Le premier complot

Mon fils a une théorie. Il a identifié un fléau : le complotisme. Il a trouvé un coupable : le père Noël. Ou plutôt des coupables : tous les adultes du monde, qui font semblant que le père Noël existe. Y a-t-il conspiration plus étendue, à travers la planète et franchissant les âges, que celle-là, demande-t-il ? Comment peut-on ensuite s’étonner de la popularité croissante des théories du complot ?

Il est vrai que chaque enfant d’Occident, après avoir été régulièrement semoncé pour avoir menti, découvre avoir été victime, depuis sa naissance, d’une vaste supercherie. C’est son premier contact avec le mensonge organisé, donc avec le complot.

Les psychoéducateurs nous rassurent. La croyance enfantine au fantastique « correspond à leur développement cognitif », explique entre autres Serge Larivée, de l’Université de Montréal, qui a écrit à ce sujet. Point de traumatisme au moment de la découverte de la vérité, plutôt une progression de l’esprit critique (par où entre-t-il si on n’a pas de cheminée ? Combien y en a-t-il ?) qui débouche sur une révélation. Devenu conscient de la réalité des choses, l’enfant entre à son tour dans la confidence, devient membre de la conspiration.

C’est bien beau. Reste que, dès l’âge de raison, on est informé de l’existence d’un mensonge entretenu par tous, pour notre bien. L’acquisition du scepticisme est certes un élément essentiel dans l’éducation du futur citoyen, mais l’ampleur de ce mensonge ne nous prépare-t-elle pas, aussi, à considérer comme possible l’existence d’autres balivernes, assises pareillement sur la volonté d’un grand nombre d’acteurs de nous enfirouaper ?

La perte de la foi religieuse d’un nombre croissant d’Occidentaux alimente cette tendance. Si l’Église a tort dans le récit qu’elle fait de Dieu, d’Adam et Ève, des pouvoirs miraculeux de Jésus, comment ne pas être abasourdi par l’immensité des moyens mobilisés depuis 2000 ans pour soutenir cette version des choses ?

Puisque des éléments centraux de ce qu’on nous a enseigné enfant — le père Noël, la fée des dents, le petit Jésus — sont le résultat d’une vaste entreprise d’intoxication dont nous nous sommes extraits par la force de notre rationalité et à contre-courant, pourquoi conclure que le mensonge organisé est l’exception, plutôt que la norme ?

Les générations nées depuis l’avènement des émissions de télévision pour enfants, c’est-à-dire les années 1960, subissent à mon avis un choc supplémentaire avec le réel. Pendant au moins 10 000 heures, on leur présente des récits, animés ou non, où les héros font face à une difficulté ou à un personnage méchant, mais réussissent, dans 100 % des cas, à faire triompher le bien sur le mal.

Cette trame était bien entendu présente dans la plupart des contes racontés aux bambins de l’ère prétélévision. (Quoique, dans la première version du Petit chaperon rouge, la fillette s’écartant du chemin de sa mère-grand était dévorée par le loup, fin de l’histoire. Morale : écoute ta mère ou meurs. Et si vous ne connaissez que la version Disney de La petite sirène, ne lisez pas le conte d’origine à moins d’avoir le coeur bien accroché.)

Reste que l’optimisme inhérent aux émissions pour enfants ne prépare personne à affronter un obstacle infranchissable, encaisser un échec ou gérer une injustice, ces choses que la vie s’assurera de vous faire connaître à répétition. Le décalage entre l’idéal bombardé dans les jeunes têtes et la réalité brutale de la cour de récréation et des réseaux sociaux ne fournit-il pas le terreau de l’épidémie de dépression qui affecte un nombre de plus en plus grand de nos ados ? On en vient presque à applaudir les jeux vidéo, dans lesquels les joueurs perdent à répétition et doivent reprendre leur tâche en acquérant de nouvelles connaissances pour ne pas sombrer à nouveau. Au moins, là, la difficulté existe et avec elle la frustration et la motivation de la surmonter.

Remarquez, avant les écrans, il y avait d’autres façons d’apprendre à vivre avec la défaite : les jeux de société et le sport. Une époque révolue, certainement, si on en croit les récents indicateurs de baisse sévère d’activité physique chez les jeunes.

Évidemment, on ne peut faire l’impasse sur les mensonges politiques entourant la guerre du Vietnam, le Watergate, l’invasion de l’Irak sous de faux prétextes, la corruption de certains politiciens. Tout cela renforce chez le citoyen moyen le réflexe : « On nous cache quelque chose. »

Et même si Bill Gates n’a pas réussi à mettre de puce dans les vaccins anti-COVID (remarquez, cela aurait été plus simple pour télécharger les mises à jour), reste que l’immense et scandaleux pouvoir des compagnies pharmaceutiques, la connivence avérée avec des chercheurs, les profits faramineux récoltés sur le dos de la crise sont autant de points d’appui pour ne pas leur donner le bénéfice du doute. Certaines compagnies pharma ne sont-elles pas aujourd’hui reconnues coupables d’avoir causé l’épidémie d’opioïdes dans le seul but d’augmenter revenus et profits ? Résultat : en mai 2020, pas moins de 60 % des Québécois estimaient qu’au sujet de la pandémie, les gouvernements « cachent volontairement de l’information ».

« Pour que le cerveau puisse fonctionner, il a besoin que les événements fassent sens », explique le psychoéducateur Larivée. Et puisqu’on se méfie du mensonge organisé par les puissants, on prend sur soi de construire une explication qui exclut d’emblée la version officielle et nous semble plus satisfaisante.

Le fait que les conspirationnistes aient parfois raison n’arrange rien. La thèse voulant que le virus de la COVID-19 provienne d’une erreur de manipulation dans un laboratoire chinois de Wuhan, naguère moquée comme complotiste, est aujourd’hui admise comme une réelle possibilité. Finalement, on vit tous plus ou moins dans le film Complot mortel, de 1997, où un Mel Gibson (dans sa phase préantisémite) fervent de théories conspirationnistes est poursuivi par des assassins qui veulent le faire taire. La question centrale étant : parmi ses théories loufoques, une est vraie et met sa vie en danger. Mais laquelle ? L’existence du père Noël ? Faites vos recherches.

2 avis sur « Le premier complot »

  1. Monsieur Lisée, c’est comme des partis politiques qui vénèrent l’idée de l’indépendance comme la solution à tous les maux de notre société.

    Nous serions tellement plus heureux indépendant. Ce serait le début d’un temps nouveau.
    Ça devient comme une religion avec ses croyances mais sans roi évidemment.

    Introduction
    Voici l’histoire:
    Il était une fois un sage qui apporta avec lui des apôtres (députés) dans un séminaire de croissance personnelle. La conférencière (PDG d’une société d’État) a animé bénévolement ce séminaire mais demanda au sage d’envoyer 50,000$ à son mari qui avait une entreprise de formation. Et oui…il faut le faire. La réalité dépasse la fiction . Passons!

    L’indépendance aurait empêché la chute des nombreux poteaux électriques ou de bris d’équipements le 23 décembre car nous aurions une meilleure direction de notre société d’état. On aurait nommé un ou une PDG qui aurait suivi un plan d’ entretien et de réparation. Le plan existait mais la vérificatrice générale du Québec nous apprends au début du mois de décembre 2022 d’énormes lacunes dans l’entretien de notre réseau de distribution. (La fiabilité du service de distribution d’électricité d’Hydro-Québec présente une baisse marquée, et son plan de réduction des pannes n’a été que partiellement mis en œuvre. ) Espérons que ce n’est pas la même chose dans celui de la production. Un barrage qui s’écroule, ça doit pas être drôle). Passons!

    Et oui, L’indépendance aurait évité l’effondrement de notre système de santé car on aurait créé plusieurs centre intégrés de santé dirigé par des PDG. Les patients n’ ont plus de médecins de famille. Les places en GMF et aux urgences sont inexistantes. Dans ma ville, le temps d’attente pour voir un médecin spécialiste dépasse 4 ans. (Compétence provinciale)
    Dites moi pas que la cause est la Covid. Les urgences ont toujours débordé. Passons!

    Les jeunes mamans ne trouvent pas de place en garderie. Méchant problème de compétence provinciale. Mais ici, pas de PDG. Passons!

    Les cours de justices sont débordés. De nombreuses causes ne seront pas jugées. Compétence provinciale. Passons

    Notre système d’éducation. Je ne sais plus par où commencer mais disons que ça pourrait être mieux. Établissements en manque d’amour. Il n’y a pas assez d’enseignants. Passons. Je pourrais écrire un livre.

    En fait, j’aime mieux croire au Père Noël PDG en chef des lutins. Des cadeaux dans les cheminées. ( ouais, je sais. On a reçu des cadeaux de l’État à Noël de 400$ ou 600$ directement dans notre compte de banque 😱😱😱😱mais c’était la première fois…🥰🥳😇 le gos lots…quoi)

    Bonne année à vous et votre famille!

  2. Dans toutes les civilisations qui ne connaissent pas le père Noël leurs enfants ont un développement cognitif aussi sains qu’en occident pour ne pas dire différent!

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