Le (très bref) moment fédéraliste

1baner2Mes amis fédéraliste québécois n’ont pas la tâche facile. D’habitude, après une élection fédérale, ils broient du noir.

Avec Harper et Charest et Ignatieff comme champions de leur cause, on les comprend.

Mais voilà que, lundi le 2 mai, un cadeau inespéré leur est tombé du ciel. Un parti fédéraliste sans racines au Québec a pris un extraordinaire envol.

Je ne les blâme donc pas d’avoir immédiatement pris leur carte du Club optimiste.

Dans La Presse de ce lundi, mon collègue et ami Jocelyn Coulon, néanmoins membre de l’exécutif du très discret groupe « l’idée fédérale », faisait exploser une joie trop longtemps brimée.

Dans un texte intitulé « le moment fédéraliste », il disait entre autre ceci:

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Ce n’est pas seulement la formation bloquiste qui a perdu, mais bien le projet indépendantiste. […]Une victoire est donc une victoire, et les fédéralistes ne doivent ressentir aucune honte à la célébrer.

Ne faire que cela serait toutefois une erreur. Le vrai travail commence, car la dynamique vient de changer pour les fédéralistes au Québec.

Après une longue traversée du désert, leur moment est arrivé, et ils doivent rapidement partir à la reconquête des coeurs et des esprits. […]

Les Québécois savent qu’ils sont différents, mais combien semblables aux autres Canadiens. Ils veulent joindre les autres afin de faire face aux questions communes et non donner une nouvelle chance au fédéralisme.

Ne souhaitant pas jouer le rôle de rabat-joie, je conviendrai avec Jocelyn que la popularité d’un chef fédéraliste comme Jack Layton au Québec présente une opportunité pour le fédéralisme québécois, tout comme l’élection de 58 députés NPD dont on nous assure que la majorité est fédéraliste, du moins en ce moment.

L’avenir est donc ouvert même si, il faut bien le reconnaître aussi, 83% des Québécois ont voté contre le gouvernement majoritaire que le Canada s’est donné.

Mais voilà qu’un autre fédéraliste québécois, Jack Jedwab, ci-devant président de l’Association des études canadiennes, s’est mis en tête de vérifier, par sondage, ce qu’ont vraiment voulu dire les Québécois par leur vote du 2 mai.

Les chiffres révélés ce mardi par Jedwab et Léger Marketing tombent comme une forte averse sur les bourgeons encore fragiles du « moment fédéraliste ».

59%/61%/67%

59% est la proportion de tous les Québécois qui, au lendemain de l’élection, sont en désaccord avec l’affirmation voulant que « le Québec est traité avec le respect qu’il se doit au Canada« . 61% est la proportion d’électeurs québécois du NPD qui pensent la même chose. 67% est la proportion de francophones québécois qui pensent de même.

La pente est donc raide pour le « moment fédéraliste ». C’est une chose de refuser, comme l’écrit Jocelyn, « l’exacerbation des petites différences, l’exploitation des querelles oiseuses » (comme le fait de s’être fait imposer une constitution — un détail). Mais renverser cette perception d’irrespect appellerait toute une correction de trajectoire.

Il serait bon de savoir si ce résultat, très mauvais, pour le fédéralisme dénote au moins une amélioration. Eh bien non. En août 1999, donc il y a 12 ans, le très regretté Conseil pour l’unité canadienne avait réalisé un sondage posant la même question aux Québécois. Résultat ? 57% des Québécois jugeaient ne pas être « traités avec le respect qu’ils méritent ». Il n’y a donc aucun progrès fédéral dans les têtes, malgré le temps qui nous sépare du dernier référendum.

Pour juger l’avant et l’après élection fédérale, cette autre donnée est encore plus instructive :

40%/40%

Voilà le pourcentage de Québécois francophones qui se disent, cumulativement, peu ou pas du tout attachés au Canada. Concentrez-vous bien: le premier des deux chiffres indique le pourcentage tel qu’il s’exprimait en décembre 2010, alors que le Bloc québécois était au zénith. Le second pourcentage révèle le sentiment d’attachement tel qu’il se présente après la défaite historique du Bloc.

Cherchez vous-mêmes dans le tableau, il n’y a aucun changement statistiquement significatif dans l’avant et l’après élection. Zilch. On a vu des « moments fédéralistes » plus significatifs.

54%/57%

Une majorité de Québécois croient que « Les résultats de l’élection fédérale vont diminuer l’influence du Québec sur les décisions fédérales« . C’est vrai pour 54% de tous les Québécois et pour 57% des francophones. Cela augure mal.

Le sondage enchaîne ensuite sur une question à mon avis fort mal rédigée (Jack, applique toi) qui se lit comme suit:

« Avec l’élection de 58 députés du NPD au Québec, je m’attends à ce que l’influence des Québécois dans le Gouvernement du Canada au cours des quatre prochaines années…augmente, diminue, reste le même »

C’est comme si les députés NPD étaient… dans le gouvernement conservateur !! Les répondants, alors, vont dans tous les sens: plus d’électeurs québécois s’attendent à ce que leur influence augmente (43%) plutôt qu’elle diminue (30%) ou reste la même (26%).

Lueur d’espoir pour le « moment fédéraliste »? Si on est jovialiste, peut-être. M’est cependant d’avis que si des Québécois croient que les 58 députés néo-démocrates vont amadouer le gouvernement Harper, ils se préparent une grave désillusion.

Assez pour provoquer un « moment souverainiste » ? Je m’arrête là. Je ne veux pas davantage assombrir l’humeur des membres de l’Idée fédérale. Pour une fois qu’ils sourient…

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !