Le prix Nobel de la bêtise

Vous n’y comprenez rien aux mécanismes du commerce international ? C’est parfait ! L’ignorance est l’élément fondateur de la guerre commerciale en cours. En l’espèce, votre cerveau est mésadapté à la compréhension du phénomène Trump. Il a été entraîné spécifiquement pour tenter de donner du sens à ce qu’il entend.

Lorsque le président américain nous annonçait des tarifs « réciproques », on faisait l’erreur de croire qu’il allait imposer aux autres les mêmes tarifs que ceux qu’on impose à son pays. Il parlait aussi de barrières non tarifaires. Il allait donc ajouter une évaluation des pertes encourues par les exportateurs de viande américaine à cause de l’obsession des Européens de ne pas manger de viande dopée aux hormones. Calculer aussi le prix du cauchemar occasionné aux manufacturiers états-uniens par l’incompréhensible volonté de pays non anglophones d’obtenir des instructions dans leurs étranges langues. Cela semble fastidieux, mais les experts du commerce sont payés, et fort bien, pour faire ces calculs.

Mais non. Votre cerveau a tout faux. Car pour lancer la guerre mondiale commerciale mardi, le président Trump a inventé un calcul qui n’est enseigné dans aucune école de commerce ou d’économie, même pas à la défunte Trump University. Il a pris le total des exportations d’un pays — disons le Penguinistan — vers les États-Unis. Mettons-le à 200 millions de dollars. Il a soustrait le montant d’importations du Penguinistan depuis les États-Unis. Mettons 100 millions. Cela donne 100 millions. Il a divisé ce chiffre par les 200 millions précités. Cela donne 0,5. Il l’a multiplié par 100. Cela donne 50. Il l’a divisé par deux. Cela donne 25. Il a ajouté le signe de pourcentage. Bingo : 25 % de tarifs !

Les Israéliens, par exemple, ayant comme le reste des détenteurs de cerveaux de la planète anticipé un calcul fondé sur la raison, avaient ramené à zéro leurs tarifs commerciaux juste avant le Liberation Day, pensant que cela allait améliorer leur sort. Nenni ! Ils sont punis (17 % pour eux) simplement parce que les Américains achètent davantage de leurs produits qu’ils leur en vendent.

Bon. Maintenant que l’on connaît la formule mathématique, pensent nos cerveaux, il devient aisé de sortir de ce pétrin. Il suffit d’acheter des produits américains pour exactement la même somme que celle de nos ventes aux États-Unis. Un équilibre parfait sera atteint. L’équation donnera un tarif de 0 %. Pour garder l’exemple d’Israël, ils n’ont qu’à acheter des oranges de Floride plutôt que du Maghreb, et du vin californien plutôt que du bordeaux, et le tour sera joué.

Si c’est ce que vous pensez, c’est que votre cerveau est encore sur le mode actif. Car n’avez-vous pas remarqué que même des pays qui affichent un déficit commercial avec les États-Unis, comme l’Australie, sont quand même punis ? Ils ont une facture de 10 %.

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Le secrétaire au Commerce de Trump, Howard Lutnick, s’est répandu sur les écrans américains depuis mardi pour expliquer ce qui allait se passer. Son premier conseil aux abrutis que sont les partenaires commerciaux des États-Unis est celui-ci : « Laissez Donald Trump diriger l’économie mondiale. Il sait ce qu’il fait. Il y pense depuis 35 ans. » C’est vrai, ça. Ne tenez aucunement compte du fait que, pendant ces 35 années, Donald Trump fut une des seules personnes au monde à ne jamais avoir possédé un casino — un endroit où, comme chacun sait, « la maison gagne toujours » — et à avoir réussi à le conduire à une spectaculaire faillite d’un milliard de dollars. Fort de cette expérience, il a ensuite conduit à la faillite trois autres casinos.

Supposons que les autres chefs d’État rechignent à laisser Trump diriger l’économie mondiale, y a-t-il une autre façon de se soustraire aux tarifs ? Oui. Un document distribué aux journalistes à Washington nous éclaire : les tarifs seront en vigueur « jusqu’à ce que le président Trump décide que la menace posée par le déficit commercial et le traitement non réciproque sous-jacent est satisfaite, résolue ou atténuée. » C’est quand même un peu vague.

Howard Lutnick nous en dit davantage : « Le dealmaker [Trump] va conclure des ententes quand et seulement si ces pays changent tout à leur sujet [change everything about themselves], et je doute qu’ils le fassent. »

Il donne l’exemple du bœuf. « Les Européens n’aiment pas notre bœuf parce qu’il est fort, et parce que le leur est faible. » La question des hormones n’est qu’un prétexte pour ces estomacs fluets, rétifs au viril cheptel américain. Puis il y a toutes les taxes sur la valeur ajoutée, élément majeur de la fiscalité européenne, qui devrait simplement disparaître. En plus des 27 pays européens, 148 autres nations, dont l’Australie et le Japon, ont eu l’idée saugrenue d’adopter ce système. Ils sont tous dans l’erreur et, dans la vision trumpiste, ils l’ont tous fait précisément pour nuire aux exportations yankees. D’ailleurs, le président a dévoilé en février un fait majeur qui avait échappé aux historiens : « Soyons honnêtes : l’Union européenne a été créée pour escroquer les États-Unis. C’est son objectif, et ils ont fait du bon travail. Mais maintenant, je suis président. »

Et si des pays proposent de faire ces changements, la négociation peut-elle s’engager ? Pantoute. « Pas de paroles, des actes, tonne Lutnick. «Les paroles n’ont pas de sens. Ils doivent changer leurs façons de faire. Voyons ce qu’ils font. Cela va prendre beaucoup de temps. »

Il n’est un secret pour personne, à Washington, que Donald Trump rêve maladivement d’une chose : faire la paix en Ukraine, et obtenir dans la foulée le prix Nobel de la paix. Jimmy Carter l’a obtenu en 2002 pour son action humanitaire post-présidentielle ; Barack Obama, en 2009, au début de son mandat, pour — attendez, euh, pour… — être Barack Obama. Si Trump l’obtenait, il serait le premier président républicain en un siècle à recevoir cet honneur.

Je ne dis pas que la paix en Ukraine, si c’était une paix satisfaisant les Ukrainiens, ne serait pas un geste important. Mais s’il fallait que le comité Nobel cède à cette tentation, je propose qu’il décerne aussi un prix Nobel de la bêtise économique à Donald Trump. Cela n’existe pas, dites-vous ? Bonne raison pour l’inventer.  

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

1 avis sur « Le prix Nobel de la bêtise »

  1. Et si tout ça n’était qu’une manœuvre intentionnelle pour faire descendre et monter les bourses selon le bon vouloir du président? N’y aurait-il pas quelques membres de sa famille qui s’enrichirait énormément dernièrement?

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