Le cauchemar de François Legault

Le Premier ministre a confié que depuis le début de la pandémie, ses nuits sont parfois agitées. Les défis l’assaillent, il cherche des solutions, se réveille et les prend en note. Un scénario cauchemardesque doit le hanter. Celui du jour où il devrait témoigner, lors d’une commission d’enquête, sur les choix qu’il a faits, lui, en février et mars dernier, concernant les CHSLD. À l’impossible nul n’est tenu, c’est certain. Mais est-il vrai que parmi les options qui lui ont été présentées pendant les premières semaines de la crise, il en a écartées qui auraient pu sauver des centaines, sinon des milliers de vies ?

(Une première version de ce texte a été publié dans Le Devoir.)

La question est dure. Mais il la voit venir. Il n’a donc pas été surpris des constats établis froidement dans le rapport d’étape déposé ce jeudi par la Protectrice du citoyen: « un effort colossal a été déployé pour préparer les hôpitaux à la pandémie, ce qui n’a pas eu son équivalent dans les CHSLD. » Donc, un choix a été fait. Pire, écrit-elle, « afin d’accroître la marge de manœuvre des centres hospitaliers, des CHSLD ont été mis à contribution pour accueillir rapidement et massivement des personnes hospitalisées […]. De plus, des personnes potentiellement infectées ont été déplacées en CHSLD sans avoir été testées ou mises en isolement à leur arrivée. » Donc, ce choix a empiré les choses et a contribué à l’hécatombe : 4 000 morts.

La protectrice n’avait pas le mandat de se pencher sur la responsabilité des décideurs, du ministre, de la Santé Publique, de la cellule de crise, du Premier ministre. La Commissaire à la santé, Joanne Castonguay, qui fait son enquête en parallèle, a le mot « gouvernance » dans l’intitulé de son mandat. Mais elle promet de garder secrètes les confidences qu’elle entendra. Le coroner, lui, s’en tiendra aux victimes et aux gestionnaires du réseau.

(Le texte se poursuit après la pub)

Cliquez pour commander. Versions numériques disponibles.

Seule une commission d’enquête au mandat plus large pourrait poser les questions qui choquent. Il y a des éléments de preuve dans le paysage. En septembre, l’émission Enquête de Radio-Canada a convoqué des  témoins et déposé des éléments à charge.

Le comparatif qui dérange

D’abord le Dr Samir Sinha, gériatre de Toronto, qui a introduit le comparatif qui dérange. Face à une même étude scientifique apparue en début de pandémie sur le grave risque de propagation dans les résidences pour aînés, un gouvernement, la Colombie-Britannique, a réagi rapidement pour protéger ce secteur à risque. Le Québec et l’Ontario, non.

D’où la question : le premier ministre du Québec avait-il reçu, personnellement, le signal perçu par son homologue de la Colombie-Britannique ? La santé publique québécoise aurait fait preuve d’incompétence si elle n’avait pas évalué cette étude. Mais en a-t-elle transmis les conclusions jusqu’en haut ?            

Certes, les résidences pour aînés de la Colombie n’avaient pas été fragilisées par la réforme Barrette et par les compressions libérales. Mais il ne fait aucun doute qu’alors que le gouvernement de Colombie-Britannique mettait les bouchées doubles pour protéger ses institutions pour aînés, Québec a traîné avant de réagir. Il mettait sur pied des comités sur d’autres aspects de la pandémie, mais omettait d’en former un sur les aînés.

Aucun enquêteur, aucun procureur, aucune future Sonia Lebel claquant les doigts ne pourra démontrer que François Legault fut absent, désengagé ou de mauvaise foi. Mais on pourrait trouver chez lui un biais qui a eu des conséquences néfastes. La ministre Marguerite Blais, dans son entrevue à Enquête, nous met sur une piste sérieuse :

« J’étais au bout du fil dès 7 h le matin. Je donnais mon point de vue. Peut-être que ce que je disais était pris en considération une semaine ou deux après, mais je le disais. Dans le ministère de la Santé, il y a beaucoup de médecins. Alors on travaillait avec les opinions des médecins qui étaient en place. Notre perception était beaucoup hospitalo-centriste. On a oublié que les CHSLD étaient des milieux de soins au même titre que les hôpitaux. »

Ce biais, on le connaît bien. Une vision hospitalo-centrée ou centrée sur le médecin minimise l’importance des autres lieux de soin et des autres professionnels de la santé. Ce biais crevait les yeux chez les Dr Bolduc, Couillard et Barrette, mais il est visible depuis plusieurs années aussi chez François Legault, ancien ministre de la santé.

Trois enquêtes, mais pas de commission ?

Le décalage entre la préparation des hôpitaux et l’angle-mort des CHSLD ne serait pas si grave si le tir avait été corrigé très rapidement. Il l’a été, avec vigueur, oui, mais avec au moins deux ou trois semaines de retard. Deux ou trois semaines cruciales. Deux ou trois semaines sur lesquelles le premier ministre, l’ex-ministre Danielle McCann, le directeur Horacio Arruda préféreraient, peut-être, ne pas s’appesantir publiquement.

Le premier ministre nous dit qu’il attendra de recevoir tous les rapports, donc la fin de 2021, avant de se prononcer sur l’opportunité de tenir une Commission d’enquête publique.

Il pourrait alors déclarer que trois rapports – protectrice, commissaire et coroner – suffisent. En entrevue ce lundi matin, il semblait déterminé à ne pas aller plus loin. Cependant on a vu que Jean Charest, malgré toute la mauvaise volonté du monde, a dû se soumettre à la pression populaire de lancer une commission sur la corruption dans l’attribution des contrats. M. Legault serait-il plus insensible que M. Charest à la pression qui, c’est certain, va monter pour une enquête ? C’est difficile à croire.  Car l’argument semble imparable : lorsqu’on a 4000 morts dans un réseau, on tient une enquête publique, point à la ligne.

D’autant que François Legault a bien insisté, dans cette crise, sur l’exigence d’imputabilité des décideurs. Or l’imputable en chef, c’est lui.


Cliquez pour vous renseigner ou vous abonner.

2 avis sur « Le cauchemar de François Legault »

  1. Je déplore seulement que l’on renvoie chez eux les cas positifs sans aucune autre médication que le soin d’un rhume ‘normal’: ça passe ou bien on se revois au soin intensifs et là dommage on est surchargé mais on a les soins palliatifs ou encore l’aide médicale à aller au ciel pour toi (voir le site du Québec à ce sujet). Il ne faut surtout pas faire comme à l’IHU Marseille car on aurait eu 7 fois moins de morts avec en contrepartie des intentions de vote à l’égard de notre bon gouvernement si humain et compatissant qui n’auraient pas montées jusqu’à 49%. En écrivant cela déclare que je respecte les directives obligatoires qui me sont imposées et j’assume aussi le fait que de les contester fait de moi un vecteur dans la propagation du covid. Je conteste le refrain : si des gens meurent ce n’est pas parce que l’on les soigne mal, mais c’est parce qu’ils on attrapé la maladie de quelqu’un qui ne vivait pas à l’année longue en ermite autonome dans les bois.

  2. François Legault fait son possible mais sa compétence est douteuse. Sa vraie place était au Parti québecois ou il a fait un bon travail. Premier ministre est une tache lourde. La présence du Dr Aruba est très utile avec son équipe.

Les commentaires sont fermés.