Le défroqué de la laïcité

François Legault avait une décision lourde de sens à prendre cette semaine. Son parti allait-il garder le flambeau de la laïcité, dans la foulée de l’adoption il y a cinq ans de la loi sur ce sujet, ou allait-il signifier aux Québécois que sa soif de laïcisation était étanchée et qu’il n’irait pas plus loin ?

L’occasion est belle. Le Québec de 2024 continue à financer une cinquantaine d’écoles primaires et secondaires qui offrent, entre les mathématiques et le français, des cours où la religion — une religion, la bonne, évidemment — est inculquée aux enfants. Les traités internationaux protègent le droit des parents d’envoyer leurs enfants dans une école religieuse. Rien n’oblige cependant les États à les financer. Elles ne peuvent cependant ouvrir, au Québec, que si elles obtiennent une homologation, démontrant qu’elles offrent correctement le curriculum normal, avec des professeurs qualifiés, en plus de leur enseignement religieux. C’est pourquoi des écoles hassidiques à Montréal, ou une école catholique intégriste à Lévis, par exemple, font l’objet d’enquêtes et, parfois, de sanctions.

Dans la foulée du scandale de l’école Bedford, une école publique, donc laïque, qui, pendant sept ans, fut la cible d’entrisme religieux, le Parti québécois a présenté une motion offrant de franchir un nouveau pas dans la sécularisation de la nation : mettre fin aux subventions aux écoles privées religieuses. Que dit le ministère québécois de l’Éducation sur l’ampleur du phénomène ? Rien du tout. Il n’en tient pas le compte. Le dernier relevé crédible fut produit l’an dernier par la journaliste radio-canadienne Laurence Niosi : c’est à hauteur de 60 % que sont financées, selon son décompte, 27 écoles catholiques, 14 écoles juives, 4 écoles musulmanes, 2 écoles protestantes évangéliques, 2 écoles arméniennes et 1 école grecque orthodoxe. Pour un coût de 161 millions de dollars par an.

On savait Québec solidaire partant, depuis sa création, pour cette étape de la laïcisation. Le Parti libéral du Québec, lui, était réticent. Mais il a saisi l’occasion et a déclaré jeudi : « On est rendus là. » Il y aurait du Marwah Rizqy dans cette évolution que je ne serais pas surpris. Restait la Coalition avenir Québec (CAQ). Pensez-vous un instant qu’en leur for intérieur, Bernard Drainville et Jean-François Roberge, pour ne nommer qu’eux, souhaitent retarder le groupe ? À l’interne, à la CAQ, une source explique qu’on en a déjà assez sur le dos avec les cas comme ceux de Bedford, qu’on n’a pas un vrai portrait de la situation de ces autres écoles, qu’on ne veut pas ouvrir le débat plus large sur l’école à trois vitesses et que, si elles enseignent correctement le curriculum, pourquoi en vouloir aux écoles religieuses visées par la motion ?

Euh, parce qu’on est rendus là ? La CAQ n’avait qu’à se dire d’accord avec le principe : à l’avenir, les fonds publics ne seront pas utilisés pour des écoles inculquant une religion. Ensuite, un gouvernement réellement intéressé par la laïcité aurait : 1) réclamé de son ministère un état des lieux ; 2) écrit un projet de loi prévoyant les modalités ; 3) proposé, par exemple, un échéancier de retrait des subventions sur trois, cinq ou huit ans ; 4) décidé s’il permettait l’enseignement religieux en programme parascolaire, facturé aux parents, mais au sein de l’école, comme c’est le cas dans des écoles juives.

La commission parlementaire aurait ensuite entendu les différents acteurs du dossier et fait les arbitrages appropriés. On se serait rapidement rendu compte que l’existence même du projet de loi conduirait plusieurs des écoles visées à modifier leur statut pour devenir pleinement laïques et ainsi garder leurs subventions.

Cette réouverture de la Loi sur la laïcité et de la Loi sur l’instruction publique aurait permis au Parti québécois de ramener ses amendements refusés au moment de l’adoption du projet de loi 21 : étendre l’interdiction des signes religieux à toute l’école, y compris au service de garde et au personnel (avec droit acquis, évidemment) ; l’étendre aux écoles privées subventionnées, désormais toutes non religieuses.

Mais qu’a fait, plutôt, le gouvernement de la CAQ ? D’abord, Bernard Drainville est allé dire à Tout le monde en parle qu’il existait un « compromis historique » au sujet des écoles religieuses subventionnées. Si ce compromis existait dimanche soir, ce qui est douteux, il s’était évanoui jeudi matin. Ensuite, le premier ministre François Legault, répondant au front commun des trois partis d’opposition en la matière, a choisi en période de questions de répondre ceci : « Je prends note que le Parti libéral du Québec, Québec solidaire et le Parti québécois veulent couper, veulent couper le financement au collège Brébeuf, au collège Notre-Dame, au collège de Montréal, au collège Jésus-Marie, au collège Regina Assumpta, au Petit Séminaire de Québec, au collège de Lévis. »

Tous ces établissements sont évidemment laïques et ils ne seraient pas touchés par l’initiative des partis. Nous sommes donc contraints de poser un jugement sur la réponse erronée du premier ministre. De deux choses l’une : ou bien, en la matière, il est incompétent, ou bien il fait semblant de l’être. Aucune de ces réponses ne le grandit.

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L’étoile laïque de la CAQ pâlit alors même que la demande de laïcité au Québec est en hausse. Les mois qui viennent peuvent aggraver le problème. Car plus on en apprendra sur le nombre d’écoles publiques qui, comme celle de Bedford, ont subi de l’entrisme religieux, plus on posera cette question : qui était responsable de l’enseignement au Québec ces dernières années ?

Si seulement la CAQ pouvait blâmer le laxisme des satanées commissions scolaires. Elle les a abolies pour les remplacer par les centres de services scolaires, désignant directement leurs directeurs généraux et même les tuteurs du CSS de Montréal, où le problème est le plus aigu. Ce qui nous ramène à cette question : en matière d’application concrète de la laïcité dans les écoles publiques, la CAQ fut-elle incompétente ou fit-elle semblant de l’être ?

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

3 avis sur « Le défroqué de la laïcité »

  1. Vous écrivez :  »…le Parti québécois a présenté une motion offrant de franchir un nouveau pas dans la sécularisation de la nation… »

    Il me semble que le terme laïcisation est plus juste :
    La laïcisation désigne l’action de rendre quelque chose laïque, c’est-à-dire de supprimer l’influence religieuse dans les institutions, les espaces publics, ou les pratiques.
    Par exemple, la laïcisation des écoles signifie qu’elles sont organisées selon les principes de la laïcité, indépendamment de toute religion.

    Alors que la sécularisation désigne le processus historique, sociologique et juridique par lequel les institutions et fonctions autrefois sous le contrôle religieux passent dans le domaine public et civil.
    Par exemple, cela peut inclure le transfert de propriétés d’institutions religieuses à des institutions séculières.

    Une large partie du vocabulaire anglais vient du français.
    Dans les dicos anglais, on retrouve même de nombreux mots qui ont gardé leurs signes diacritiques français.
    En voici quelques exemples qui sont orthographiés tels quels dans les dicos anglais : déjà vu, façade, naïve, touché, raison d’être, café, fiancé, résumé, protégé, soupçon, crème brûlée, à la carte…

    Il faudrait suggérer à nos concitoyens anglophones d’adopter les expressions  »laïcité à la québécois » et  »laïcisation à la québécoise ».
    En leur expliquant la différence entre les mots laïcité et sécularité. Ainsi qu’entre laïcisation et sécularisation.

    Il faudrait leur rappeler que la laïcité à la québécoise est notamment l’interdiction des signes religieux 1) seulement pendant les heures de travail, et 2) seulement pour certains salariés de l’État.
    Il faudrait aussi rappeler aux démagos que la laïcité n’est pas l’interdiction de croire à ceci ou à cela. Non, la laïcité n’est pas du tout cela.

  2. Ce que la majorité ne semble pas comprendre est que la laicité est basée sur le matérialisme athée qui est à son tour basé sur l’abiogenèse et l’auto génération de l’univers , toutes deux des croyances subjectives non certifiées par la science , même que contredites par la science (la promotion de cette philosophie est payée à même nos impots). La neutralité est un mythe . Je ne désire pas qu’on retourne à l’enseignement du petit cathéchisme à l’école , mais de grâce qu’on explique aux élèves les problématiques avec l’évolution , et comme quoi l’athéisme est une croyance au même titre que le christianisme (sinon plus tant qu’à moi).

  3. François Legault nous a protégé de tomber dans l’intolérance d’une école unique transmettant la pensée unique d’une laïcité fermée comme seule religion permise dans la vie publique… Merci à lui pour cela. Cela fait longtemps qu’il n’avait pas été une boussole indiquant le nord devant une telle montée d’intolérance et d’obscurantisme laïcisant… Les parents désirent des écoles selon leur convictions, et non pas que les convictions de M. Lisée soient imposées à tous…

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