L’affaire David Frum

DavidFrumDavid Frum a toujours été mon néo-conservateur américain favori. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’il est dénoncé par son propre camp pour cause d’honnêteté intellectuelle. Et viré de son emploi.

Intelligent, informé, pédagogue, il est arrivé à Frum de sombrer dans l’apologie béate de George Bush (dont il fut le scribe) et d’épouser les thèses internationales jusqu’au-boutistes de Richard Perle (ils ont écrit un livre ensemble, An End to Evil), mais il a toujours su, et de façon croissante depuis cinq ans, conserver son indépendance d’esprit et prôner la réforme au mouvement conservateur auquel il s’identifie. De plus, il est Canadien et fils de la grande journaliste (de gauche) feu Barbara Frum.

Le texte qui a fait déborder le volcan anti-Frum: Waterloo. Écrit le jour de l’adoption de la réforme de la santé, contre le voeu de 100 % des élus Républicains, la plume de Frum retournait contre la droite son espoir de faire de la défaite du plan Obama le Waterloo — la grande défaite Napoléonienne — du président.

La chronique vaut d’être lue en entier, mais en voici les premiers paragraphes :

Les conservateurs et les Républicains ont souffert aujourd’hui leur défaite législative la plus dévastatrice depuis les années 1960.

Il est difficile d’exagérer l’ampleur du désastre. Les conservateurs peuvent se féliciter du fait qu’ils compenseront cette défaite par un gain important lors des élections de novembre 2010. Mais :

(1) On peut parier que les conservateurs sont trop optimistes — d’ici novembre, l’économie aura pris du mieux et les premiers cadeaux de la loi sur la santé vont atteindre des blocs essentiels  d’électeurs.

(2) Et après ? Les majorités au Congrès vont et viennent. Cette réforme de la santé est pour toujours.

Le débat étant terminé, Frum s’est senti autorisé à dire tout haut ce que plusieurs Républicains modérés pensaient tout bas : la réforme Obama était semblable à celle adoptée au Massachusetts par l’alors gouverneur Républicain Mitt Romney, elle était « basée sur des idées développées par l’Heritage Foundation [un think tank néo-conservateur] au début des années 1990 ». Elle était apparentée à des propositions faites par les Républicains contre le défunt projet de Clinton de 1994.

Nous avons suivi les voix les plus radicales du parti et du mouvement et elles nous ont conduit à cette défaite abjecte et irréversible. Certains leaders le savaient et auraient voulu négocier. Mais ils étaient piégés. Les porte-parole conservateurs sur Fox et à la radio avaient soulevé l’ire de la base républicaine à un point tel que toute négociation était impossible. Comment négociez vous avec quelqu’un [Obama] dont vos électeurs se sont fait convaincre qu’il voulait assassiner votre grand-mère ?

Quatre jours après la publication de cette chronique — jeudi dernier–, David Frum fut viré de son emploi à l’American Entreprise Institute (AIE), le think tank conservateur qui l’employait depuis sept ans. Selon Frum, son patron lui a expliqué qu’il agissait sous la pression de donateurs mécontents. L’AIE nie.

Un mouvement conservateur aussi intolérant que… la vieille gauche

Mais Frum est depuis la cible de la colère d’une partie du mouvement républicain. (Le fait que sa chronique ait été lue en Chambre par un représentant démocrate n’a pas aidé.) Son épouse Danielle Crittenden a écrit vendredi le témoignage qui suit :

Nous avons tous deux été membres du mouvement conservateur pour plus de la moitié de nos vies. Et je peux affirmer catégoriquement que je n’ai jamais connu d’environnement aussi hostile à l’indépendance d’esprit et au débat — la marque de commerce du Reaganisme dans lequel nous avons grandis — dominer notre mouvement comme c’est le cas aujourd’hui. La démagogie de voyou [thuggish] des Rush Limbaughs [animateur de radio] et Glenn Becks [nouvelle vedette de Fox] est une attitude que nous dénoncions jadis dans la vieille gauche socialiste. Eh bien les amis, regardez dans le miroir. C’est nous, maintenant.

Un problème collatéral

Je suis certain que Frum saura rebondir (il était à Larry King Live plus tôt cette semaine). Mais l’épilogue de cette histoire est savoureuse. Comme l’explique Matt Miller, dans le Washington Post, en plus du salaire, un des grands bénéfices d’un emploi dans un think tank est.. la couverture d’assurance-maladie.

Si vous et votre épouse avez plus de 40 ans et avez connu même de modestes problèmes de santé dans le passé, vous ne serez jamais capable d’obtenir une  couverture d’assurance-santé dans le marché individuel pré-réforme Obama (comme mon épouse et moi avons découvert et décrit dans un article du New York Times Magazine il y a quelques années).

Frum est maintenant dans cette situation délicate — il aura 50 ans en juin.  Mais grâce à la réforme Obama, le problème sera réglé d’ici peu.

Ce contenu a été publié dans Droite, États-Unis par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !