La planche savonneuse de Charest-le-vert

charestécrit1Le positionnement de Jean-Charest-le-vert, lors de son discours écolo d’hier au CORIM, semble sans risque. Semble, on va voir pourquoi.

Côté droite, que peuvent dire ou faire les entreprises qui l’ont conjuré, depuis des mois, de ne pas fixer pour le Québec un objectif de réduction de 20% des gaz à effet de serre d’ici 2020? Ils craignent que leurs voisins américains et canadiens, non soumis à de telles contraintes, viennent leur voler des clients. Que peuvent faire ces patrons ? Aller au PQ ? Il est encore plus vert et voulait 25% de réduction. L’ADQ ? Ne les faites pas rire ils ont les lèvres gercées. Les patrons sont coincés. Côté vert, les écolos modérés ont applaudi à un discours qui reprenait 75% de leurs thèmes et 90% de leurs arguments. Charest a même laissé la porte ouverte à une remontée de la cible à 25%. Il leur était difficile d’avoir l’air fâchés.

Les rapports de Jean Charest avec les fédéraux sont-ils à risque ? Il ira les contredire quotidiennement à Copenhague, cela fera mauvais effet à Ottawa. Le ministre fédéral Prentice propose une réduction ridicule de 3%. Charest sera Monsieur 7 fois plus. Mais ses rapports avec les réformistes qui dirigent le parti conservateur sont déjà au gel fixe. Cela ne peut vraiment aller plus mal. Il n’a rien à perdre de ce côté.

Il y a toujours le problème de ne pas pouvoir livrer la marchandise promise. Une réduction de 20%, c’est énorme… Allo ? C’est pour 2020 ! Dans 11 ans. Pour payer le prix politique d’une promesse brisée, il faudrait que Jean Charest reste encore deux mandats. Croyez-moi, il sera ailleurs.

Non, le risque politique inscrit dans le positionnement écologique du premier ministre est plus fondamental encore. Écoutez bien ce qu’il a dit hier:

Il est dans l’intérêt du Canada, dont la prospérité repose en très grande partie sur l’exportation, de fournir dans ce combat mondial un effort comparable à celui de ses partenaires. Ainsi, des pays du monde envisagent déjà d’imposer des ajustements tarifaires à leur frontière sur les produits en provenance de pays qui ne combattent pas énergiquement les GES.

L’Organisation mondiale du Commerce et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement ont même déjà reconnu que de telles pénalités seraient légitimes et légales.

Donc, un Québec qui a déjà fait un effort considérable depuis 1990 (-7% d’émissions dans le secteur industriel, alors que le PIB est monté de 40%, a martelé le PM) et qui s’engage dans l’effort le plus ambitieux sur le continent (Ontario -15%, Colombie -11%, Oregon -10%, Californie 0%), pourrait voir ses produits TAXÉS par les États-Unis et par l’Europe. Pourquoi ? Parce qu’il fait partie d’un pays, le Canada, qui ne fait que -3%. Voici la phrase que M. Charest avait devant lui mais n’a pas lue:

L’incurie du gouvernement canadien risque de devenir un fardeau pour les manufacturiers et exportateurs québécois et canadiens.

Ne chipotons pas, il l’a dit dans des termes similaires. Bref, sa démonstration est claire: Un Québec vert dans un Canada brun sera pénalisé. Son industrie, son économie, son emploi va souffrir du fait que les exportations québécoises, vertes, auront pour ainsi dire le passeport d’un État voyou, l’État canadien. Le Québec serait même plus touché que les provinces moins vertes, car nous comptons pour le tiers de toutes les exportations canadiennes vers l’Europe. Ce serait un comble que Charest-l’Européen, qui porte à bout de bras le projet de libre-échange Canada-Europe, voit son rêve d’ouverture européenne brisé par une taxe à l’importation dont on pourrait suivre les racines jusque dans la plaine albertaine souillée par les sables bitumineux.

Dans un texte lumineux sur ce sujet, l’économiste devenu député bloquiste Pierre Paquette enfonce le clou encore plus loin:

Une entreprise peut fabriquer au Québec en émettant deux à trois fois moins de CO2 qu’ailleurs dans le monde. Dans un monde où la logique de Kyoto prévaut, c’est un atout inestimable au plan économique. (…) Au fur et à mesure de la diminution des disponibilités en pétrole, qui devrait commencer à se manifester d’ici 15 à 20 ans, le Québec verra s’accroître ses avantages comparatifs, en particulier par la disponibilité sur son territoire d’une énergie propre, fiable et durable. Si on ajoute à cela la réglementation internationale environnementale qui sera nécessairement mise en place, le Québec deviendra une destination de choix pour les entreprises et les investisseurs étrangers. Mais notre appartenance au Canada nous prive de cette possibilité.

Dans ce scénario, la seule façon pour un Québec vert de tirer profit de sa vertu environnementale sera de quitter le Canada. Cette ligne de fracture est aujourd’hui visible sous la surface. S’il faut que, demain, comme Jean Charest le prévoit, la législation américaine et européenne sanctionne le Canada et, par définition, sa province de Québec, l’injustice subie deviendra l’argument le plus moderne et le plus éclatant pour l’indépendance de la province verte.

Le calme avant la tempête écolo-politique. (Photo Bureau du PM, Québec)