Je m’inquiète pour François Legault. Sérieusement. D’abord, il faut lui rendre l’hommage qui lui est dû. Il y a 13 ans, il a lancé l’entreprise la plus ardue qui soit : créer un nouveau parti politique. Il n’avait qu’un objectif : devenir un premier ministre qui allait propulser, comme il s’en croyait capable, l’économie québécoise. Simultanément, il souhaitait redonner du tonus au système d’éducation. Le reste ? Des distractions.
Patiemment, il a recruté des personnalités, trouvé des candidats, avalé ce qui restait du parti de Mario Dumont, affronté les tempêtes électorales. Il savait qu’il avait misé juste, sur l’axe national : ni Trudeau ni Parizeau. Donc, entre deux chaises, là où logeait la majorité des Québécois. Il savait qu’il avait misé juste, sur l’axe gauche-droite : au centre droit, là où logeait, surtout après les années d’activisme péquiste, la majorité des Québécois. Encore fallait-il que la jonction s’opère. Ce fut le cas en 2018. Encore fallait-il que ça dure. Ce fut le cas en 2022.
Dans les deux cas, la Coalition avenir Québec (CAQ) ne progressait que grâce à François Legault, à la fois fondateur, capitaine et p.-d.g. de l’opération. « On se donne Legault » fut un des slogans caquistes les plus efficaces, mettant en vitrine son principal — son seul ? — produit en magasin.
On ne dira jamais assez l’exploit que constituent l’invention, l’irruption puis la prise de pouvoir, contre la force de l’inertie, d’un nouveau véhicule politique. Cela n’arrive même pas une fois par génération. Cela n’arrive que si on trouve, certes, une conjoncture, mais aussi un personnage qui a une volonté et un sens politique d’une rare vigueur.
Constatons maintenant la dégringolade parcourue. Les communicateurs du premier ministre ont informé les journalistes qu’un aspect essentiel de leur stratégie de l’automne serait de… cacher le premier ministre. Fichtre, pourraient-ils arguer, voyez comment son absence, pendant tout l’été, a été bénéfique pour la CAQ ! Le taux de popularité du gouvernement a grimpé de cinq points ! Moins on le voit, mieux on se porte !
Alors, sachez que François Legault passera dorénavant chaque fois en coup de vent dans le corridor qu’il est obligé d’arpenter pour aller de son bureau à l’Assemblée. Promis : contrairement à l’an dernier, il n’aura même pas de fruit à nous montrer. Chaque jour de session, une minute de malaise télévisuel. Lorsque le bureau du premier ministre était au bunker, de l’autre côté de la Grande Allée, Robert Bourassa, René Lévesque et Lucien Bouchard prenaient le tunnel, puis l’ascenseur, et pouvaient ainsi éviter complètement la plaie que constitue un essaim de scribes. (Claude Morin avait l’habitude de camper à une intersection du tunnel, en embuscade, pour prendre René Lévesque au vol. Lucien Bouchard avait un petit triporteur pour faciliter son déplacement. Nous, les conseillers, devions courir derrière lui. Ça l’amusait.)
Pourquoi ne pas redéménager les bureaux du PM là-bas, pour que François Legault, tel Fantomas, ne fasse que des apparitions surprises, puis disparaisse ? Ou construire entre son bureau actuel et l’Assemblée un nouveau tunnel, ou une nouvelle passerelle, à l’accès contrôlé ? (On me souffle : un troisième lien.)
J’ai de la peine pour lui. Je n’arrive pas à imaginer comment il peut sereinement subir l’obligation qui lui est faite — et qu’il semble accepter — de s’effacer ainsi. De se rapetisser ainsi. Cet homme a d’ordinaire un ego en bonne santé. Le voilà contraint à le refouler quotidiennement. Je ne suis pas médecin, mais je sais que tout ce qui est refoulé finit par vous saloper un organe, à son point le plus vulnérable.
Le départ de Pierre Fitzgibbon est un facteur aggravant. On ne peut se défaire de son frère siamois sans afficher une satanée cicatrice. Il y avait pourtant, dans cet arrachement, une occasion pour François Legault de se grandir. Je n’enlève rien à Christine Fréchette en disant que, comparativement à Fitz, personne n’arriverait (avertissement aux correcteurs : métaphore impropre imminente) à la cheville de sa pointure.
Un seul membre de ce gouvernement peut prétendre connaître l’économie, et l’énergie, autant que le déserteur de Terrebonne : François Legault. Il aurait dû s’autodésigner comme ministre de l’Énergie. Après tout, Jean Lesage était son propre ministre des Finances, Duplessis (Duplessis, François, une référence, non ?) était son propre procureur général. Jacques Parizeau fut, un temps, après une démission, son propre ministre de la Culture.
Legault, ministre de l’Énergie, donc. Pourquoi ? Pour défendre le projet de loi sur l’avenir énergétique du Québec dont il est, au fond, le parrain, sinon le père. Pour qu’on le voie, chaque jour à la commission parlementaire, discuter avec tous ceux qui présentent leurs mémoires : experts, entreprises, écologistes. Legault ne serait pas, comme en conférence de presse ou en période de questions, dans un climat partisan, contradictoire, hargneux. Au contraire, il serait le chef en action, à l’écoute et en dialogue, sur le projet le plus important de son second mandat : doubler la force électrique d’Hydro, planifier l’avenir, décarboner le Québec. Son legs, quoi ! Avec un peu de chance, on le découvrirait tantôt concentré, tantôt souriant, tantôt interrogateur, happant au vol une bonne idée, contrant un argument spécieux, tout investi dans la recherche du bien commun.
Cette commission, avec le premier ministre en vedette dans son rôle le mieux adapté, éclipserait tout le reste de l’actualité politique. Il aurait à ses côtés son ministre délégué (Fréchette, par exemple), à qui reviendrait ensuite la tâche ingrate du débat article par article. Mais c’est le super-premier-ministre-de-l’Énergie Legault qui tirerait les conclusions, annoncerait les amendements/bonifications, récolterait le vote majoritaire, et le crédit, d’une loi historique. Après cette performance, on se poserait la question : n’y avait-il pas quelqu’un d’autre, qui avait écrit ce projet de loi, naguère ? Un nom avec un z dedans ? Cela n’aurait plus aucune importance.
Mais pour prendre une décision aussi conséquente, risquée et potentiellement féconde, il faudrait trouver un François Legault audacieux. Celui qui, il y a 13 ans, a fondé la CAQ. Pas celui qui, aujourd’hui, rase les murs.
(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)
Rapetissement. Rétrécit au lavage. Ainsi qu’au parler*. Voire au seul paraître*? Ce pourquoi l’aura-t-on tenu loin d’caméras, journalistes, médias. A fortiori considérant qu’y aurait-il davantage en ceux-ci d’indu commentariat que d’objectifs reportages qui vaillent…
Eh bien, Harris aurait r’trouvé c’truc (nixonien) d’effacement; en tout cas le mettrait-elle en oeuvre, en s’t’nant loin d’médias (trad), ainsi qu’en souriant généreusement en prime (à la Plante)… Ne peut-on « changer le monde avec un sourire »? C’est en tout cas ce que disait (croire) Justin jadis. Et, de fait, n’est-il nulle part plus à l’aise et à sa place qu’en métro distribuant sourire assorti d’illimitées poignées d’mains.
* chez Dostoïevski, trouve-t-on ces deux énoncés :
« Le silencieux est toujours plus beau que le parleur » et
« Il faut qu’on soit caché pour être aimé; sitôt montré, l’amour disparaît »
Rapetissé? Rapetissant. Et faut se retenir pour ne pas dire rat tout court ou de basse-cour. En tout cas, ça fait — (ou il fait ou nous fait avoir) — assez pitié, merci.
Eût fallu que Trudeau et ses libéraux perdent, la dernière fois. Hier, eût fallu que BQ les fasse tomber immédiatement.
Pendant c’temps… Oh qu’va-ce donc bien au pays du Québec!
Oh qu’c’gars, qui s’était exclamé, lors de son premier Discours d’ouverture, qu’fallait, qu’faudrait, tous, absolument, résolument, en tout temps, vis-à-vis tous, ne jamais omettre ou oublier de faire preuve d’HU MA NI TÉ, en aura inspirée de celle-ci dans le « Réseau », comme en a-t-il été témoigné hier en haut lieu.
Oh qu’c’gars qui, au même moment, puis subséquemment, s’est toujours dit incommensurablement épris d’Éducation first and foremost et d’amour infini des tout petits enfants, inondés d’enseignantes en surplus les attendant impatiemment à l’école; où, malencontreusement par contre, ne peuvent-ils se rendre tous, certains étant, avant, fauchés sur son chemin (ou parfois jusqu’à sa porte même?)
Ah, comme l’illustre bien votre représentation-photo, est-on entre bonne main.
Texte très intéressant, comme toujours ! Toutefois, je pense qu’il est maintenant trop tard pour M. Legault. Demeurer au pouvoir durant 6 ans (bientôt 8 !) assis entre deux chaises, c’est quand même un exploit digne de mention ! Maintenant, on ne le croit plus. Il n’a plus aucune crédibilité. Il a trop souvent renié sa propre parole. Notre système d’Éducation, sa supposée « Première Priorité », n’a jamais été aussi mal en point ! Le « bon père de famille » est devenu un grand-père dépassé, que sa propre famille politique parquera bientôt dans le premier CHSLD venu. Triste fin.
Très bien dit! La chaise entre Québec et Ottawa n’a jamais tenu longtemps et s’est toujours fracassée en emportant de grands hommes/femmes politiques (dont René Lévesque et son beau risque) .