Le Louisianisateur

L’heure est grave. François Legault pointe un doigt accusateur vers un gouvernement qui, par son insondable incurie, met en cause la « survie de la nation ».

Les chiffres sont incontestables. En trois ans, le coupable a déroulé le tapis rouge à 90 000 unilingues anglophones, massivement regroupés à Montréal, et à 30 000 autres qui ne connaissent rien à la langue de Vigneault. Il est grand temps de nommer le responsable : le gouvernement de François Legault.

On aura beau chercher dans les mandats de Philippe Couillard, Jean Charest, Robert Bourassa, on ne trouvera nulle part, avant la CAQ, un gouvernement qui en a fait autant, avec l’immigration, pour affaiblir le français et angliciser Montréal. S’il y a un louisianisateur au Québec, c’est François Legault. Et encore : on n’a pas encore les chiffres de 2022 et, sans la pandémie, c’eût été pire encore.

On pourrait parler de pompier pyromane si François Legault tentait aujourd’hui d’éteindre ce feu de forêt linguistique. Il n’en est rien. Alors que le sinistre, majeur, se trouve dans l’afflux d’immigrants temporaires dont la présence est constante et croissante, Legault n’agite son boyau que vers le petit feu de broussaille de la réunification familiale. Une fois soustraits les mineurs et les retraités, on ne trouve, là, que 3000 adultes non francophones par an.

La question de l’immigration est compliquée. L’indulgence doit-elle nous conduire à excuser l’incompétence du premier ministre en la matière ? Pendant la campagne de 2018, incapable de répondre à des questions simples au sujet de l’immigration dont il avait fait son thème phare, il admit ne pas être « un génie en herbe ». Il a eu quatre ans pour se mettre à niveau. Il ne l’a pas fait.

D’autant qu’avant ses déclarations de dimanche dernier, il avait à sa disposition les documents les plus à jour qu’on puisse espérer : les rapports que l’économiste Pierre Fortin et le démographe Marc Termote ont produits pour son gouvernement et qui braquent les projecteurs sur le dérapage linguistique opéré par l’afflux de temporaires non francophones.

Ils ne mâchent pas leurs mots. L’accélération fulgurante, voulue par Ottawa et permise par Québec, provoque chez nous « la perte de contrôle de sa politique d’immigration permanente », dit Fortin, et « le risque d’un recul important de la francisation de sa population immigrante ». Termote renchérit : « Pour que l’immigration temporaire ne contribue pas à fragiliser la présence du français, aussi bien dans l’espace public que dans l’espace privé, il faudrait que le pourcentage de francophones parmi ces immigrants soit au moins égal au pourcentage de francophones dans la population d’accueil ». Un tel constat, conclut-il, « devrait suffire à justifier une intervention croissante du Québec dans la gestion de cette immigration ».

Mais Fortin décrit un ministère de l’Immigration « submergé par un tsunami d’immigrants temporaires » — 177 000 l’an dernier — sur lesquels « le ministère n’exerce qu’un contrôle timide ». Comme Termote, il note que le gouvernement québécois détient, en ce moment, le pouvoir de limiter leur nombre ou d’exiger qu’ils aient une connaissance préalable du français. Un pouvoir qui existe dans l’entente Québec-Canada, confirment au Devoir le négociateur québécois de l’entente, Louis Bernard, et l’ex-responsable de la planification au ministère de l’Immigration, Anne Michèle Meggs.

Pourquoi ne le fait-il pas ? Fortin tente une explication : « Le gouvernement, écrit-il, craint sans doute les accusations d’irréalisme et de cruauté » de la part des cégeps et universités anglophones et des employeurs qui utilisent ces programmes comme des bars ouverts. Bizarre, car la mère patrie de l’anglophonie, le Royaume-Uni, n’hésite pas, elle, à exiger une connaissance préalable de l’anglais à ses futurs immigrants, y compris temporaires. Cruelle Albion !

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Non seulement cette gestion a été inexistante depuis l’arrivée au pouvoir de la CAQ, mais son premier document de planification, de 2019, se donnait l’objectif d’augmenter de 15 % le nombre de ces temporaires. Ce qu’Ottawa a fait, et bien au-delà, avec plaisir.

Cette réalité, autrement plus grave que la question de la réunification familiale, nous oblige à poser une question grave. Si quelqu’un, au pouvoir, souhaitait que se poursuive sans interruption l’arrivée de tous ces temporaires qui anglicisent Montréal, que ferait-il ? D’abord, il gouvernerait pendant quatre ans sans jamais réguler ce flot. Ensuite, il ferait une fixation sur un objectif secondaire, sans grand impact — la réunification des familles — pour lequel il ne peut agir seul. Surtout, il ferait mine de ne rien pouvoir faire sans obtenir des pouvoirs que, c’est certain, il n’obtiendra jamais dans le cadre canadien. Tout cela en feignant d’être très préoccupé par la survie linguistique de son peuple.

Je suppose que si François Legault lit ces lignes, il s’indignera que je lui fasse un tel procès d’intention. C’est que la distance qui sépare ses discours de ses actions en immigration impose la plus grande sévérité, à l’heure où il demande aux Québécois un aller simple vers un cul-de-sac.

Sur le fond, où va-t-on ? « Dans la région de Montréal, on observe, et on continuera à observer un écartèlement croissant entre un français de moins en moins utilisé à la maison et le français resté plus ou moins majoritaire dans l’espace public, écrit Termote. Peut-on concevoir une société durablement soumise à un tel comportement quasi schizophrénique ? Comment réagiront les immigrants, et les anglophones, lorsqu’ils constateront que le français est minoritaire, ce qui est sur le point d’advenir sur l’île de Montréal et qui le sera dans une ou deux générations dans l’ensemble de la région métropolitaine ? »

Comment ils réagiront ? En faisant de l’anglais la langue commune, tout simplement. Et en remerciant celui qui a rendu la chose possible : François Legault.

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

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2 avis sur « Le Louisianisateur »

  1. Les survivants des pensionnats autochtones

    L’erreur que tout le monde fait sur ce qui s’est passé aux pensionnats autochtones est de juger ce qui s’est passé à cette époque avec les yeux et les standards d’aujourd’hui. Au début du siècle dernier la tuberculose (TB) causait chaque année plus de décès que la COVID en a causés dans les 12 premiers mois de la pandémie et cela pendant des décennies. Par exemple, le taux de décès dû à la COVID au Canada au cours des 12 premiers mois de la pandémie fut de 58 par 100,000 habitants , alors que le taux de décès dû à la TB a été estimé à 180 par 100,000 habitants à l’époque. Aussi, même durant la seconde guerre mondiale, la TB a causé la mort de plus de canadiens que la guerre elle-même. La raison en est que les antibiotiques capables de guérir la TB ne furent pas découverts avant 1945. En résumé, la TB faisait énormément de ravages à l’époque des pensionnats autochtones et il ne faut pas conclure que les décès des jeunes autochtones étaient le résultat de maltraitance. Évidemment, le taux de décès dans les pensionnats était encore plus élevé que celui de la population en général mais cela s’explique par les contacts très rapprochés entre les étudiants dans un pensionnat, la TB étant une maladie contagieuse. D’autres maladies ou des accidents tels que des incendies d’écoles ont aussi causé des décès mais la cause principale fut de loin la TB. Les survivants des pensionnats étaient principalement les survivants de la TB. Pourquoi ce facteur n’a-t-il pas été mentionné par les médias?

    Ceux qui croient que les pensionnats ont été mis sur pied uniquement pour les autochtones se trompent profondément. Au moment où la loi sur les Indiens fut adoptée, plus de 75% de la population vivait en zone rurale. Les pensionnats étaient la solution abordable pour les étudiants de zone rurale d’aller étudier dans les établissements urbains. J’ai moi-même étudié dans un pensionnat géré par des prêtres catholiques au cours des années 60 au Québec. Ce type d’établissement qui a été en perte de vitesse semble reprendre en popularité dernièrement (Crescent School, etc.) mais ce ne sont plus les religieux qui les dirigent.
    La loi sur les indiens de 1876 accordait au gouvernement différents pouvoirs relativement aux premières nations dont en particulier l’éducation. Il faut noter que cette loi comprenait des dispositions proposées par les conseils de bande et était largement approuvée par ceux-ci. L’objectif du gouvernement était d’éduquer les autochtones et de les intégrer à la société canadiennes. Certains utiliseront le mot assimiler plutôt qu’intégrer. Peut-on douter de la nécessité d’éduquer et d’instruire les premières nations?
    Évidemment, le christianisme était grandement implanté dans la société de l’époque et le but premier des religieux était d’évangéliser les païens dont les autochtones. En fait, les religieux géraient toutes les écoles du pays à cette époque. Si des abus sexuels ont été commis par des religieux, nous savons que cela arrive partout et que ce n’est pas exclusif au fait que les étudiants étaient autochtones.
    Finalement, pour ceux qui tiennent absolument à réparer le passé, ne devrait-on pas remettre tout le pays sous le contrôle des autochtones car le territoire leur appartenait avant l’arrivée des européens!

    Référence à consulter:

    https://www.publicsafety.gc.ca/lbrr/archives/cn000043947884-vol.4-eng.pdf

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