Le Verdict sur François Legault: -45%

La plateforme est presque aussi efficace que Tout le monde en parle. Quelque 891 000 personnes ont écouté lundi l’émission Le Verdict, animée par Véronique Cloutier, qui confronte ses trois invités à des résultats de sondage à leur sujet.

François Legault était le troisième invité cette semaine, un peu mal à l’aise aux côtés de l’hyper-sexuelle Anne-Marie Losique, mais prompt à passer ses messages.

Le principal est celui-ci, sur lequel il est revenu deux fois et qu’il répète devant tous les micros:

Le revenu moyen au Québec est 45% moins élevé qu’aux États-Unis. Pas 4 ou 5 %, 45%. […] À partir du moment où le revenu moyen aux États-Unis est 45% plus élevé qu’au Québec, c’est-à-dire que pour des taux d’impôts équivalents, les Américains collectent 45% plus d’impôts et de taxes que le Québec. Comment on peut compétitionner avec ça ? Il y a quand même une limite !

Le seul problème avec ce chiffre de 45% est qu’il est faux. Et que François Legault est assez informé et intelligent pour le savoir. C’est donc volontairement qu’il utilise à répétition une statistique à la fois erronée et trompeuse.

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Au Verdict: Un politicien qui joue avec les chiffres comme les autres ?

Certes, le chiffre existe. François ne l’a pas inventé. Il a été calculé par l’OCDE pour comparer le produit intérieur brut par habitant entre les États-Unis et le Canada (notez: pas le Québec, le Canada). L’OCDE adapte son calcul en tenant compte du coût de la vie dans chaque pays.

Le problème est que l’OCDE s’est trompé. Statistique Canada lui a tapé sur les doigts et a démontré (publication 13-604-M, no 064, page 12 et tableau 2) que l’OCDE surestime considérablement le pouvoir d’achat américain par rapport au Canadien. Selon Statistique Canada, l’écart entre les deux pays n’est pas le 45% dont parle François Legault, mais plutôt 29%.

Et si on tenait compte de la réalité québécoise ?

Mais Legault parle du Québec, et pas du Canada. Pour être rigoureux, il devrait ajuster ce chiffre en fonction du pouvoir d’achat, non de la moyenne canadienne, mais de la réalité québécoise qui, il le sait très bien, est avantageuse pour les Québécois.

Il sait aussi que ces calculs existent, gracieuseté de l’économiste Pierre Fortin utilisant les données de Statistique Canada sur le coût de la vie.

Ainsi, l’écart passe de 45% (ce que François dit) à 29% (dixit Statistique Canada pour le Canada) à 21% (une fois ajusté pour le Québec).

À ce point du calcul, Legault aurait techniquement raison d’affirmer que « le niveau de vie » Québécois est inférieur de 21% à celui des États-Unis. Techniquement.

Mais il sait que, en pratique, il utilise un terme économique qui n’a pas la même signification pour les  891 000 téléspectateurs non-économistes qui l’écoutent. Pour les gens normaux, le « niveau de vie moyen » signifie le niveau de vie des gens normaux, de la classe moyenne.

Leur dire que leurs voisins américains jouissent d’un niveau de vie supérieur de 21% ou, encore pire, de 45% c’est les tromper en leur faisant croire que l’Américain moyen est significativement plus riche que le Québécois moyen.

Mais c’est faux. Comme Pierre Fortin et moi l’avons démontré ici, l’écart entre nous et nos voisins est complètement absorbé par la scandaleuse accumulation de revenus chez les 5% des Américains les plus riches. Les États-Unis sont une société malade de leur inégalité et affichant un niveau anormalement élevé de pauvreté pour un pays occidental.

Lorsqu’on soustrait les 5% des Américains les plus riches de cette équation, on se rapproche d’une réelle comparaison entre les Américains et les Québécois moyens, et voici ce qu’on obtient, pour 2007:

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Bizarre ! On ne voit pas le 45% supplémentaire !

En fait, 95% des Québécois ont un niveau de vie légèrement supérieur à 95% des Américains. Mais pour y arriver, nos voisins du Sud doivent travailler en moyenne… 270 heures de plus par année ! Environ 15% de plus ! Dans les faits, donc, profitant de cette richesse qui est le temps, la quasi-totalité des Québécois sont significativement plus riches. (Pour les détails et les calculs, voir ici.)

Notez, ce sont les chiffres de 2007, donc avant la crise économique qui a été beaucoup plus dure chez nos voisins du Sud que chez nous. Les chiffres pour 2010 et 2011 seront encore plus avantageux pour le Québec (le délai dans la production de ces chiffres tient au calcul des revenus du 1% et du 5%, disponibles plus tardivement que les autres données).

Mais, peut-être François est-il plus près de la réalité si on réinsère dans le calcul presque tous les riches Américains, et qu’on compare 99% des Québécois avec 99% des Américains:

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Encore plus bizarre ! Le 45% est toujours absent !

Ici, l’écart de niveau de vie en faveur des Américains est de 4%, soit 10 fois moindre que ce qu’affirme Legault. Mais, encore une fois, les Américains travaillent en moyenne 270 heures de plus par an pour s’offrir ce 4%. C’est beaucoup.

L’autre versant de l’argument

Pour ce qui est de la capacité fiscale comparée du Québec et des États-Unis, le chiffre de 21% du PIB devrait, là, s’appliquer. Théoriquement, nos voisins disposent d’une base fiscale 21% plus étendue que la nôtre — et que de la plupart des pays occidentaux, sinon tous.

Mais voilà comment la théorie s’échoue sur le réel: le système politique américain refuse d’utiliser cette base fiscale, par pure idéologie néo-libérale. Leur fiscalité sur cette richesse supplémentaire (les 21% captés par les super-riches) est la plus faible en Occident et la plus faible depuis… les années 1920 !

Il est donc également faux de dire qu’on ne peut pas compétitionner sur le plan fiscal, puisque les Américains se mettent eux-mêmes hors-jeu.

François Legault a décidé de faire d’un écart imaginaire de 45% de revenu avec nos voisins son argument principal pour convaincre les Québécois d’accepter des réformes importantes (quoique, pour l’instant, il ne demande de sacrifices réels qu’aux profs et aux étudiants).

Il est dommage qu’un homme de sa valeur, s’élevant contre le cynisme ambiant, s’entête à tromper ainsi les citoyens. Je le tiens en assez haute estime pour espérer qu’il se ravise.

Note en petits caractères :

Les billets « Temps durs pour les détracteurs du modèle québécois » ne prétendent pas que tout est parfait au Québec, tant s’en faut. L’auteur a d’ailleurs proposé, dans ses ouvrages et sur ce blogue, des réformes nombreuses et importantes visant à surmonter plusieurs des importants défis auxquels le Québec est confronté. Cependant, la série permet de percer quelques trous dans le discours ambiant qui tend à noircir la situation globale du Québec qui, pourtant, affiche d’assez bons résultats comparativement aux autres sociétés semblables.