La pub antiféministe du 8 mars (intégral)

La semaine dernière, au moment de souligner la Journée internationale des droits des femmes, comment pouvions-nous ne pas songer à la régression qui s’est déroulée sous nos yeux depuis le départ des forces américaines d’Afghanistan en septembre ? On reprochera ce qu’on voudra à l’action des alliés, dont le Canada, mais notre présence aura au moins donné aux Afghanes deux décennies de liberté. Depuis, la chape de plomb islamiste leur interdit de sortir seules, de diriger des entreprises, de marcher la chevelure au vent. Dans la république islamique voisine d’Iran, l’année écoulée fut celle de la bravade. Régulièrement, les réseaux sociaux nous montrent des Iraniennes enlevant leur voile au risque d’être arrêtées par les gardiens de la pudibonderie obscurantiste locale. Sur les réseaux, les mots-clics #ForcedHijab, dénonciateur, et #FreeFromHijab, libérateur, ont pris de l’ampleur, ainsi que celui #LetUsTalk, qui vise aussi les musulmanes d’Occident.

Qu’auraient pensé ces femmes en voyant la publicité officielle diffusée la semaine dernière par le ministère canadien Femmes et Égalité des genres ? On y voit cinq femmes accompagnées du slogan « L’inspiration au féminin », dont une porte le voile islamique. Notez : pas n’importe quel voile. Pas celui, coloré, que portent des militantes et d’où sortent des mèches rebelles qui attestent, justement, d’une touche d’impertinence. Non. Le voile plus strict, avec le bandeau qui fait en sorte que pas un cheveu ne dépasse. Celui que préfèrent les imams rigoristes.

Une des images utilisées pour la campagne du 8 mars 2018

Bref, le ministère canadien spécialisé dans les droits des femmes, le jour où on célèbre les combats féminins planétaires, affirme qu’une femme voilée au cube représente « L’inspiration au féminin ». Invitée par Le Devoir à commenter cette pub, la professeure et militante féministe Nadia El-Mabrouk, d’origine tunisienne, lance avec colère : « À l’heure où les Afghanes se voient retirer tous leurs droits et sont condamnées à circuler sous un voile noir, cette propagande pro-voile est indécente. »

Une Canadienne qui incarne l’inspiration au féminin est Yasmine Mohammed. Forcée de porter le hidjab à 9 ans, puis mariée de force à 20 ans, elle devait désormais porter le niqab. Elle a quitté son mari lorsqu’il a voulu infliger à leur fille une mutilation génitale. Cela s’est déroulé non pas à Bagdad, mais à Vancouver. Elle anime désormais le site Free Hearts, Free Minds, qui vient en aide aux femmes qui tentent de quitter une pratique islamique contrainte, dans le monde et au pays. « Quitter l’islam, écrit-elle, est passible de mort dans 12 pays musulmans. En plus de la répression de l’État, les apostasiées dans le monde musulman risquent l’isolement social, la violence, l’emprisonnement, la torture, le reniement et le meurtre. » Mohammed, a écrit le livre Unveiled. How Western Liberals Empower Radical Islam, qui décrit sa propre expérience, fait la promotion des Féministes oubliées, des femmes d’origines diverses, mais surtout musulmanes, qui se sont libérées du patriarcat religieux et qui témoignent de leur parcours.

Le voile contraint

En mars 2021, un Montréalais a été condamné pour avoir battu ses quatre filles, qui refusaient de porter le voile. Il menaçait de les tuer si elles n’obéissaient pas. Un écho de l’assassinat de trois jeunes Montréalaises (et de leur belle-mère) en 2009 par leurs parents d’origine afghane, les Shafia, mécontents des comportements de leurs filles. Dans le continuum qui va de ces cas extrêmes, certes, mais locaux et contemporains, jusqu’aux femmes parfaitement libres et autonomes qui choisissent de porter fièrement le voile sans la moindre contrainte, il y a tout un espace difficile à jauger.

Le Dr Sherif Emil, directeur du service de chirurgie pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants, a ouvert une petite fenêtre sur cette réalité en décembre. Il fut pris à partie pour avoir protesté dans un journal professionnel contre l’utilisation par celui-ci d’une photo montrant une enfant portant un hidjab. « N’utilisez pas un instrument d’oppression comme symbole de diversité », a-t-il écrit, avant de subir une pluie d’insultes et de menaces.

Contrit, il a ensuite expliqué avoir voulu relayer le vécu d’une collègue médecin qui a été forcée à porter le hidjab dès l’enfance et qui lui a décrit « comment cela a provoqué chez elle une souffrance psychologique qui a duré jusqu’à l’âge adulte ». Depuis le début de cette controverse, le Dr Emil dit avoir reçu un nombre incalculable de témoignages de femmes lui confiant leur histoire. Toutes ces Canadiennes, écrit-il, « ne peuvent s’exprimer publiquement, car elles craignent des représailles personnelles ou professionnelles ». Ce simple fait, ajoute-t-il, « devrait en troubler plusieurs ».

L’image d’une enfant en hijab a d’ailleurs été employée par la Commission canadienne des droits de la personne en 2018. Le droit des enfants de ne pas se faire imposer de tels signes ne semble pas avoir été considéré par la commission dans ce choix, ni les récits de femmes musulmanes affirmant avoir mal vécu cette imposition.

Le choix de l’image est intéressant car, comme me l’indique l’alertinternaute Roger Pelletier, la photo a été prise pendant une manifestation contre la loi sur la laïcité, comme on peut le voir ici.

Puisque cette dynamique du voile contraint existe au Québec et au Canada, que penser de la propension du gouvernement et des entreprises — et le mois dernier, de la Fédération canadienne des municipalités — à choisir l’image de la femme voilée comme symbole par excellence de la diversité ? Ce choix renforce le discours patriarcal musulman en stéréotypant la bonne musulmane en musulmane voilée et en marginalisant la musulmane voulant se libérer de cette consigne religieuse.

La publicité de la Fédération canadienne des municipalités. Contrairement à beaucoup d’autres messages de la Fédération, celui-ci n’apparaît pas sur son fil twitter francophone.

Un choix discriminatoire

Il discrimine aussi les autres fois religieuses. Le tiers des Canadiens qui sont non croyants peuvent se reconnaître parmi les autres personnes représentées, la femme voilée étant rarement seule. Mais les deux tiers des Canadiens (et Canadiennes) affirmant un attachement religieux doivent constater que la seule religion en vitrine n’est ni celle de Jésus, de Yahvé ou du gourou suprême sikh, mais celle d’Allah. Qu’a-t-il fait pour obtenir une telle préséance ?

Les auditeurs croyants de la chaîne d’information continue de la CBC vivent le même problème. À heure de grande écoute, une journaliste voilée leur explique leur quotidien. Ils chercheront en vain un présentateur affichant la religion majoritaire, chrétienne, ou les autres fois. Il y a évidemment un remède à ce problème d’équité : la neutralité. Un concept qui semble en net recul au Canada anglais.

Dans un échange de courriel avec la responsable des médias au ministère canadien des droits des femmes, j’ai voulu savoir si l’opportunité d’utiliser une femme voilée pour le 8 mars l’année de la régression afghane avait pesé sur la décision. On m’a poliment répondu que la politique était de représenter le plus fidèlement possible dans ces pubs la diversité canadienne. Motus, donc, sur l’Afghanistan ou l’Iran. J’ai ensuite voulu savoir sur quelles données se fondait le ministère pour déterminer qu’une femme sur cinq devait être représentée avec un hijab. La réponse a le mérite de la franchise: « data was not used to inform the selection process » (des données n’ont pas utilisé pour alimenter le processus de sélection).

L’alerteinternaute Lise Samson s’était déjà inquiétée de la surreprésentation des femmes voilées, notamment dans cette pub portant sur les vétérans:

Il serait en effet intéressant de savoir combien de femmes strictement voilées font partie des vétérans au Canada ? Une sur quatre ? Ce serait surpenant. Mme Samson a interrogé le bureau de son député fédéral, le ministre Jean-Yves Duclos. La réponse est très éclairante et cite des données: 3,2 % de la population canadienne disent pratiquer l’Islam. On est donc assez loin du 25% représenté dans la publicité, mais le bureau de M. Duclos ne se pose pas la question de savoir quelle est la proportion de femmes musulmanes qui porte le voile, et le voile strict ? Non. La position canadienne est claire: musulmane = musulmane strictement voilée. En fait, c’est la même position que celle des gouvernements d’Afghanistan, d’Iran et d’Arabie Saoudite.

Comment conclure ? J’ai demandé à Yasmine Mohammed sa réaction à la publicité antiféministe canadienne du 8 mars. Voici sa réponse : « Je suis si fatiguée, Jean-François. Pour moi, c’est tellement personnel. Je ne sais pas quoi dire. Cela me brise le cœur. »

(Une version plus courte de ce texte a d’abord été publiée dans Le Devoir.)

Autre exemple de la surreprésentation des femmes en hijab dans les pubs fédérales.
Via Cynthia Roxane Angel.

Lecture complémentaire suggérée: Ce texte très fouillé de deux musulmanes s’élevant contre la montée de l’obligation du hijab (y compris pour prier aux mosquées, ce qui n’était pas le cas auparavant), dans le Washington Post en 2015.

Également le texte plus récent de Charlie Hebdo: #LetUsTalk : le ras-le-bol des femmes sans voile.


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