La tyrannie de la minorité

100515vote-quebec_g-150x150Mon estimé collègue André Pratte, éditorialiste en chef de La Presse, nous offre ce lundi dans un édito intitulé La tyrannie de la minorité, un intéressant calcul sur les rapports entre la majorité et la minorité. Le voici:

rappelons-le puisque personne ne semble vouloir en tenir compte, les grévistes ne représentent que 35% des étudiants du niveau post-secondaire.

Dans les universités, moins d’un étudiant sur trois boycotte ses cours. Enfin, le Québec comptant un million de personnes âgées de 16 à 25 ans, les grévistes constituent moins de 20% de la jeunesse québécoise. Pourquoi cette minorité devrait-elle dicter les décisions de l’État?

J’adore. Alors, je reconduis à l’étage supérieur:

rappelons-le puisque personne ne semble vouloir en tenir compte, le gouvernement libéral ne représente que 42% des voix exprimées lors du scrutin de décembre 2008.

Dans la totalité de l’électorat, 58% des gens ont donc voté contre les Libéraux. Enfin, le Québec comptant 5,540,000 électeurs inscrits, et puisque l’abstention a été massive lors de l’élection, l’appui populaire du gouvernement libéral constitue moins de 24% de l’électorat québécois. Pourquoi cette minorité devrait-elle dicter les décisions de l’État?

Évidemment, je badine. Je ne remets nullement en cause la légitimité du gouvernement. Mais je ne remets pas non plus en cause la légitimité des associations. Il est bien, de temps en temps, de chiffrer la chose, comme André et moi le faisons aujourd’hui.

Dubuc vs Dubuc

Mais pour ce qui est d’établir la légitimité, je vous imposerai deux citations de mon autre estimé collègue de La Presse, Alain Dubuc. La première, de ce lundi, d’une chronique intitulée Petit rappel sur la démocratie:

Le Québec est dirigé par un gouvernement élu, à qui les électeurs confient un mandat et à qui ils délèguent des responsabilités. Ce système imparfait peut mener à des erreurs et à des abus.

Nous disposons donc de mécanismes formels pour encadrer l’exercice du pouvoir, comme les institutions parlementaires, les lois et les tribunaux. À cela s’ajoute une foule de mécanismes informels pour amener un gouvernement à ajuster le tir — mouvements d’opinion, sondages, débats publics.  Enfin, le peuple dispose d’une arme ultime à travers ses choix électoraux.

Le débat sur les droits de scolarité a été soumis à ces mécanismes. La hausse a été largement expliquée dans un budget déposé par un gouvernement élu, qui a été adopté par l’Assemblée nationale.

C’est très bien dit. Et si j’étais d’une très grande mauvaise foi, je mettrais en cause ce mécanisme démocratique en citant le même Alain Dubuc qui, le 14 décembre 1999, dans un édito intitulé La démocratie et l’Assemblée nationale, affirmait ceci:

L’Assemblée nationale, tout comme la Chambre des communes, n’est pas un creuset démocratique parfait. Notre système de scrutin majoritaire uninominal à un tour et la discipline de parti font en sorte que le parti qui forme le gouvernement jouit d’un pouvoir excessif.

Au sujet des votes pris à l’Assemblée, il écrivait doctement que cela:

revient, dans les faits, après 35 heures de débat, à permettre au gouvernement d’imposer ses vues. Ce ne sont ni les élus, encore moins le peuple québécois qui s’exprimeront, mais le cabinet du premier ministre.

Notez la date: 1999. L’alors-éditorialiste Dubuc s’échinait contre la légitimité démocratique du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, au sujet d’un projet de loi affirmant le droit du Québec à disposer de lui-même  (transparence totale: j’en étais jusqu’en septembre conseiller, c’est pourquoi je me souviens de l’édito). Aujourd’hui, Alain Dubuc s’échine au contraire à démontrer la légitimité du gouvernement libéral. Coïncidence ?

Démocrate avant tout, je me rallie au Dubuc de 2012. Le gouvernement Charest a la légitimité pour agir. Il le fait avec un rare mélange d’autisme, d’incompétence et, on peut le penser, de calcul électoraliste. Et, en effet, la population aura l’arme ultime, le jour du scrutin.

Ce contenu a été publié dans Gesca, Printemps érable par Jean-François Lisée, et étiqueté avec , . Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !