La santé aux USA ? ¡ No problemo !

Les États-Unis sont le pays de la médecine privée. Bizarre que leurs malades, et certains de leurs symptômes, soient si tentés de traverser les frontières.

Je sais, je sais, personne ne propose de privatiser complètement le système de santé québécois. Il est question de dosage, de s’inspirer de la France ou de la Suède. Les propositions doivent être jugées en toute objectivité, sans dogmatisme. Certes.

Mais il n’y a pas de mal à se faire un peu de bien, en jetant un regard cru sur la dernière trouvaille de notre voisin du Sud : la délocalisation. La plupart des salariés américains paient des primes – en forte augmentation – à des organismes d’assurance maladie privés, les HMO (health maintenance organizations). Mais le coût de la santé privée est maintenant tellement élevé – les États-Uniens déboursant en moyenne 2 719 dollars américains par personne par an – que la recherche de rabais est devenue irrésistible.

En Californie, des HMO de renom, affiliés à la Croix Bleue par exemple, offrent désormais une option parfois appelée « Access Baja ». Non, ça ne signifie pas « Entrez par le bas », mais « Accès au Sud » : au sud de la frontière américaine. Chez les Mexicains, les coûts de santé sont moitié moindres qu’en Californie. Pour tous les soins de routine ou qui ne nécessitent pas une intervention urgente, y compris donc les opérations, des dizaines de milliers de Californiens prennent la route du Sud.

Le mouvement a pris racine chez les Latinos californiens : plus de 120 000 travailleurs immigrés qui n’ont pas les moyens de se payer une couverture américaine se trouvent ainsi, chez le médecin ou le dentiste mexicain, en pays de connaissance. Mais voici que des gens qui ne sont pas latinos ont découvert l’astuce. En un rien de temps, 700 entreprises non agricoles ont opté pour la délocalisation de leur couverture médicale.

Certains spécialistes ont beau lancer des mises en garde et noter que les normes de qualité ne sont pas aussi exigeantes au Mexique que dans les grands hôpitaux de San Diego, la satisfaction des patients et les économies réalisées sont telles qu’on est au début d’un effet boule de neige. Les clients apprécient en particulier le fait que les médecins du Mexique prennent davantage de temps avec chacun. Selon le Los Angeles Times, un médecin mexicain verra 7 patients par jour, son collègue californien 32.

La ville frontalière de Tijuana, en expansion démographique pour d’autres raisons, connaît un boom de la construction hospitalière et attire des médecins formés à Mexico et aux États-Unis. La suite est prévisible et inscrite dans la loi de l’offre et de la demande : tout en restant compétitifs, les prestataires privés de soins de santé mexicains vont relever les prix facturés à leur clientèle américaine, qu’ils privilégieront parce qu’elle est plus rentable, ce qui réduira l’offre de services aux Mexicains. Le système américain, dysfonctionnel, va ainsi propager son dysfonctionnement au sud de la frontière.

L’achat massif de médicaments canadiens par les HMO, les entreprises et même certains États américains avait déjà exporté ce dysfonctionnement par-delà la frontière nord. Le contrôle du coût des médicaments étant plus sévère chez nous que chez eux, les Américains ont tout intérêt à s’approvisionner ici. Sauf lorsque cela provoque des pénuries de certains produits, cette délocalisation de l’approvisionnement est plutôt profitable à nos pharmaciens. Nous sommes cependant des victimes indirectes du refus des Américains de se doter d’un système public d’assurance maladie.

Le géant General Motors, par exemple, est en train de mourir sous nos yeux, ce qui a entraîné la fermeture de son usine de Boisbriand, puis celle d’usines ontariennes pourtant extrêmement performantes. Pourquoi ? Parmi les nombreuses raisons invoquées : le régime privé de couverture des soins de santé de salariés vieillissants de GM aux États-Unis implique des dépenses à long terme qui dépasseraient la valeur totale de l’entreprise. Au Québec et au Canada, c’est l’État qui se charge de cette couverture.

Pour payer les primes des salariés américains, il faut ajouter à chaque véhicule construit par GM une somme de 1 500 dollars américains. En Allemagne, ce surcoût n’est que de 450 dollars américains pour chaque Mercedes ; au Japon, de 150 dollars américains pour chaque Honda. La différence ? L’Allemagne et le Japon ont des systèmes publics d’assurance santé. Pas les États-Unis. Les milliers de chômeurs de l’automobile de Boisbriand et d’Oshawa, qui n’y sont pour rien, en paient le prix.

Ce contenu a été publié dans États-Unis, Santé par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !