Le semeur de cynisme

Un jour, peut-être, un leader politique sortira du rang, prendra le problème à bras-le-corps. Il aura le courage de dire la vérité sur les cancers qui rongent notre démocratie : le mensonge, le cynisme, la démagogie.

Tentons ensemble de mettre des mots dans la bouche de ce chef rêvé. D’abord, il dirait : « Mon adversaire le plus féroce est le cynisme de la population, qui ne s’intéresse plus à la politique. » Puis il en diagnostiquerait les causes. En premier lieu, le manque de transparence : « Prenez la période de questions. On peut poser à répétition les mêmes questions sans avoir de réponse. Et le président ne peut intervenir en disant : “Répondez à une question précise.” » Quelle excellente suggestion : que le président de l’Assemblée puisse juger qu’un ministre — voire le premier ministre — esquive une question.

Ce héros de la démocratie dirait aussi : « Actuellement, il est possible de se faire élire avec une série de promesses », mais, « une fois au pouvoir, de faire le contraire de ses promesses. Il faut un mécanisme, peut-être un arbitre, comme le directeur général des élections, pour que le parti au pouvoir respecte ses promesses. Sinon, on ajoute au cynisme, et les gens votent de moins en moins. » C’est, ajouterait-il, « un défi pour toute la classe politique ». Il avancerait une idée : que, si 50 % des électeurs d’une circonscription le réclament, un député soit démis de ses fonctions et une nouvelle élection soit déclenchée. Y compris dans la circonscription du premier ministre.

Cet homme nouveau verrait plus grand encore et viserait toute la structure : « Je souhaite moins de cynisme, plus de confiance entre les citoyens et la classe politique. Ça passe par un mode de scrutin proportionnel mixte. » Oui, car « la polarisation nuit à ce que souhaitent les citoyens. [Ils] se sentent obligés de voter pour un parti qui parfois ne répond pas parfaitement à ce qu’ils recherchent ». Le chemin vers l’adoption de cette grande réforme est certes semé d’embûches, admettrait-il, lucide, mais, ajouterait-il, « moi, je pense qu’à moyen ou à long terme, c’est incontournable dans toutes les sociétés modernes ».

Cet homme existe. Il a un nom : François Legault. Surtout, il a une date : le 27 avril 2015. C’est le jour où il a annoncé que son parti, une fois au pouvoir, adopterait dix mesures phares pour redonner ses lettres de noblesse à la démocratieterrasser le cynisme, rétablir la confiance. Il a, on le sait maintenant, une date de péremption : le 1er octobre 2018, moment de son accession au pouvoir.

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) n’est pas l’inventeur des reculs, retournements et volte-face. Des promesses brisées jonchent le chemin de presque chacune de nos figures politiques. Les circonstances, parfois, leur ont forcé la main. Des données nouvelles sont apparues qui ont imposé un nouveau diagnostic. Une récession a fait fondre les sommes nécessaires à la réalisation d’une réforme. Une pandémie a paralysé l’État. Mais il arrive qu’aucune de ces conditions ne soit à la disposition du chef pour qu’il puisse justifier de renier sa parole.

En ce qui concerne l’abandon complet de l’offensive anti-cynisme du chef de la CAQ, nous sommes précisément dans ce cas de figure. Pourquoi le nouveau premier ministre n’a-t-il pas proposé de donner au président de l’Assemblée le droit de lui dire de répondre aux questions ? Pourquoi n’a-t-il pas déposé un projet de loi pour la révocation des députés ? Son reniement sur le mode de scrutin est certes le plus spectaculaire, les raisons invoquées (d’abord, la pandémie, ensuite, le fait que cela n’intéresse que « quelques intellectuels ») devenant de plus en plus minables avec le temps.

Loin de vouloir assurer une juste représentation de toutes les tendances politiques au sein de l’Assemblée du peuple, il a d’abord mené une guérilla de tous les instants pour tenter de faire mourir le Parti québécois — qui l’avait pourtant mis au monde politiquement. Il a ensuite refusé de permettre au Parti conservateur du Québec, malgré son demi-million d’électeurs, de mettre seulement le pied dans l’hôtel du Parlement.

La seule question à se poser est la suivante : à quel moment le pourfendeur de cynisme est-il devenu un semeur de cynisme ? Quand le Dr Jekyll est-il devenu M. Hyde ? Mentait-il au moment de livrer ses promesses ou est-il devenu menteur après être devenu chef du gouvernement ?

Nous avons cependant la réponse à cette question au sujet du troisième lien. Puisque, premier ministre, il nous a dit la semaine dernière qu’il ne pouvait, en conscience, débourser une somme aussi grande — 10 milliards —, c’est que, comptable et chef de parti, il mentait en 2018 lorsqu’il a promis de réaliser la chose « coûte que coûte ».

Il n’y a certes aucune bonne façon d’opérer un recul de cette ampleur sans payer un coût politique, mais la médiocrité des arguments avancés, la totale impréparation des députés et des alliés du projet, l’invraisemblance instantanée de la solution de rechange, tout concourt à hisser cet épisode au sommet du podium des ratages politiques de notre histoire.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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