Le manuel du parfait dictateur

Pendant l’été, quelques billets de blogue choisis, en rappel.

Ce n’est pas une sinécure, être dictateur. Il faut un savoir-faire particulier. Et lorsque se soulève la colère populaire, la partie se corse.

Dictator-150x150On a vu en Tunisie, en Égypte puis en Libye des tactiques différentes pour tenter de garder le pouvoir. Sans grand succès pour l’instant. Y a-t-il une méthode meilleure que les autres ?

Un groupe de putschistes russes qui ont tenté, en août 1991, de mettre fin aux réformes de Michael Gorbatchev, ont élaboré un coup qui n’a duré que quelques jours. Il fut mal conçu, mal exécuté et surtout lancé au mauvais moment (un an avant, ils auraient eu davantage de chances de succès).

Cependant ces dictateurs, élevés pendant la dictature de Brejnev et aspirant à y revenir, avaient couché sur papier un certain nombre de principes utiles. Un des auteurs étaient le chef du KGB. Les voici:

Au sujet de quelques principes pour la situation extraordinaire

1. Il ne faut pas perdre l’initiative et n’entrer dans aucune négociation avec le public. Il nous est arrivé de le faire pour tenter de présenter une apparence de comportement démocratique. Mais le résultat est que la société devient graduellement habituée à l’idée qu’elle peut contester l’autorité — et c’est le premier pas vers une autre bataille semblable, plus tard;

2. Il ne faut permettre aucune première manifestation de dissidence, réunions, grèves de la faim, pétitions et il faut empêcher toute dissémination d’information à leur sujet. Faire le contraire revient à admettre que ces formes d’oppositions sont permises, ce après quoi des formes d’oppositions plus radicales encore vont suivre. Si on souhaite obtenir le moins d’effusion de sang possible, il faut supprimer toute expression de dissidence dès le tout début de son expression;

3. Il ne faut pas se gêner pour user de populisme. C’est la meilleure façon d’obtenir le soutien des masses populaires. Il faut introduire immédiatement des mesures économiques compréhensibles — réduire les prix, relâcher les restrictions sur la vente d’alcool, etc. Faire en sorte d’augmenter, même légèrement, la diversité des produits en forte demande est une bonne idée. Dans cette situation, il ne faut pas se soucier des conséquences économiques, comme le niveau d’inflation ou autres ;

4. Il ne faut perdre aucun temps avant d’informer la population des détails des crimes de nos adversaires politiques. Au début [après le coup d’État], le peuple va être très avide d’information. C’est exactement à ce moment qu’on doit donner énormément de place aux révélations sur les groupes coupables, corrompus et tout le reste. Dans les jours suivants, l’information au sujet de nos adversaires devrait être livrée avec un ton ironique et humoristique… L’information doit être aussi brutale et aussi simple que possible;

5. Il ne faut pas user de menaces directes. Il est préférable de disséminer d’abord des rumeurs au sujet de la sévérité du régime et de son contrôle de l’économie et la vie civile et faire croire qu’il y a des descentes policières systématiques dans les magasins, lieux de loisirs et autres;

6. Il ne faut pas être lent dans les décisions de purges et de déplacement de personnel. La population doit savoir qui est puni et pour quelles raisons évidentes.

Ma traduction. Reproduit dans: Lenin’s Tomb – The Last Days of the Soviet Empire, de David Remnick. Ce livre, malheureusement non traduit en français, a valu à son auteur le Prix Pulitzer en 1994.

Billet d’abord publié en mars 2011.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !