pas censés faire… Si ce n’est pas pour la procréation, alors vous dégradez le lien très spécial entre les hommes et les femmes. »
Santorum ne sera probablement pas président. Mais sa grande popularité chez les électeurs républicains témoigne du Backlash anti-féminin qui prend forme chez nos voisins du Sud.
« Je ne peux pas croire que je doive encore manifester contre cette m…. » lisait-on sur la pancarte d’une des femmes dispersées par l’escouade anti-émeute de Virginie lors du débat sur leur loi pro-échographies. En effet, il semble que les mères, les grand-mères et leurs filles et petites-filles devront ressortir leurs slogans et pancartes des années 1960 et 1970.
Espérons que, cette fois, leurs hommes piqueront une juste colère à leurs côtés.
Et encore : En Virginie, une députée a proposé que les candidats à la vasectomie doivent se soumettre à une échographie leur montrant les millions de spermatozoïdes qu’ils vont éliminer. L’amendement, ironique, a été défait. Il n’y avait pas assez de femmes à l’assemblée.