Le dernier palestinien

Il y a pire que la famine. Il y a la famine voulue, organisée. Suivant un objectif froid : la disparition d’un peuple.

Ce qui se déroule sous nos yeux dans la bande de Gaza est un acte d’une cruauté sans nom. L’État israélien a bloqué tous les accès, a arrêté tous les convois humanitaires, a mis hors-la-loi l’organisation internationale jusqu’ici chargée de distribuer l’aide et a poussé un Palestinien sur cinq, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à la sous-alimentation.

Depuis mars, au moins 57 enfants y sont morts des effets de la malnutrition, 17 000 femmes enceintes et allaitantes sont menacées de souffrir de malnutrition aiguë. C’est, dit l’OMS, l’« une des pires crises alimentaires au monde ». Avec cette différence qu’ailleurs, le climat ou la pauvreté en sont la cause. À Gaza, c’est la politique.

Et il n’est pas question ici d’un effet passager, qui s’effacera après un bon repas. Imposer une malnutrition à un enfant a des conséquences immédiates — affaiblissement du système immunitaire, donc propension à développer des problèmes médicaux — et à long terme — retard de croissance, troubles du développement cognitif, problèmes chroniques de santé. « En l’absence d’aliments nutritifs en quantité suffisante, d’eau propre et d’accès aux soins de santé, une génération entière sera affectée de manière permanente », a mis en garde le Dr Richard Peeperkorn, le représentant de l’Organisation mondiale de la santé pour les territoires palestiniens occupés.

Cette situation n’est pas l’effet secondaire de la guerre que mène Israël contre le groupe terroriste Hamas depuis son barbare attentat d’octobre 2023. Non, elle fait partie d’une stratégie assumée de réduction du nombre de Palestiniens. Ils sont mis devant un choix : souffrir ou partir.

Dans les jours qui viennent, l’armée israélienne étendra son invasion terrestre de Gaza. Les deux millions d’habitants du lieu seront refoulés dans une région du sud du territoire qui ne fait pas le quart de leur ancienne patrie. Début mai, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a clairement indiqué le plan : « Nous occuperons Gaza pour y rester. Il n’y aura plus d’entrée ni de sortie. »

Il s’agira d’une opération de destruction de ce qui reste des infrastructures civiles et de refoulement forcé de la population. Israël voudra recoloniser les trois quarts de Gaza et y réaliser, pourquoi pas, le rêve dément de Donald Trump d’y installer une nouvelle Riviera d’hôtels et de casinos. Le chroniqueur Thomas L. Friedman citait récemment dans le New York Times l’expert militaire israélien Amos Harel, pour qui « le déplacement de la population vers les camps humanitaires, combiné aux pénuries de nourriture et de médicaments, pourrait conduire à des pertes humaines massives ».

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Rien dans cette opération ne respecte le droit international. Les accusations, fondées, de crimes de guerre se multiplieront. Mais le gouvernement israélien n’en a cure : il a déjà été condamné. Une fois qu’on a passé les bornes, dit l’adage, il n’y a plus de limites. D’autant que Jérusalem peut compter sur l’appui de son principal commanditaire, Washington, désormais trumpisé.

Les civils restants, affamés, malades, traumatisés, seront invités à quitter le territoire. Mais pour aller où ? C’est là que le plan israélien reste flou. L’Égypte voisine, comme d’ailleurs tous les pays arabes, refuse de les accueillir. Benjamin Nétanyahou espère-t-il que, devant les images de camps surpeuplés et d’un peuple affamé, l’Occident n’aura d’autre choix que de les accueillir ?

La responsabilité du Hamas dans cette tragédie est énorme. Sans sa décision de rompre le cessez-le-feu par son attaque de 2023, sans sa stratégie de se cacher sous les écoles et les hôpitaux, jamais Israël ne se serait engagé aussi loin sur le chemin de l’intransigeance. Si, depuis deux ans, à n’importe quel moment, le Hamas avait rendu les armes pour le bien du peuple pour lequel il prétend se battre, le pire aurait été évité.

Les courageuses manifestations anti-Hamas de centaines de Palestiniens au cours du dernier mois démontrent que ce peuple subit deux oppressions : celle du Hamas et celle d’Israël. Mais la responsabilité de l’assaut en cours sur la dignité humaine repose entièrement sur les épaules du gouvernement israélien.

Sur l’autre versant de l’État d’Israël, en Cisjordanie, la progression éhontée des colonies juives se poursuit, ainsi que les attaques de colons radicalisés contre les populations palestiniennes, avec la participation active de membres de l’armée. De façon plus systématique, depuis janvier, dans la foulée d’une offensive contre des militants armés, l’armée israélienne a déplacé 40 000 Palestiniens de Cisjordanie, les expulsant de quartiers de leurs villes de Jénine et de Tulkarm. Il s’agit de la plus grande offensive israélienne dans ces territoires depuis 1967.

Israël vient de modifier sa législation pour permettre aux Israéliens d’acheter facilement des propriétés sur 60 % du territoire de la Cisjordanie. Le journal français Les Échos rapporte qu’un record de 10 000 permis de construction pour des colons juifs en Cisjordanie ont été délivrés depuis le début de l’année, plus que pour toute l’année précédente. Des projets de loi sont également à l’étude pour réduire les revenus de douane (perçus par Israël, mais dus à l’Autorité palestinienne, ce qui affaiblira cette dernière), ainsi que pour changer le nom officiel du territoire pour « Judée-Samarie », le nom biblique israélien.

Il s’agit donc d’une annexion rampante, graduelle, mais désormais désinhibée, du territoire palestinien de Cisjordanie. Cela tombe bien : le nouvel ambassadeur américain en Israël, le pasteur Mike Huckabee, a toujours soutenu que l’expansion d’Israël en Cisjordanie traduirait la volonté divine. (Au total, il y a trois millions de Palestiniens en Cisjordanie et 500 000 colons juifs.)

L’opération militaire qui se déclenchera dans les prochains jours à Gaza mettra l’Occident devant un dilemme. Aucune pression — politique, diplomatique, économique — ne pourra alors modifier le cours du massacre à venir. Il est particulièrement effarant de constater qu’un peuple décimé par la solution finale hitlérienne, et qui s’en est héroïquement relevé, met à son tour en œuvre une stratégie d’éradication d’un autre peuple. Cela lui vaudra-t-il d’être accusé de commettre un génocide ? La question paraît de plus en plus inévitable. Le gouvernement israélien a choisi d’assumer. Devenir un État paria, avec la bénédiction de la plus grande puissance mondiale, les États-Unis, ne l’émeut plus.

Nous, oui.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

8 avis sur « Le dernier palestinien »

  1. Monsieur Lisée vous répétez ce que dit le NYT, « Hamas est une organisation terroriste » bla, bla, bla alors qu’il a été révélé que certains de ses « journalistes » sont des membres, ou « ex » membre de l’IDF, l’armée d’Israel. Vous êtes bon sur d’autres sujets, mais là…

  2. Si vous lisez et répétez les mensonges honteux du NYT M. Lisée, évidemment vous concluez que le Hamas est un groupe terroriste. Je vous l’ai déjà dit, ça ne semble pas altérer votre jugement. Vous êtes bon sur d’autres sujets, mais là…

  3. Il y a pire. Selon certaines sources très fiables, l’attaque du 7 octobre par le Hamas n’aurait pas été aussi cruelle et sauvage que le gouvernement israélien le dit et que les médias occidentaux le rapportent. En effet, l’attaque en question visait des cibles militaires et non civiles. Alors pourquoi s’attarder à massacrer des civils? La désinformation a d’ailleurs joué un grand rôle dans ce jugement porté par les occidentaux sur cet événement. Les bébés décapités n’ont jamais existé et aucun viol n’aurait été perpétré. Plus encore, les prétendus massacres de civils n’ont pas eu lieu. Pas par le Hamas en tout cas. C’est l’armée israélienne en déroute car n’ayant plus de communication suite au succès des atteintes des objectifs militaires du Hamas qui aurait tué la plupart des civils! Ils ne pouvaient pas distinguée les bons des méchants et tiraient donc dans le tas. D’ailleurs il existerait une directive nommée « la directive Abraham » selon laquelle l’armée israélienne a le devoir et l’ordre de tuer les otages s’ils sont pris par un groupe « terroriste » afin d’éviter de leur donner un levier pour d’éventuelles négociations.
    Si jamais vous désiriez en savoir plus, je peux vous fournir les références exactes. Tout cela est disponible sur le net. De sources fiables.

    • Veuillez svp m’envoyer vos sources. Ce que vous affirmez ne m’étonne pas.

      Je rage devant notre impuissance face aux plus grands terroristes de la planète.

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