Certains d’entre vous sont trop jeunes, alors je vous raconte. Au siècle dernier, en l’an de grâce 1987, un texte a été proposé au Canada affirmant que le Québec formait, en son sein, une « société distincte ». Pas une nation ou un peuple, mais un truc un peu à part des autres. À peine. Des constitutionnalistes furent mobilisés pour jurer que, si on insérait cette description dans la loi fondamentale du Canada, cela n’aurait aucun effet. Il s’agirait, au fond, d’une décoration.
Des féministes de Toronto ont pourtant jugé qu’il fallait qu’elles viennent à la rescousse des Québécoises. Il leur semblait que, outillée de ces deux mots, la misogyne province allait menacer leurs droits. Il fallait donc à tout prix conjurer cette menace. De même, Pierre Trudeau, le père de Justin, sortit de sa retraite pour dire qu’avec ce changement, le gouvernement du Québec pourrait déporter des anglophones.
Je vous vois sourire. En ces temps lointains, pensez-vous, on ne savait pas encore combien le Québec était un havre de concorde et de tolérance. Mais aujourd’hui… Ben, aujourd’hui, c’est pire. On se méfie de nous au cube.
Voyez les Terre-Neuviens. Ils sont ulcérés qu’au cours des 50 dernières années, nous ayons acheté leur électricité exactement au prix qu’on avait négocié avec eux. François Legault leur a concocté un nouveau contrat, plus vaste encore, qui les rendra multimilliardaires. Ils s’apprêtent à nous dire de mettre ce contrat, et ces milliards, dans un orifice qui ne voit jamais le soleil. Ils ne peuvent vendre cette électricité à personne d’autre. Mais il est probable, juge l’estimé collègue de La Presse Francis Vailles, qui sillonne Terre-Neuve-et-Labrador depuis quelque temps, que le Non l’emporte au référendum qui sera, c’est désormais certain, tenu à ce sujet.
Vous me direz, les Terre-Neuviens sont un cas à part. Que nenni. Jean Charest avait conclu avec le Nouveau-Brunswick une entente par laquelle Hydro-Québec achetait ses vétustes installations électriques pour lui garantir un approvisionnement stable et à moindre coût. Il a dit non. La seule variable vraisemblable en jeu était que — comment dire ? — Hydro-Québec était du Québec. Sous Philippe Couillard, alors que l’Ontario était en manque d’énergie, tous ont été étonnés du refus du gouvernement de Toronto d’acheter davantage de notre électricité.
C’en était au point qu’en 2018, François Legault avait imaginé, pour vendre notre électricité qu’on pensait à l’époque abondante et pour ajouter des barrages, de créer un consortium de plusieurs provinces, un genre de Hydro-Canada, pour déquébéciser notre électricité. Cela ne semble pas avoir fonctionné. En fait, seuls les Américains ne lèvent pas le nez sur notre énergie.

Peut-être nos voisins immédiats — Ontario, Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve — sont-ils des cas particuliers ? Mais alors, pourquoi est-ce pire dans la lointaine Alberta ? Elle nous envoie à vue de nez 2 milliards de dollars en péréquation par année. On lui envoie à vue de nez 6 milliards en subventions pétrolières (notre part du pactole fédéral), en plus de lui acheter pour 7 milliards de son pétrole. Par année. Pourtant, ses habitants sont convaincus que nous vivons à leurs crochets. Leur première ministre, Danielle Smith, proposait récemment de calculer les revenus dont nous nous privons en n’exploitant pas notre gaz naturel (un incompréhensible non-sens, à son avis) et de nous pénaliser d’un montant équivalent.
C’est comme si nous portions malheur. Même lorsqu’on utilise des outils inventés par d’autres, notre présence les rend toxiques. C’est le cas de la disposition de dérogation de la Constitution du Canada. Elle nous fut imposée, comme le reste du texte, il y a plus de 40 ans. C’est le Manitoba qui l’avait proposée. Elle est restée relativement fréquentable jusqu’à ce qu’on l’utilise pour nos lois sur la laïcité et sur le français.
Dans son factum déposé récemment en Cour suprême, le gouvernement canadien a plaidé avoir découvert que cette clause était à ce point dangereuse qu’elle pourrait conduire à éteindre, à jamais, le droit d’expression ou à — cramponnez-vous — rétablir l’esclavage.
Le ministre de la Justice du Canada, Sean Fraser, a déclaré la semaine dernière que cette clause s’inscrivait dans la montée du populisme autoritaire dans le monde, dans la remise en cause de l’État de droit et des libertés, et qu’elle lui a fait penser à — cramponnez-vous davantage — l’invasion de l’Ukraine par Poutine.
J’ai eu vent d’innombrables critiques de la Constitution du Canada au cours des décennies, mais jamais auparavant je n’avais entendu un ministre, libéral de surcroît, accuser ce texte sacré concocté par deux de ses anciens chefs, Pierre Trudeau et Jean Chrétien, puis signé à Ottawa par la reine d’Angleterre, être porteur d’un danger aussi grave pour nos libertés.
Comment expliquer un phénomène aussi bizarre ? Deux hypothèses s’imposent. Soit nous, Québécois, sommes porteurs d’une tare génétique intergénérationnelle dont nous n’avons pas conscience, mais que nos interlocuteurs, plus lucides, ont identifiée. Nous serions donc des rois Midas à l’envers. Le pauvre monarque transformait en or tout ce qu’il touchait, y compris ses êtres chers. Le Québec, lui, infecterait des rapports contractuels ou des articles de loi qui, d’ordinaire, sont anodins mais qui deviennent, lorsqu’on y touche, infects.
La seconde hypothèse ? Une masse critique de nos voisins entretient envers nous un mélange de mépris de bas étage, de sens de supériorité d’étage supérieur, une rancœur qui survit au passage des générations, un ras-le-bol de notre seule présence. Nous détonnons. Nous dérangeons. Une des définitions du racisme, c’est lorsque la critique d’un groupe devient totale. Les antisémites accusent les juifs d’être à la fois les plus grands exploiteurs capitalistes (Rothschild) et les plus grands communistes (Marx). Les Québécois sont accusés d’être les assistés sociaux du pays (Alberta) et les exploiteurs des déshérités (Terre-Neuve).
Pourquoi ne nous expulsent-ils pas de leur pays ? Pour notre bien. Car, laissés à nous-mêmes, nous opprimerions nos femmes, expulserions nos anglos, abolirions les libertés, rétablirions l’esclavage et envahirions l’Ukraine.
Peut-être déciderons-nous un jour de vivre dans un pays qui ne nous méprise pas. Le nôtre.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)


Ce rapport entre francophones et anglophones au sein du Canada c’est un peu comme chat et chien: des mammifères oui…mais c’est tout. Malgré les données concrètes et les preuves par »a+b » il restera toujours de l’émotion. Et plus le ROC( rest of Canada) s’ouvre à l’immigration [comme nous d’ailleurs] moins la masse des autres provinces sera en mesure de saisir le contrat original passé entre deux nations qu’était le Canada de 1867 et moins ils tolèreront que, en théorie du moins, un vote québécois vale 4 votes du ROC. Comme le Canada est de moins en moins supportable autant tirer notre révérence.
À ce sujet, voir les propos d’Andrew Coyne — que j’apprécie malgré ses travers — à 17:40 de ce podcast : https://www.youtube.com/watch?v=IWtpGVGu51A
En ce qui concerne Terre-Neuve, c’est curieux qu’elle signe des contrats avec des compagnies pétrolières qui leur versent des redevances pour leur pétrole. Est-ce qu’il se pose la question s’ils peuvent avoir de meilleur redevances à chaque fois le baril du pétrole augmente.
Comme Hydro-Québec, les compagnies pétrolières ont investi et pris tous les risques pour Terre-Neuve.
Note:
1) Si Hydro-Québec n’avait pas réalisé ce projet, toute l’eau qui a coulé dans les rivières correspondantes à ce projet, n’aurait rapporté aucune redevance à cette province.
2) En retardant leur décision sur les nouveaux projets d’Hydro les concernant, c’est autant d’argent qu’elle se prive et que seul Hydro-Québec peut réaliser. En attendant l’eau de ces nouveaux projets va continuer à couler.