La tentation conservatrice de Thomas Mulcair

charestmulcairThomas Mulcair, le candidat favori dans la course à la direction du NPD, donc un potentiel futur premier ministre du Canada en octobre 2015, a déjà admis avoir été courtisé par le Parti conservateur de Stephen Harper après son départ du gouvernement Charest, en 2007.

Pourquoi un futur chef du NPD aurait-il même accepté de se faire aborder par des proches de Harper ? La question reste posée, lancinante, dans la campagne à la direction néo-démocrate.

Mais un de ses adversaires dans la course, Brian Topp, a lancé une autre question, il y a quelque temps, accusant Mulcair de s’être associé au virage conservateur que Jean Charest a voulu imprimer aux libéraux québécois lors de son arrivée, en 1998.

La question est bonne et éclaire la plasticité intellectuelle dont Thomas Mulcair est capable. J’ai voulu en avoir le cœur net et j’ai parlé à plusieurs libéraux qui ont vécu ces événements de l’intérieur.

Mulcair dans l’inner circle de Jean Charest

D’abord, la chose est entendue, lorsque Charest a quitté la direction du Parti conservateur canadien pour prendre les commandes du PLQ, il a apporté avec lui le programme de droite qui lui plaisait au plus haut point, notamment inspiré des jeunes conservateurs de l’Ontario qui venaient d’aider à porter Mike Harris au pouvoir. Le nouveau chef libéral arrivait à Québec, entouré de conservateurs, avec comme programme principal de baisser les impôts, de démanteler la SGF et Investissement Québec (qu’il mettrait sept ans à rebâtir) et de réduire la taille de l’État.

Ce virage à droite, qui se soldera par une catastrophique campagne électorale, en 1998, a suscité beaucoup de grogne au PLQ. C’est important, car lorsqu’il claquera la porte du gouvernement Charest, huit ans plus tard, Thomas Mulcair se réclamera de l’aile plus «sociale» du parti, en contraste avec le programme conservateur importé par Charest. Le message est codé mais transparent. Il est le-vrai-libéral-à-la-Claude-Ryan, pas Charest :

«Je milite depuis plus de 25 ans au sein du Parti libéral du Québec. J’ai notamment travaillé auprès de M. Claude Ryan dans de nombreux dossiers délicats, dans les domaines scolaire, professionnel et linguistique. Les valeurs libérales ont toujours inspiré l’ensemble de mes actions politiques.»

De fait, d’autres libéraux de la tendance Ryan étaient en 1998 réticents à laisser le parti à un conservateur. C’est le cas de l’ex-ministre libéral des Finances Raymond Garneau, qui affirmait que les libéraux étaient «aveuglés par les sondages» alors très favorables à Charest. L’enjeu est crucial, expliquait-il, c’est comme si on remplaçait un archevêque catholique par un prélat anglican !

Cependant, bien des témoins de l’époque n’arrivent pas à se souvenir de la moindre expression de résistance du futur néo-démocrate Mulcair par rapport à l’émule de Mike Harris qu’était alors Jean Charest.

Le consultant Luc Ouellet, un conservateur de Québec, résume l’impression générale également relayée par deux autres intimes de Charest de l’époque : «J’étais membre du comité consultatif de la campagne [de 1998], et honnêtement, je n’ai jamais rien entendu du côté de Tom [Mulcair] qui aurait été une objection.»  Il retient que Mulcair avait «une belle influence à l’époque, il était craint et puissant».

Interrogé par Hubert Bauch, de la Gazette, en mars 1998, Thomas Mulcair ne voyait en effet pas le moindre problème :

«Ce qui sépare les deux côtés de la Chambre au Québec n’a rien à voir avec les politiques sociales ou économiques, déclarait-il. La distinction est : voulez-vous ou non que le Québec reste dans le Canada.»

Il faisait donc preuve d’une fluidité idéologique qui a d’ailleurs décuplé son influence à l’arrivée des conservateurs de Charest, raconte un élu libéral de l’époque :

[Le chef précédent] «Daniel Johnson a tenu Tom loin ; il s’en méfiait. Mais Jean [Charest], à la grande surprise de tous, a fait entrer Tom dans l’inner circle. Thomas a réussi à se faufiler là. Jean en avait une confiance aveugle. »

La «réingénierie» de l’État, version Mulcair

Une fois Charest porté au pouvoir, recentré, il est vrai, dans le discours lors de l’élection de 2003 par ses conseillers bourassistes Ronald Poupart et Pierre Bibeau, il entreprend une offensive conservatrice sur trois plans : la «réingénierie» de l’État, une volonté de réduire le nombre de fonctionnaires et la place de l’État en déléguant davantage d’activités au privé par l’intermédiaire de partenariats publics-privés ; une modification du Code du travail, ouvrant plus grande la porte à la sous-traitance ; des baisses d’impôts à l’ontarienne, qui allaient fragiliser durablement les finances publiques du Québec.

À la table du Conseil des ministres, Thomas Mulcair se fait l’ardent défenseur de la «réingénierie». «Il était dans la mouvance de restreindre la place de l’État dans l’économie, confie un ancien ministre. Au Conseil, il critiquait ceux qui n’allaient pas assez loin.»

Son zèle lui a valu les applaudissements de la ministre Monique Jérôme-Forget : «C’est une des personnes les plus méticuleuses au gouvernement pour ce qui est d’analyser comment on fait les choses et comment on devrait les changer», a-t-elle dit du ministre de l’Environnement.

Lors de son départ, en 2006, Thomas Mulcair s’en enorgueillissait, affirmant avoir réduit de 15 % les budgets de son ministère, tout en augmentant de près de 50 % le nombre d’activités d’inspection et de contrôle.

Un bilan que confirme le journaliste en environnement du Devoir, Louis-Gilles Francoeur, qui suivait le ministre pas à pas à l’époque. Il est formel : Mulcair faisait plus avec moins. Plus, notamment en ayant rapatrié dans son ministère les avocats jusqu’alors perdus au ministère de la Justice, et en étant implacable à l’égard des pollueurs. (On y reviendra.) Globalement, dit Francoeur, Mulcair «respectait les fonctionnaires et les fonctionnaires l’aimaient».

On retient donc de cet élément que Mulcair fut un excellent gestionnaire dans son ministère. Un champion de l’efficacité.

Sur les autres mesures phares du Charest première manière, il fut plutôt muet.

Jamais on ne l’a entendu en privé critiquer les baisses d’impôts ou le pouvoir syndical. Au contraire, «il faisait des remarques acerbes envers les syndicats», se souvient un ministre. «Il était en accord avec le programme du parti», confirme un autre, qui ne se souvient pas de l’avoir entendu soulever d’objection lors des débats à la table du Conseil.

C’est indubitable : Thomas Mulcair a été un complice conscient du virage à droite que Jean Charest a fait subir au PLQ de 1998 à 2006.

Cela nous informe sur la malléabilité du personnage. Mais pas sur sa personnalité politique de fond. Celle-là n’est visible que lorsqu’on l’observe en action, dans le domaine dans lequel il peut prendre ses propres décisions, envers et, parfois, contre son chef.

Demain: Un pit-bull pour la cause: la mauvaise, puis pour la bonne  ?