Le club des démocrates / Réponse à Pierre Trudeau

Note du blogueur:

Je mets ce texte en archive. Il s’agit de la réponse du 10 février 1996 de Lucien Bouchard,  alors Premier ministre, à la lettre ouverte J’accuse, publiée par Pierre Trudeau quelques jours auparavant.

La réponse de M. Bouchard présente une synthèse de la critique qu’on peut faire de Trudeau et de son oeuvre face au Québec. J’en fus le principal auteur.

Un extrait de la lettre de Trudeau:

J’accuse Lucien Bouchard d’avoir trompé la population du Québec durant la campagne référendaire d’octobre dernier. En dénaturant l’histoire politique de sa province et de son pays, en semant la discorde entre les citoyens par son discours démagogique, en prêchant le mépris pour les Canadiens qui ne partagent pas ses opinions, Lucien Bouchard a outrepassé les bornes de l’honnête débat démocratique.

La réponse:

Le club des démocrates

Il n’y aura jamais de lecture unique et définitive de l’histoire des relations entre le Québec et le Canada des 30 dernières années. Le débat entre les acteurs, puis entre les historiens, fera toujours rage. C’est normal.

Il est cependant intéressant de noter qu’un des acteurs principaux de ce drame, l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, considère qu’il n’existe qu’une lecture acceptable de cette histoire controversée: la sienne. Dans la lettre ouverte qu’il m’a adressée, M. Trudeau ne se limite pas à réitérer une énième fois sa version des faits. Du haut de sa certitude, il décrète que la lecture que les souverainistes en font tient, nécessairement, de la démagogie.

Ce qui me place en assez bonne compagnie. En effet, M. Trudeau poursuit depuis des années l’ensemble des premiers ministres québécois de sa vindicte et son «j’accuse» a de forts relents de déjà vu. De plus, sa diatribe est sérieusement déphasée dans le contexte québécois actuel, soulevant de vieilles querelles au moment où les Québécois et leur gouvernement s’entendent sur des priorités tout autres: l’emploi, l’éducation et les finances publiques.

Il serait donc futile de débattre du passé avec M. Trudeau si l’occasion ne permettait pas, aussi, d’éclairer le présent et l’avenir. Dans la mesure où les successeurs de M. Trudeau semblent vouloir s’engager dans des chemins balisés par lui, il m’a semblé opportun de relever quelques-uns de ses thèmes et d’en tirer des leçons utiles.

Le «mépris»

M. Trudeau me reproche de «prêcher le mépris pour les Canadiens qui ne partagent pas (mes) opinions».

Aucune des citations qu’il m’attribue dans son article n’étaye cette accusation. J’estime que les intérêts, légitimes, des deux peuples qui forment le Canada sont contradictoires et ne peuvent être réconciliés au sein du cadre fédéral, comme l’atteste amplement l’histoire récente du pays. La volonté du mouvement souverainiste d’établir un partenariat entre nos deux peuples devenus souverains démontre, d’ailleurs, notre intérêt pour une politique de bon voisinage et de respect mutuel.

Dans le débat démocratique, il y a un pas entre le choc des idées et le mépris de l’autre; un pas que M. Trudeau franchit malheureusement assez allègrement dans ses écrits, notamment envers ceux qu’il appelle les Canadiens français et qui ne partagent pas ses opinions.

Ainsi, il reprenait sans gêne, comme introduction à un texte publié il y a quatre ans, une phrase de son tout premier article de Cité Libre de 1950, où il affirmait: «Nous sommes en voie de devenir un dégueulasse peuple de maîtres-chanteurs.» Actualisant ce verdict, il ajoutait en 1992: «Les choses ont bien changé depuis ce temps, mais pour le pire.»

Il est assez rare qu’un homme politique exprime, à répétition et avec l’expérience de toute une vie, un tel dédain pour l’ensemble de ses concitoyens

Dans son texte de samedi dernier, il accuse Jean Lesage, René Lévesque et Robert Bourassa de tous les maux. Il est particulièrement novateur lorsqu’il tente de rendre M. Bourassa partiellement responsable de la mort de l’Accord du lac Meech.

M. Trudeau, qui omet de citer son propre rôle et celui de M. Jean Chrétien dans l’échec de Meech, ne se gênait pas, à l’époque, pour affirmer: «Meech me terrifie… Nous avons des exemples dans l’histoire où un gouvernement devient totalitaire parce qu’il agit en fonction d’une race et envoie les autres dans les camps de concentration.» Il traitait «d’eunuques» et de «pleutres» les premiers ministres du Canada et des provinces qui avaient signé l’accord. Ils se rendaient coupables à ses yeux de modifier ainsi «sa» Constitution de 1982 qui devait dit-il en empruntant une véritable référence à une sinistre idéologie des années 30, «durer mille ans».

Quant au rôle joué par M. Chrétien dans le torpillage de l’Accord, on ne trouve guère de meilleur témoin que son actuel ministre des Finances, Paul Martin, qui le suivait à la trace dans la course au leadership libéral. Il accusait à l’époque son adversaire d’avoir fait campagne pendant un an sur le dos du Québec en disant au Canada anglais qu’il n’y aurait pas de problème au Québec si l’Accord du lac Meech échouait». M. Martin trouvait notamment «inacceptable le fait que Jean Chrétien refuse de parler en bien du Québec».

Il ne fait aucun doute qu’au cours des débats des dernières années, les représentants québécois ont dû commettre, de temps à autre, des erreurs d’appréciation, de stratégie ou de tactique. Nous laisserons aux historiens le soin d’en faire le tri. Ils ont cependant eu le courage, et je pense ici en particulier à Brian Mulroney, de tenter de forger un compromis canadien qui inclurait, plutôt que d’exclure, les Québécois. M. Mulroney a payé très cher sa tentative de sortir le Canada du «gâchis» légué, disait-il avec raison, par son prédécesseur. Notons cependant que M. Trudeau considère personnellement n’avoir commis aucune erreur dans sa propre action canadienne, malgré les traumatismes dans lesquels il a plongé son pays.

De même, aujourd’hui, M. Chrétien et plusieurs ténors fédéralistes font preuve d’une grande arrogance envers l’intelligence des Québécois. Eux qui ont mis le mot «séparation» sur chaque poteau de téléphone du Québec, affirment maintenant que les électeurs du OUI n’ont pas compris la question et ne savaient pas qu’en disant OUI, le Québec deviendrait souverain.

Il est indubitable qu’une proportion de gens, sachant qu’ils votaient pour la souveraineté, espéraient que le processus déclenché par un OUI provoquerait un ultime sursaut du Canada, modifiant l’issue du parcours. Les chefs souverainistes ne partagent pas leur analyse, mais dés électeurs ont le droit de la faire – comme une bonne proportion des électeurs du NON de 1980 et de 1995 ont le droit de faire le pari que leur vote entraînerait une plus grande autonomie pour le Québec, même si M. Trudeau et M. Chrétien y étaient farouchement opposés.

Mais il est inquiétant que des leaders fédéralistes assimilent cet espoir – ce pari – à de l’ignorance ou de la stupidité. Leur attitude, comme celle de M. Trudeau des les années 70, prédispose à un aveuglement qui ne peut que conduire à de nouvelles désillusions.

La «trahison»

Trois fois dans son texte publié samedi dernier, M. Trudeau accuse René Lévesque d’avoir «trahi» ses alliés du Canada en 1981. Dans son texte anglais, il utilise le même terme à mon endroit.

Même s’il a été assez largement utilisé pour décrire les événements entourant la promesse référendaire de M. Trudeau de 1980, puis l’attitude du Canada anglais lors des négociations de 1981, le mot «trahison» ne fait pas partie de mon vocabulaire et, contrairement à ce qu’affirment certains leaders fédéralistes dont Daniel Johnson, je ne l’ai pas employé.

Il est intéressant de noter, cependant, que les leaders du camp du NON de 1995, Daniel Johnson, et de 1980, Claude Ryan, dans des textes bien pesés, ont récemment utilisé ce terme. pour décrire les conséquences des actions de M. Trudeau.

En juillet dernier, dans la revue Foreign Policy, Daniel Johnson écrivait ce qui suit: «Le rapatriement de la Constitution de 1982 s’est soldé par l’exclusion du Québec et a empêché les Québécois de participer à une étape importante de l’autoidentification des Canadiens. Cela a créé chez les Québécois un sentiment de trahison et d’isolement qui subsiste encore aujourd’hui.»

En novembre dernier dans le quotidien The Gazette, Claude Ryan abondait en ce sens: «Un grand nombre de Québécois, dont plusieurs fédéralistes, ont eu le sentiment d’avoir été trahis.»

Personne ne devrait se surprendre de l’opposition des souverainistes québécois aux agissements du premier ministre fédéral de l’époque. Cependant, les jugements portés par ses alliés fédéralistes québécois sapent considérablement les prétentions de M. Trudeau et nous éclairent sur les réflexes postréférendaires fédéraux, ceux du passé et ceux du présent.

Dans son livre Regards sur le fédéralisme canadien publié le printemps dernier, Claude Ryan résumait les événements de 1980 comme suit: «Quand il s’était engagé quelques jours avant le référendum, dans un discours prononcé au centre Paul-Sauvé, à Montréal, à réformer le système fédéral canadien, plusieurs, dont l’auteur de ce livre (donc, Claude Ryan), avaient compris qu’il envisageait alors une opération qui serait conçue et conduite de concert avec ses alliés référendaires. (…) Mais Trudeau avait son propre ordre du jour, qui n’était pas celui du PLQ.»

Ainsi, le chef du camp du NON de 1980 fut complètement écarté des opérations constitutionnelles postréférendaires de M. Trudeau. M. Ryan a une vision nuancée du contenu de la réforme de 1982, mais il récuse fermement la méthode employée et il s’y opposa à l’Assemblée nationale. Samedi dernier, comme il l’avait fait par le passé, M. Trudeau trafique à ce sujet les dates et les votes. Dans son livre, M. Ryan juge sévèrement ces tentatives de «faire croire qu’une majorité des parlementaires siégeant à Québec et .à Ottawa avaient approuvé son projet». Il conclut que M. Trudeau s’adonne à «une déformation de l’histoire».

De même, le chef du camp du NON de 1995, Daniel Johnson est au aujourd’hui à ce point exclu de la réflexion en cours à Ottawa qu’il doit signaler à ses alliés d’hier, par médias interposés, qu’ils sont «à côté de la track» et s’engagent dans des voix contraires aux orientations fondamentales du PLQ, notamment en ce qui concerne l’intégrité territoriale du Québec.

L’histoire est-elle en train de se répéter? En 1981, plusieurs électeurs libéraux se sont sentis, disons, «floués», par M. Trudeau. Ils n’avaient pas compris que les changements proposés avaient se faire unilatéralement contre la volonté du PLQ et de l’Assemblée nationale. En 1995, M. Chrétien a promis qu’un NON provoquerait des «changements qui s’imposent». Comment les électeurs du NON réagiront-ils lorsqu’ils s’aviseront que les changements proposés visent à modifier unilatéralement les règles de la démocratie québécoise et à dépecer le territoire québécois?

Les «revendications québécoises»

L’ancien premier ministre canadien ne se contente pas de dénigrer les efforts constitutionnels de ses homologues québécois et de ses successeurs. Il prétend définir, seul, en quoi consistent les «revendications traditionnelles du Québec». Ainsi, il affirme qu’elles «consistaient essentiellement en une chose: le respect du fait français au Canada, principalement en matière de langue dans les instances fédérales et d’éducation dans les provinces où les francophones étaient en minorité».

Ces objectifs étaient certes louables et soutenus par les Québécois. Mais vouloir réduire la revendication québécoise à ces seuls éléments est tellement étranger à la réalité historique de l’après-guerre qu’il serait fastidieux de l’invalider point par point.

Notons simplement qu’au moment où M. Trudeau vote sa fort nécessaire Loi des langues officielles, en 1969, il y a trois partis politiques au Québec: l’Union nationale, au pouvoir, a été élue sur la plate-forme «égalité ou indépendance»; le Parti libéral québécois vient d’adopter une plate-forme proposant «le statut particulier»; et le Parti québécois, naissant, prône «la souveraineté-association». En niant l’existence des revendications historiques du Québec, M. Trudeau se conduit comme ces pharaons de l’ancienne Egypte qui, lorsqu’ils étaient insatisfaits de l’histoire, faisaient gommer et disparaître de leur royaume toute inscription, mention ou tout rappel désobligeants.

On trouve cependant ici une importante leçon. Dans sa croisade en faveur des langues officielles, M. Trudeau a créé un énorme malentendu entre nos deux peuples. Il a fait croire au Canada que l’adoption du bilinguisme institutionnel allait régler le problème québécois. Rien n’était plus faux. Des millions de Canadiens ont investi leur énergie politique et leur bonne foi dans cet espoir. La frustration que M. Trudeau a ainsi engendrée au Canada anglais est un des facteurs les plus néfastes de notre histoire récente.

Aujourd’hui, M. Chrétien et son ministre Stéphane Dion s’astreignent à convaincre le Canada qu’une reconnaissance du caractère distinct du Québec, agrémentée de quelques verrous supplémentaires, pourrait régler le cas québécois. Au Québec, les leaders d’opinion fédéralistes et souverainistes et les sondages d’opinion contredisent énergiquement ces affirmations dépassées et erronées. Ce serait tragique, pour le Canada et pour le Québec, qu’un second malentendu de cette ampleur empêche une lecture plus lucide des choses et brouille pour une génération ce qui reste de bonne volonté réciproque.

La démocratie

M. Trudeau affirme que, par mes arguments référendaires, j’aurais «souillé la bonne réputation démocratique de la province du Québec».

On pourrait rétorquer sèchement que le premier ministre canadien qui a suspendu les libertés civiles en 1970, ouvrant la voie à l’emprisonnement sans raison, sans acte d’accusation et sans recours de 500 citoyens – dont quelques poètes – pour simple délit d’opinion et cautionnant 3000 perquisitions sans mandat, est mal placé pour donner des cours de démocratie.

Pour en revenir aux questions constitutionnelles, M. Trudeau a déjà avoué que son opération de 1981 avait été sciemment conçue comme une offensive qui n’aurait pas à respecter les règles démocratiques et il a reconnu qu’elle pourrait causer un tort irréversible.

Ainsi, lorsque ses biographes Stephen Clarkson et Christina McCall lui ont demandé pourquoi il n’avait pas retenu les services du respecté mandarin Gordon Robertson pour le conseiller sur la Constitution à compter de 1980, M. Trudeau a donné une réponse révélatrice: «Disons simplement qu’à cette dernière étape, je pensais qu’il fallait presque un putsch, un coup de force, et Gordon [Robertson] était beaucoup trop gentleman pour ça. Gordon était un mandarin dévoué au bien commun et qui craignait qu’un dommage irréparable soit causé au tissu social. J’ai donc choisi quelqu’un d’autre.»

Le dédain de M. Trudeau pour les formes démocratiques est également visible dans sa relation des événements du 4 novembre 1981. Par dessus tout, l’entêtement avec lequel il persiste à trouver normal et légitime le procédé utilisé dans la nuit du 4 au 5 novembre force l’admiration. Un test simple suffit pourtant à percer l’artifice. Expliquez à n’importe quel étranger que 11 premiers ministres étaient conviés à une conférence cruciale pour l’avenir et que, pendant la dernière nuit, dix d’entre eux se sont concertés pour concevoir un accord qui, loin de satisfaire le onzième, lui enlevait une partie de ses acquis. Vous n’en trouverez aucun qui croira qu’une démocratie ait pu agir ainsi, quelles qu’aient été les circonstances ou les alliances.

Mais suivons un instant la chambranlante thèse de Trudeau. Il accuse René Lévesque d’avoir «trahi» ses alliés. Qu’est-ce qui vaut au chef québécois cette épithète? C’est qu’il avait accepté de soumettre un aspect clé de la nouvelle Constitution à un référendum.

Voilà ce qu’on reproche à René Lévesque. Il voulait que les Canadiens et les Québécois puissent s’exprimer, par référendum, sur leur loi fondamentale. Selon l’ancien premier ministre, c’est la raison pour laquelle tous les acteurs du drame – ses alliés et ses adversaires – ont convenu d’une entente qui l’excluait lui, sa province et son peuple.

M. Trudeau nous pousse donc à choisir entre un démocrate qui se serait plié à la volonté populaire et un premier ministre fédéral planifiant «presque un putsch, un coup de force». Le choix est facile. Si M. Lévesque était le seul, à Ottawa, à croire à la démocratie, il fut fort bien entouré lorsqu’il revint au Québec.

Les Québécois n’ont cessé de refaire ce choix depuis. Lorsqu’il fut élu en février 1980, donc avant le «coup de force», M. Trudeau avait raflé 74 sièges au Québec, avec 68% du vote. Après le coup de force, à l’élection suivante, en 1984, son parti chuta à 17 sièges et à 35% du vote. Certes, plusieurs facteurs ont joué dans ce renversement. Mais l’un d’entre eux était la promesse de M. Mulroney de réparer l’erreur commise en 1982. Jamais, depuis 1980, le parti de Pierre Elliott Trudeau n’a réussi à obtenir au Québec une pluralité de voix. Ne doit-on pas trouver là un quelconque signal?

Aujourd’hui, la tentation du coup de force est malheureusement toujours présente dans l’univers fédéraliste construit par M. Trudeau. Le soir du référendum d’octobre dernier, s’adressant à la nation et fort d’un vote de 50,6% pour le NON, M. Chrétien a déclaré:

«En démocratie, le peuple a toujours raison. Ce soir, il n’y a qu’un seul gagnant c’est lui, le peuple. Ce soir, plus, que jamais, nous avons toutes les raisons d’être fiers de la démocratie canadienne.»

Il a ajouté: «Les Québécois et les Québécoises se sont exprimés, nous devons respecter leur verdict.»

Quelques jours plus tard, cependant, il a déclaré que si le résultat avait favorisé le OUI, il n’aurait pas respecté le verdict des Québécoises et des Québécois. Depuis, M. Chrétien et ses ministres tentent de trouver des façons de tricher avec la démocratie québécoise, de modifier le seuil qui entraîne un respect du verdict.

S’inspirant des propos de M. Trudeau de 1980 sur la divisibilité du Québec, MM. Chrétien et Dion jouent un jeu dangereux avec la démocratie canadienne, sa réputation internationale et, plus encore, sa santé au Canada même. Les Québécois ont toujours, eux, respecté les règles démocratiques. Ils ont agi comme un peuple, solidaire de ses décisions, prises à la majorité. Songeons un instant à ce qui se serait produit s’ils avaient, au contraire, adopté la logique de MM. Trudeau, Chrétien et Dion.

En 1865, les parlementaires du Bas-Canada – le Québec d’alors – ont accepté la Confédération par un vote de 37 contre 25. Selon la règle Trudeau-Chrétien-Dion, environ 40% du Québec aurait donc dû rester à l’extérieur du nouveau Canada.

En août 1867, dans l’élection qui a entériné la Confédération, seulement 55% des Québécois ont voté pour le Parti conservateur pro-Confédération. Selon la règle Trudeau-Chrétien-Dion, les 45% restants auraient dû se «partitionner» – comme d’ailleurs les 48% de Terre-Neuviens qui ont voté contre leur rattachement au Canada en 1942.

Ces décisions majeures concernaient pourtant «nos enfants et nos petits-enfants» pour reprendre l’argument qu’invoque M. Dion à l’appui de sa thèse d’un nouveau seuil référendaire. Ces décisions modifiaient fondamentalement l’identité des citoyens concernés. Chaque fois pourtant, les Québécois ont respecté le verdict majoritaire.

En 1980, les souverainistes ont tenu leur premier référendum. Alors, le Saguenay-Lac-Saint-Jean a voté OUI, comme 40% de l’ensemble des Québécois. Il n’est venu à, l’idée de personne de décréter que ces territoires pouvaient se proclamer indépendants. Avec raison. C’est le peuple en son entier qui décide, pas les MRC, les régions, les quartiers ou les groupes linguistiques.

De même en 1995, toutes les régions québécoises, sauf l’Outaouais, la Beauce et une partie de l’île de Montréal ont voté OUI. Personne n’a proposé que les régions ayant voté OUI se «partitionnent». Pour le peuple québécois et l’ensemble de ses partis représentés à l’Assemblée nationale, la règle cardinale exige que la majorité du peuple tranche, ne serait-ce que par une seule voix, ou par 26000. Le 30 octobre, les souverainistes étaient minoritaires et ont respecté le verdict.

Le peuple québécois suit en cela l’exemple du Canada, qui a reconnu ces dernières années dans leurs frontières d’origine un grand nombre de nouveaux pays. Tous ces peuples comportaient en leur sein des minorités linguistiques ou régionales démocratiquement et légitimement opposées à la souveraineté de leurs nouveaux Etats. Le Canada n’a proposé dans leur cas ni de changer les règles démocratiques, ni de bousculer les frontières. Pourquoi les Québécois, qui se sont rendus aux urnes en octobre dans une extraordinaire proportion de 94%, n’auraient-il pas droit au même respect démocratique?

Un ancien premier ministre a pris la plume pour se rappeler à notre mémoire. C’est son droit. Au delà des batailles d’«ego» et d’historiens, saisissons-nous de son intervention pour nous rappeler que les 15 ans écoulés depuis son dernier coup de force n’ont pas suffi à réparer le tort qu’il avait causé.

A l’heure où certains, à Ottawa, inspirés par ses thèses, envisagent de suivre ses traces, il est bon de voir où son comportement passé nous a conduits, Canadiens et Québécois, anglophones et francophones.

Au Québec, les Jean Lesage et René Lévesque, Daniel Johnson père et fils, Jacques Parizeau, Claude Ryan et Brian Mulroney ne sont sans doute pas parfaits. Leurs projets et leurs lois ne dureront peut-être pas «mille ans». Mais, tous, ils ont respecté le processus et le verdict démocratiques. Tous, ils se sont priés aux décisions majoritaires. Tous, ils ont donné raison à la volonté du peuple québécois.

Tous, à un moment ou à un autre, ont été répudiés, conspués, accusés par Pierre Elliott Trudeau. Six jours seulement après mon assermentation, me voici introduit dans ce club des démocrates. Avec eux, et tous les Québécois, je plaide coupable.