L’âge d’or du documentaire québécois

Je suis formel. Jamais nous n’avons produit autant de documentaires de qualité qu’au cours des trois dernières années. Les meilleurs d’entre eux n’ont strictement rien à envier, en termes d’arc dramatique, d’inventivité de l’emballage graphique, de rythme du montage, de qualité de la bande-son, à ce qui se fait de mieux, en ce moment, ailleurs. Je n’ai évidemment pas tout vu, mais voici ceux qui m’ont captivé en 2022.

Canadiens Nordiques. La rivalité (Vrai). Pour la dernière année, ma palme d’or va à cette série sortie de la tête de Réjean Tremblay et Mathias Brunet. Notez, je ne suis pas un mordu de hockey, que je ne suis que pendant les séries, et encore. Mais en plus d’enfourcher l’énergie inhérente au duel Québec-Montréal, la série ouvre une série de portes, couvre une succession d’épisodes qui nous portent de l’étonnement à l’enthousiasme, de la tristesse à la rage. L’utilisation des archives, la richesse des témoignages sont superbes.

On sort du visionnement évidemment nostalgique de l’époque de cet héroïque affrontement, attaché à ses acteurs, mais convaincu que le commissaire de la Ligue nationale de hockey, Gary Bettman, fut un artisan du départ des Nordiques au Colorado en 1995 et qu’il est personnellement responsable de l’échec du retour de l’équipe, qui aurait dû avoir lieu en 2016. On nous rappelle que les propriétaires des Canadiens ont pesé pour retarder l’entrée des Nordiques dans la LNH avant 1979 et on ne croit pas un instant, malgré les dénégations de Geoff Molson, qu’ils ne bloquent pas encore aujourd’hui son retour.

Présumé innocent. L’affaire Michelle Perron (Noovo). La recherche effectuée par Marie-Claude Savard et Sébastien Trudel pour leur série est d’une qualité telle qu’ils versent au dossier des éléments nouveaux qui, si connus à l’époque, auraient pu empêcher l’acquittement du réalisateur Gilles Perron dans son second procès pour le meurtre de son épouse. L’accès à des enregistrements de conversations privées et à plusieurs acteurs du drame rend la série proprement hitchcockienne.

Janette et filles (Télé-Québec). Léa Clermont-Dion rend justice à l’énorme contribution de Janette Bertrand à l’évolution des moeurs au Québec. Cette femme, dit Guylaine Tremblay, « a déniaisé le Québec ». Même ceux qui croient bien la connaître découvrent l’ampleur et la précocité de son féminisme, y compris l’attention qu’elle portait à accompagner les hommes dans leur perte de pouvoir. Son anticléricalisme, y compris son intervention sur la charte des valeurs, est traité avec un tact admirable, y compris par des féministes comme Martine Delvaux. Un document précieux.

Lovaganza. La grande illusion (Vrai). Un grand peuple produit de grands escrocs. C’est donc notre cas, avec cette ahurissante histoire. Les présumés cinéastes Jean-François Gagnon et Geneviève Cloutier ont fraudé 20 millions auprès de 650 investisseurs, essentiellement québécois, sur la foi d’un projet de cinéma gigantesque qu’ils disaient appuyé par Steven Spielberg et Disney. L’histoire des floueurs et des floués présentée avec talent et aplomb par Aude Leroux-Lévesque et Sébastien Rist est rien de moins que sensationnelle. Les escrocs courent toujours.

Corruption. Les révélations choc de la commission Charbonneau (Crave). En cinq épisodes, cette série de Sébastien Trahan, avec André Noël et Alain Roy au scénario, remet dans un ordre limpide ce qu’on a appris sur le paradis des escrocs qu’était devenu le monde de la construction et de l’ingénierie dans le Québec des années 2000-2010. Le cinquième épisode, consacré au Parti libéral du Québec, ne fait cependant aujourd’hui que figure d’archives, puisque toutes les poursuites ont miraculeusement disparu ou échoué.

D.I.S.C.O. (TVA/Vrai). La série réalisée par Charles Gervais aurait certes profité d’être resserrée et mieux emballée, mais elle révèle l’importance insoupçonnée (par moi, en tout cas) que Montréal et ses chanteurs ont tenue dans ce phénomène mondial, son rôle libérateur pour les femmes, les gais et la cohabitation interraciale, et son côté sombre — drogue, mafias, producteurs prédateurs. À découvrir.

L’Ordre du Temple solaire (Vrai).Les massacres et les suicides collectifs opérés par l’Ordre du Temple solaire à la fin des années 1990 sont racontés avec talent par Jean-François Poisson, qui suit les enquêtes policières et journalistiques et interroge des survivants. Malgré le recul, peu d’éléments nouveaux ressortent, mais le tout donne froid dans le dos.

Sur TV5Unis. J’ai écouté avec bonheur Le mystère Bardot, pour découvrir à quel point, au tournant des années 1960, la « bardofolie » pouvait sévir. Bouddhisme, la loi du silence révèle combien la pédérastie et l’agression sexuelle ne sont pas qu’une affaire de catholiques et que le silence coupable des papes précédents trouve un écho dans celui du dalaï-lama.

J’ai beaucoup appris aussi avec Fantômas démasqué, sur les romans glauques d’origine — qui n’avaient rien à voir avec les films de Louis de Funès — et sur le fait qu’en URSS à l’époque, privés de James Bond pour cause de censure, les films furent célèbres, le nom même de Fantômas devenant subversif. Ailleurs en France, l’année avait commencé par un documentaire choc sur les zones islamiques dans les villes françaises, Islamisme, Enquête sur une menace (BFMTV, aussi disponible sur YouTube), qui a valu moult menaces à sa journaliste Ophélie Meunier.

ET EN ANGLAIS

Ceux qui ont accès à PBS (il existe un passeport PBS payant) doivent voir les trois épisodes de Frontline — The Power of Big Oil, sur l’opération consciente de désinformation déployée pour immobiliser la lutte au réchauffement. On ne sait s’il faut rire ou pleurer devant les témoignages des repentis tardifs de cette colossale et funeste arnaque. La série documentaire simplement intitulée UFO (Crave), produite par le maître de la science-fiction J.J. Abrams, nous plonge dans un trouble profond. Elle raconte d’abord comment le New York Times a finalement mis en lumière la conviction acquise par le Pentagone que ces objets existaient et elle nous présente des témoins à la crédibilité inexpugnable, puis nous fait douter de la véracité de l’ensemble, mais sans toutefois conclure pour nous. En attendant le prochain James Bond, le documentaire The Sound of 007 (Prime) est un délice, tout comme, pour rester en musique, Not Just a Girl (Netflix) sur celle qui a inventé le country-rock-sexy-féministe, Shania Twain. Je triche en ajoutant à cette liste la docufiction Inventing Anna (Netflix), très fidèle au récit ahurissant d’une arnaqueuse de première, et le magnifique Gaslit (Prime), avec Julia Roberts et Sean Penn, sur une figure méconnue du Watergate.

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