Le blues des bilans

Une autopsie politique extrême, celle de la mort de l’Union nationale

Bienheureux est le parti au pouvoir, entièrement tourné vers la tâche qu’il préfère : gouverner. Pour les caquistes, l’autopsie des élections est aisée. Malgré une campagne désastreuse, peuvent-ils se dire, les Québécois nous ont réélus. C’est bien la preuve que nous avions accumulé avant le déclenchement des élections un capital de sympathie suffisant pour que, malgré les pertes encourues pendant la campagne, le résultat soit resté favorable.

Cette opinion est confirmée par le sondage postélectoral mené par Léger pour l’empire Québecor. Appelés à indiquer à quel moment ils avaient fait leur choix, 45 % des Québécois ont avoué que leur idée était faite avant même le coup d’envoi de la campagne, une proportion qui s’élevait à 61 % de l’électorat caquiste.

Je me suis amusé à calculer ce qu’aurait été le résultat si seuls ces décidés précoces avaient voté. Si, donc, il n’y avait pas eu de campagne. La victoire caquiste aurait été plus forte encore (51 % des voix plutôt que 41 %), les conservateurs et les libéraux auraient obtenu le même résultat — leurs campagnes n’ont donc servi à rien —, les solidaires et les péquistes auraient été plus penauds encore. Dans leur cas, la campagne leur a permis de prendre, pour les solidaires, 3,5 points, pour les péquistes, 3,9 points.

Puisque les répondants non prédécidés nous disent ensuite s’ils ont fait leur choix en début de campagne, lorsque les partis dévoilent leur positionnement de départ, après les débats des chefs ou dans les derniers jours de la campagne, les partis peuvent constater rétrospectivement l’efficacité de leurs interventions à chaque étape.

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Solidaires et conservateurs ont fait leurs meilleures récoltes d’indécis en début de campagne (plus de 20 %). Mais les champions de la croissance tardive furent les péquistes. Ils ont trouvé peu de preneurs en début de campagne (9 %, le résultat le plus faible), ont fait le plus beau score après les débats (17 %, devant Éric Duhaime à 12 %), ont chauffé QS dans la dernière semaine (17 % de nouveaux électeurs captés, contre 18 % chez les solidaires), ont mieux fait que les autres pendant la dernière fin de semaine (11 %, contre 10 % pour les libéraux) et ont coiffé tout le monde dans l’isoloir (10 % des électeurs péquistes se sont décidés à cette dernière minute, contre 7 % des libéraux, 6 % des caquistes, 4 % des solidaires et 4 % des conservateurs).

La montée de Paul St-Pierre Plamondon était aussi très claire dans les opinions, bonnes et mauvaises, à l’égard de chacun des chefs mesurées par Angus Reid en fin de campagne. À 43 % de bonnes opinions, il coiffait de peu Legault (42 %) et Nadeau-Dubois–Massé (40 %), mais de beaucoup Duhaime (24 %) et Anglade (22 %). Lorsqu’on fait le solde des bonnes et des mauvaises opinions, le résultat est plus éclatant encore : PSPP était le seul en solde positif (+1), devant les porte-parole solidaires (-9), Legault (-13), Duhaime (-42) et Anglade (-44). Oui, vous avez bien lu. Paul St-Pierre Plamondon est le chef de parti le plus populaire au Québec. Et c’était avant qu’il lance son offensive antimonarchiste, largement plébiscitée dans l’opinion publique.

Des bilans de tous les partis d’opposition, celui du PQ est donc le moins douloureux. Le résultat témoigne simultanément d’un recul électoral historique et d’un réel mouvement de rebond. Bien que défait, le PQ est le parti arrivé deuxième dans le plus grand nombre de circonscriptions (45 au total, loin devant le PCQ, avec 24, et QS, avec 18), et les électeurs ont indiqué que, s’ils se lassaient un jour de la CAQ, c’est vers le PQ qu’ils jetteraient leur dévolu. Ombre au tableau : 45 % des électeurs péquistes sont quand même contents que la CAQ ait gagné les élections !

C’est ce week-end à Drummondville que les conservateurs se retrouveront. Des mécontents comptent y remettre en cause certaines décisions stratégiques. La question centrale est celle-ci : pourquoi les conservateurs ont-ils plafonné ? Au-delà des humeurs entourant les taxes et l’impôt foncier impayés du chef et les fautes d’orthographe sur les pancartes, un débat de fond devrait porter sur la tentative de flirt d’Éric Duhaime avec la communauté anglophone. Cela ne l’a pas servi en 2022. Mais n’y aura-t-il pas en 2026 des non-francophones postlibéraux se cherchant un nouveau refuge ?

Chez les solidaires, on assiste à la réaction prévisible de l’aile radicale du parti : c’est parce que QS s’est trop recentré qu’il n’a pas capté l’ire du peuple contre le capital. Une analyse fine du résultat par l’économiste solidaire Mario Jodoin démontre que ce surplace électoral cache deux mouvements en sens opposés. Le vote solidaire a progressé de 3 % dans les principales villes du Québec, mais a reculé dans les banlieues (-3 %) et a carrément chuté en province (-12 %).

Plusieurs jugeront que ce désamour régional vient des menaces de taxes orange sur les VUS, champions des routes en région. Peut-être. Mais un ami prof de théâtre me souffle une autre hypothèse : l’accent montréalais de Gabriel Nadeau-Dubois est nettement plus audible que celui de ses prédécesseurs (notamment lorsqu’il prononce les mots en « -aires »), ce qui renforcerait, même de façon subliminale, l’aversion des régions pour les donneurs de leçons montréalais.

Aucun exercice postélectoral n’est cependant plus souffrant qu’au PLQ. Dominique Anglade a beau avoir gardé le poste de cheffe de l’opposition officielle, elle ne peut prétendre représenter autre chose que le refus, par une grande partie du vote non francophone, du nationalisme québécois. Lorsque des circonscriptions hier représentées par des chefs du parti — Sherbrooke pour Jean Charest, Roberval pour Philippe Couillard — votent libéral à moins de 6 %, on n’est plus dans l’échec, on est dans le rejet. Sur le territoire, le PLQ est champion des cinquièmes places : il en cumule 65 ! Pire, selon Léger, les trois quarts des électeurs libéraux restants n’estiment pas que Dominique Anglade a mené une bonne campagne. Ce n’est plus une autopsie, c’est une vivisection.

« Il y a un moment, me confie un candidat battu, où le problème n’est plus la face, mais la couleur sur la pancarte. »

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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