La semaine? Charest 2, Legault 6, Bouchard 9.

215736-jean-charest-paru-ebranle-point-150x150On dira ce qu’on voudra, en politique québécoise, on ne s’ennuie pas. Cette semaine, on a eu droit à trois performances importantes.

Mercredi Jean Charest tentait de se refaire une beauté, avec un discours inaugural qui a quand même un mérite, une rareté dans l’action de ce gouvernement: il ne va pas faire chuter encore la popularité du PLQ.

Avec l’anglais en 6e année et le vouvoiement, il pourrait même y avoir un léger gain. Donc: 8 points perdus pour n’avoir confronté aucun des problèmes majeurs actuels du Québec et de ses dirigeants.

Deux points pour n’avoir pas empiré les choses.

22-legault-ls-150x150François Legault a fait sa sortie lundi. Je lui donne 6 sur 10. Six parce qu’il a le cran de se relancer dans la mêlée et qu’il a réussi à surfer sur le goût du changement, en s’accompagnant de quelques fédéralistes.

Il a perdu ses quatre points parce qu’il n’a pas eu le cran d’annoncer des réformes à la hauteur des attentes qu’il avait créées et parce que, non content d’abandonner le combat souverainiste — ce qu’on savait — il abandonne même le combat nationaliste.

110224_o6c93_lucien-bouchard_8-300x168La performance la plus difficile était celle de Lucien Bouchard, ce jeudi devant Anne-Marie Dussault. Lors de ses dernières interventions — sur les accommodements raisonnables, le travail, la famille — il avait réussi à entamer son capital de confiance en jouant le rôle du père Fouettard, déçu des Québécois.

Aujourd’hui à la solde de l’industrie la plus contestée au Québec, l’industrie gazière et pétrolière, on l’attendait, encore, donneur de leçons. Il en a donné, oui. Mais à ses propres clients. Il a admis (presque) tous les reproches qu’Anne-Marie a égrenés devant lui.

Surtout, il a exprimé le principe selon lequel le développement des gaz de schistes ne pourrait se faire que s’il était « subordonné » à l’intérêt public. Et seulement si l’enrichissement profitait largement aux Québécois, y compris avec une prise de participation publique dans la phase d’exploitation. L’exemple norvégien (51% de participation publique) ne l’effraie pas.

Au cœur de la stratégie: la crédibilité du Bape

Il n’a pas répondu à toutes les questions existantes — mais à toutes les questions posées pendant l’heure d’entrevue. Son impatience n’était pas toujours très loin de la surface: « on s’est beaucoup énervé pour 11 puits » a-t-il dit, alors que les Texans sont plus sages avec leurs 14 000 puits. En plus, au Québec, « on a bloqué pas mal tous les projets », encore amer de la perte du CHUM à Outremont et du nouveau Casino. (C’est ici qu’il a perdu un demi-point.)

On a perçu la stratégie: le rapport du Bape, attendu lundi, constituera le socle de crédibilité sur lequel il voudra fonder toute la suite. Habilement, il renvoie au Bape toutes les questions pointues sur la sécurité environnementale. L’avocat-vedette du lobby gazier pense (en fait espère) que le rapport du Bape  sera très contraignant pour l’industrie.

La réussite de l »atterrissage du rapport est donc essentielle. À Anne-Marie Dussault qui rappelait les critiques parfaitement légitimes émises sur l’étroitesse du mandat du Bape et la brièveté du délai imparti pour ses travaux, Lucien Bouchard a levé le ton et interdit qu’on mette en cause la qualité de son travail. (Un autre demi-point en moins.)

On le voit bien, sans un rapport du Bape bien reçu, rien ne va plus.

(Ajout: M. Bouchard a plus complètement expliqué dans La Presse de ce vendredi ce qu’il a esquissé à RDI: contre l’idée de moratoire, il voudra proposer une « période de probation » où un nombre limités de forages supplémentaires seront permis et surveillés pour déterminer la rentabilité de la ressource et la qualité des processus. C’est habile, mais il faut savoir qu’il ne s’agit qu’un d’un habillage de ce que l’industrie souhaitait faire de toutes façons. Cela ne veut pas dire que c’est une mauvaise façon de présenter les choses, et de les contrôler.)

Le Lucien Bouchard des beaux jours

Mais pour l’essentiel, on a retrouvé le Lucien Bouchard des beaux jours. Convaincu, engagé, pédagogue, animé. Sur François Legault, il n’a applaudi que d’une main (comme Joseph Facal, d’ailleurs, à Desautels, lui reprochant un désengagement trop total de la question nationale).

Sur la souveraineté, celui qui fut un temps mon patron fut balancé: refusant de renier le grand combat de sa vie, réitérant son scepticisme sur la possibilité d’une résolution prochaine, rejetant avec force les appels au renoncement.

En prime, il a voulu se dédouaner de sa réputation de broyeur de noir, en expliquant que s’il était parfois « alarmiste » c’est qu’il souhaitait un meilleur avenir pour les jeunes. Puis il nous a révélé un grand secret: « je suis optimiste ».

Anne-Marie lui a finalement fait un cadeau, lui demandant, deux semaines après les funérailles de la mère de ses enfants, si ses deux grands fils étaient ce qu’il avait fait de mieux. « C’est le coeur de ma vie » a-t-il dit avec le début d’une larme à l’oeil, dont la soeur jumelle fut également visible dans le regard de l’intervieweuse.

Inestimable finale.

Alors, lorsqu’on tient compte du degré de difficulté, du facteur éolien et de l’indice humidex, cela vaut, largement, un 9.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !