Le scandale des aînés au rabais

Ayant franchi le cap des 65 ans le mois dernier, j’ai pour la première fois eu droit à une réduction lors d’un achat. Deux dollars de rabais pour voir au cinéma l’excellent Le plongeur, de Francis Leclerc. J’y serais allé même sans la réduction, je vous rassure, et on ne peut reprocher aux entreprises privées de tenter d’attirer à leur guise et à coups de rabais des segments de clientèle.

Mais j’attendais de passer ce cap anniversaire pour me prévaloir de la prétendue sagesse des anciens et enguirlander l’État : arrêtez de nous prendre, nous les 65 ans et plus, pour des pauvres.

Nous formons la génération la plus riche de l’histoire de l’humanité. Nous et nos parents, encore vivants pour cause de vieillissement, allons d’ailleurs procéder dans nos testaments au plus grand transfert de richesse jamais enregistré. En moyenne, nous sommes en si bon état financier que plusieurs testaments passent une génération, des grands-parents donnant leurs sous à leurs petits-enfants, avec raison. Leurs enfants devenus vieux ont fini de payer maison et chalet et n’ont pas besoin d’aide.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, l’avoir net moyen des ménages de plus de 65 ans était en 2019 de 640 000 $. C’est six fois plus que pour les moins de 35 ans, presque trois fois l’avoir net des 35-44 ans. Et c’est à eux qu’on offre des rabais dans les parcs nationaux de la SEPAQ, à VIA Rail et dans les transports en commun ?

C’est qu’on a toujours en tête des temps pas si lointains où vieillesse rimait avec détresse. Mais notre action sociale-démocrate des 50 dernières années, la multiplication des outils de retraite et l’enrichissement général ont fait fondre les taux de pauvreté des aînés. Selon la Mesure du panier de consommation, la plus proche du réel, le taux de pauvreté des aînés était encore de 8 % en 2006, mais n’était plus que de 2,3 % en 2020, la moitié du taux général de 4,8 %. (Et qui est, soit dit en passant, le plus faible au Canada.)

L’illusion d’optique est amplifiée par l’attention qu’on porte, avec raison, aux aînés qui sont en CHSLD. Mais ils ne sont au total que 40 000 sur 2,1 millions de Québécois âgés, soit 1,9 % de l’ensemble.

Le fait est que, comme société, nous avons fait un excellent travail de protection de l’immense majorité de nos aînés et que, s’il faut en faire davantage, c’est en s’adressant à la pauvreté restante dans l’ensemble de la population, pas au sommet de l’échelle des âges.

On discute dans plusieurs régions de réductions à offrir pour le transport en commun, qui a cruellement besoin de nouveaux passagers. C’est bien beau d’offrir le passage gratuit ou réduit aux aînés et aux étudiants, sachant que seuls les moins argentés d’entre eux l’utiliseront. Mais ceux qui ont vraiment besoin d’un coup de pouce sont les salariés pauvres. La femme de ménage qui prend le métro à six heures du matin pour se rendre nettoyer les maisons d’Outremont ou de Westmount. L’immigrant qui se rend à son usine d’étripage de volailles ou d’emballage de petits fruits.

Je propose donc que l’État québécois cible ses réductions en fonction du revenu et non de l’âge. Nous disposons depuis Raymond Bachand (l’ex-péquiste et président du Fonds de solidarité égaré au PLQ, où il fut ministre des Finances) d’un excellent outil : le crédit d’impôt pour solidarité. Grâce à lui, près de trois millions de ménages québécois au bas de l’échelle reçoivent un remboursement de leurs dépenses de TVQ et de TPS et une aide au logement. Le crédit est modulé à la fois en fonction de la situation familiale et du revenu. C’est-à-dire qu’il est plus généreux pour les plus pauvres et se réduit à mesure qu’on grimpe l’échelle des salaires.

L’État devrait donc créer une carte solidarité — je propose de l’appeler « Sésame » pour éviter toute stigmatisation — qui peut être remise à tous les bénéficiaires de ce crédit d’impôt. Ils pourraient l’utiliser dans les transports en commun, à la SEPAQ, dans les musées et dans toute entreprise publique ou privée qui voudrait l’accepter pour attirer la clientèle ou faire preuve de solidarité sociale. Elle pourrait aussi être intégrée à la puce de la carte d’assurance maladie ou à la future carte d’identité numérique sur laquelle le gouvernement travaille.

On pourrait décider d’y intégrer un « passeport culture » offrant des prix réduits pour des livres, des films et des spectacles, sachant que ces achats sont souvent hors de portée pour ce segment de la population. Et puisque, parmi nos citoyens les moins fortunés, on compte beaucoup de nouveaux arrivants, ce serait une façon de les inviter à goûter à nos fruits culturels à peu de frais.

La carte Sésame permettrait de résoudre un problème auquel sont confrontés tous ceux qui veulent introduire une « tarification sociale ». Vous ne le savez peut-être pas, mais la vérification du revenu est une pratique courante dans les banques alimentaires : les utilisateurs doivent présenter leur avis de cotisation de l’année précédente pour obtenir leurs paniers gratuits. Ce n’est pas une étape réjouissante.

La Ville de Québec, par exemple, va introduire cette année une réduction de 33 % des tarifs de transport en commun pour ses citoyens les plus modestes. Elle ne sait pas encore exactement comment elle s’y prendra pour identifier les bénéficiaires. Ce dilemme risque de se répéter chaque fois qu’une municipalité ou un organisme voudra offrir un rabais aux plus démunis. La réponse : la carte Sésame. Quelqu’un ouvrira-t-il cette porte ?

(Cet article a d’abord été publié dans Le Devoir.)

4 avis sur « Le scandale des aînés au rabais »

  1. Qui aura l’audace de répondre à cette excellente suggesrion ? Les actifs, souvent importants, devraient aussi être considérés même dans le cas de faibles revenus !!!

  2. Les ainés a petit moyens, ont besoins de payer l’épicerie, le chauffage, l’essence, les vêtements, des choses de bases. Ca prends des coupons de rationnement, on est rendu la. Ceux pour qui c’est moins pire, ok les livres etc … peut-être changer la cartouche d’une plume stylo de luxe est cher, mais les gens avec revenus de base emploient des Bic …

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