On l’attendait dans le détour. Lloyd Blankfein, président de Goldman Sachs, la banque qui trône au sommet de la vie financière américaine, allait-il s’offrir une prime mirobolante ?
La réponse est tombée vendredi : pour l’année dernière: 9 millions $ US. Seulement 9 millions, ont commenté les commentateurs.
Pourquoi ? En 2006, il avait reçu 53,4 millions et, en 2007, 70 millions. On voit donc que la baisse de salaire est considérable. Sa prime le met dans la moyenne des rémunérations des banquiers cette année.
La décision, longuement murie, de réduire la prime à 9 millions illustre bien la résilience de la déconnexion entre Wall Street et Main Street. Après la crise, après le sauvetage par les fonds publics, après la colère provoquée par le retour des rémunérations princières, difficile de comprendre pourquoi le message ne passe pas.
Yvan Allaire, de HEC Montréal, et Mihaela Firsirotu, de l’UQAM, tentent une explication dans Le monde selon Goldman Sachs, dans une récente livraison du magazine Forces. Extrait:
Comment ces gens peuvent-ils être si insensibles à la fureur populaire ? Parce qu’ils estiment qu’ils sont en fait sous-payés ! Comprenez donc que les amis du PDG de Goldman Sachs, ses compagnons de golf, ses voisins dans les Hampton et les membres de son groupe de référence sont des gestionnaires de fonds spéculatifs (appelés trompeusement « hedge funds »). Sa vie sociale et professionnelle tourne autour de gens comme ces cinq gestionnaires de hedge funds les mieux payés en 2007 :
+ John Paulson (rémunération : 3,7 milliards de dollars) ;
+ George Soros (2,9 milliards) ;
+ James Simons (2,8 milliards) ;
+ Philip Falcone (1,7 milliard) ;
+ Ken Griffin (1,5 milliard).
[…] Hélas, ce phénomène de cupidité, qui se justifie par la cupidité supérieure de l’autre, contamine tout le tissu économique et toute la société. Les dirigeants d’entreprise comparent leur rémunération et, quel qu’en soit le niveau, en sont mécontents s’ils jugent qu’un autre moins méritoire est mieux payé. Comment le PDG d’une société industrielle qui compte des dizaines de milliers d’employés et qui met en marché des produits innovateurs et utiles pour la société peut-il ne pas ressentir un certain malaise, une envie larvée face aux rémunérations très supérieures à la sienne que reçoivent les opérateurs financiers de tout acabit pour leurs spéculations, tractations et manigances ?
C’est ainsi qu’un cercle vicieux d’inflation des rémunérations commença à tourner vers la fin des années 1980 pour aboutir au résultat actuel, scandaleux, et apparemment irréversible.