Le quart des francophones doivent parler anglais au travail

sorti08C’est un des résultats ahurissants du sondage Angus-Reid publié dans La Presse de samedi. La lecture des résultats bruts du sondage, disponibles ici, révèlent des éléments nettement plus inquiétants que l’éclairage que le quotidien en a donné.

Ainsi, à la question Devez-vous vous exprimer en anglais sur le lieu de travail, pendant des réunions ou dans vos échanges avec vos collègues ou vos supérieurs ? 11% des francos répondent assez souvent, 6% fréquemment et 7% très fréquemment. Pour un total de 24%. Notons qu’il ne s’agit pas ici de converser en anglais avec la clientèle, des fournisseurs chinois ou des clients newyorkais. Non.  Ce résultat indique qu’alors que la minorité anglophone du Québec forme 11% de la population, et de 70 et 85% de leurs membres de 20 à 60 ans affirment au recensement de 2006 être bilingues, leur présence oblige un francophone sur quatre à passer à l’anglais au moins assez souvent dans le cours des affaires internes des entreprises.

Et 29% des anglophones veulent que l’anglais soit la langue de travail au Québec !

La présence aussi forte de l’anglais sur les lieux de travail semble soutenue par la volonté exprimée dans ce sondage par les anglo-Québécois. Pas moins de 29% d’entre eux se disent d’accord avec l’affirmation suivante: L’anglais devrait être la langue obligatoire de travail au Québec.  Le résultat se décompose ainsi: 25% croient que ce devrait être le cas, mais avec des exceptions pour le français (merci, c’est gentil); 4% souhaitent que ce soit l’anglais sans exception (je choisis de croire qu’ils n’ont pas compris la question).

Certes, une pluralité, 42%, adhérent à l’objectif de la loi 101 d’un environnement de travail en français, mais 30% n’arrivent pas à trancher.

Ces deux seuls résultats, s’ils étaient avérés, constituent un constat d’échec de la loi 101, vieille de maintenant 35 ans. Elle avait pour objectif de faire du français la langue « normale et usuelle » de travail au Québec. Je serais surpris d’apprendre (attention alertinternautes dotés de bonnes archives statistiques) qu’il y ait eu, en 1977 au moment de l’adoption de la loi, plus de 24% des Québécois qui devaient parler régulièrement anglais au travail. Et plus de 29% des anglos qui aient voulu l’anglais comme langue de travail obligatoire au Québec.

Les Francophones donnent une mauvaise note à la loi 101 et à l’Office

La moitié des francophones du Québec posent eux-mêmes ce constat: 43% estiment que la loi 101 fait « un mauvais travail de protection des droits des francophones ». 47% pensent l’inverse, mais il ne s’agit pas ici d’un référendum. Si la loi 101 faisait un bon travail, l’immense majorité des francophones en serait satisfait.

Idem pour l’Office québécois de la langue française. 44% des francos estiment qu’elle fait un mauvais travail, contre 46% de satisfaits. C’est un très mauvais résultat.

Mesurer la volonté des francophones

La loi 101 n’était pas écrite par des idiots, loin de là. Elle prévoyait de faire du français la langue normale et usuelle, avec des exceptions — évidemment, notamment, pour les transactions avec la clientèle, les clients et fournisseurs anglophones étrangers. Des transitions plus longues, pour Bombardier aéronautique ou CAE, ont également été autorisées.

Qu’en pensent les francophones ? Pas moins de 93% estiment que Le français devrait être la langue de travail obligatoire sur les lieux de travail, 51% disent sans exception (ce qui est à mon avis excessif) et 42% avec des exceptions (ce qui est la lettre et l’esprit de la loi), pour ce total de 93%.

Mais comment réagissent les 24% qui sont contraints d’interagir en anglais avec collègues ou supérieurs ? Leur niveau d’irritation est relativement bas. 55% se disent nullement irrités par cette obligation de passer à l’anglais. 43% sont irrités, mais seulement 6% « très irrités ».

On retrouve ici le paradoxe québécois. Une volonté forte sur le principe (93%). Une insatisfaction quant au travail gouvernemental (la loi 101 et l’Office, une moitié de mécontentes). Mais une acceptation assez grande de la situation pratique, dans le quotidien.

Un dernier mot. Au Québec où le français est la langue officielle, on compte une proportion comparable de francophones (4%) et d’anglophones (6%) affirmant s’être senti forcé de quitter son emploi à cause de leur niveau de connaissance de l’autre langue. Étonnant !

Le sondage a été mené du 29 novembre au 1er décembre auprès de 880 francophones et 122 anglophones du Québec,
dont environ la moitié vit dans la région de Montréal. La période couverte suivait de quelques jours
les informations sur les cadres unilingues de la Caisse de dépôt et à la Banque Nationale.