Il n’est absolument pas impossible que Jean Charest devienne, d’ici quatre ans, premier ministre du Canada. Oui, il a présidé à une période trouble de l’histoire récente du Québec. Oui, il a déclenché des élections en cachant aux Québécois que la Caisse de dépôt venait de perdre 40 milliards de dollars et en promettant qu’il ne ferait pas de déficit malgré la crise financière de 2008, ce qui était clairement mensonger. Oui, l’immense majorité des Québécois ont jugé que son gouvernement était corrompu. Oui, il est à ce jour le suspect numéro un dans une enquête sur la corruption menée par l’UPAC.
Tout cela est vrai et bien plus encore. N’empêche. Les parieurs seraient bien avisés de miser sur sa candidature à la direction du Parti conservateur, puis sur ses chances de déloger un Justin Trudeau affaibli par huit ans de pouvoir maladroit.
Il y a une raison, par-dessus toutes, de redouter l’avènement d’un gouvernement canadien dirigé par Jean Charest, au-delà même de ses grands talents pour le mensonge et son absence d’atomes crochus avec l’éthique. C’est le cynisme sans nom dont il a fait preuve en 2012. Il comptait sur la violence pour se faire réélire. Cela vous surprend ?
Rappelons les faits. Son gouvernement proposait d’augmenter de 82% en quelques années les droits de scolarité des étudiants. Les associations étudiantes s’y opposaient et ont déclenché un mouvement de grève massif.
Du droit nouveau
Les gouvernements précédents avaient accepté le fait qu’il y avait un cycle dans les grèves étudiantes. Elles étaient déclenchées par les étudiants les plus revendicateurs, qui dominent les assemblées générales en début de grève. Puis les étudiants plus conservateurs se mobilisaient pour faire cesser le mouvement.
Mais le gouvernement Charest a introduit l’idée complètement neuve, et très conservatrice, du « droit individuel d’étudier ». Il a encouragé les étudiants anti-grévistes, non à participer à la démocratie étudiante, mais à contester en cour l’idée même que la grève leur enlève le droit d’entrer en classe.
Jamais l’idée d’obtenir une injonction pour aller au cours n’avait été testée. Le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, a refusé d’accorder une des premières injonctions réclamées, jugeant que le droit de grève étudiant constitue « l’exercice d’un droit constitutionnel ou quasi-constitutionnel». Cette approche aurait pu faire école et renvoyer tous les étudiants mécontents vers leurs assemblées. Mais le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, a pris sur lui de s’attribuer la totalité des demandes d’injonction et de les accepter toutes, créant du droit nouveau, imposant le primat du droit individuel sur le droit collectif.
Résultat: des étudiants grévistes outrés ont défié l’injonction, tenté de bloquer l’accès aux cours. Les policiers, c’était leur rôle, ont voulu appliquer l’injonction et disperser les lignes de piquetage. L’affrontement était inévitable. De manière répétitive, sur plusieurs campus, pendant plusieurs jours, une force policière considérable a dû être déployée, causant des dommages physiques réels et une cassure profonde entre les forces de l’ordre et une partie de la relève québécoise. Les cours ont dû être suspendus.
Ce n’était pas la première fois que des grèves étudiantes provoquaient des violences. L’approbation des gestes violents par l’organisation étudiante la plus radicale, la CLASSE, et la présence plus grande qu’auparavant des anarchistes violents et du Black Bloc ont contribué à la flambée de violence de façon évidemment complètement condamnable.
Le choix de la polarisation
Cependant c’est le gouvernement Charest, appuyé par le juge en chef de la Cour supérieure, qui a créé les conditions de l’affrontement et qui avait la responsabilité de retrouver les conditions du calme. Il pouvait le faire en misant sur la négociation, le compromis et sur l’immense majorité des étudiants et de leurs partisans qui étaient non-violents.
Il a au contraire joué sur la polarisation maximale de la situation et a assimilé toutes les associations étudiantes et leurs supporters à la violence. Sa ministre Christine St-Pierre a même accusé le conteur Fred Pellerin, qui portait comme plusieurs le carré rouge, symbole de la grève, de se faire le complice de la violence.
M. Charest a ensuite introduit une loi qu’il a dite « fondatrice », la loi 78, forçant le retour aux études à la mi-août 2012 et menaçant de sanctions délirantes les associations étudiantes, les professeurs et les directeurs d’établissements qui refuseraient de se rendre aux cours, donc de se lancer dans la mêlée, même au risque de matraques et de gaz irritants. Notons que cette loi fut votée avec l’appui de la CAQ et de François Legault.
À l’époque, la loi sur les élections à date fixe n’existait pas. Le premier ministre choisissait la date de l’élection pour maximiser ses chances de succès. M. Charest avait affirmé qu’il était « grotesque et ignoble » qu’il choisisse la période de rentrée forcée des classes pour appeler les Québécois aux urnes. C’est pourtant précisément ce qu’il a fait.
Le tréfonds de la personnalité de Jean Charest
C’est ici qu’on entre dans le tréfonds de la personnalité politique de Jean Charest. Qu’on pénètre dans son recoin le plus obscur. À cette étape de sa vie politique, 70% des Québécois se disaient insatisfaits de son gouvernement. Ni l’économie, ni les baisses d’impôts, ni le Grand Nord ne lui offrait quelque chance de salut. Pire, dans quelques mois, à l’automne 2012, la Commission Charbonneau qu’il avait été contraint de créer allait commencer à entendre des témoins qui, peut-être, allaient éclairer les citoyens sur l’ampleur de la corruption libérale. Cela pourrait être politiquement terrible.
Mais voilà : suffisamment de Québécois tenaient les étudiants responsables de la violence, plutôt que l’État, pour offrir à Charest une chance de salut. Il représentait la loi et l’ordre. Les étudiants: l’illégalité et le désordre. S’il pouvait canaliser l’élection sur ce seul sujet, il avait une chance réelle de survivre.
Encore fallait-il que la violence soit au rendez-vous, encore fraîche à la mémoire des électeurs. D’ou son calendrier électoral: mi-août rentrée des classes, refus des associations étudiantes de laisser entrer les non-grévistes, nouveaux affrontements violents entre étudiants et policiers. Avec en vedette Gabriel Nadeau-Dubois de l’association CLASSE, alors leader étudiant radical, vu le plus souvent à la télé, haranguant les foules de jeunes.
Charest avait soigneusement choisi la date de l’élection pour que ces scènes de violence se déroulent à partir du début de la campagne. Juste avant les débats où, tel un Richard Nixon des temps modernes face aux nouveaux hippies, le chef libéral se poserait comme le vengeur de la majorité silencieuse, de la loi, de l’ordre et des visages bien rasés, contre tous ces anarchistes violents arborant carrés rouges et barbes de trois jours. Sa victoire, dans ces conditions, serait son plus grand exploit en carrière.
Restait un détail: que les étudiants jouent bien sagement la partition qui était prévue pour eux dans ce drame annoncé.
Or ils ont fait preuve d’une maturité que Charest et ses stratèges n’anticipaient pas: ils sont rentrés en classe. Ils ont voté une trêve électorale. Il y en a un — le plus populaire d’entre eux — Léo Bureau-Blouin, qui s’est présenté sous les couleurs péquistes. Il a poussé au vote, plutôt que de pousser au crime. Mais, bon, on le savait modéré.
Mais il y en avait un autre, l’épouvantail favori des Libéraux, celui qu’ils adoraient détester, Nadeau-Dubois, qui a candidement annoncé qu’il se retirerait de ses fonctions, et de la scène. Il a quitté, a-t-il dit avec sagesse, « pour enlever une cible à Jean Charest ».
Privé de son scénario de rêve, Jean Charest a mordu la poussière lors de l’élection de septembre 2012. Mais sa marge de défaite était extrêmement mince, moins de 1% d’écart avec le Parti québécois vainqueur, malgré toutes les casseroles qu’il traînait. Il est pratiquement certain que si son plan avait fonctionné, si la violence avait essaimé sur les campus en août 2012 comme il le désirait, il aurait arraché sa réélection sur le dos du poivre de cayenne, du sang et des fractures de tibias.
En 2020, à huit ans de distance, on se souvient peu de ces événements. Pas parce que Jean Charest ne les a pas voulus, organisés, prémédités. Mais parce que les étudiants ont désamorcé sa bombe.
Il faut s’en souvenir. Car il montre jusqu’où Jean Charest était prêt à se rendre pour assurer sa réélection: jusqu’à l’organisation consciente, à des fins électorales, de l’affrontement violent entre les forces de l’ordre et une partie de la jeunesse québécoise.
La réponse de JFL à Me Pellerin laisse pantois. Je crois qu’il y a beaucoup de mauvaise foi là-dedans.
JFL en aurait-il échappé une ???
D’autant plus que lors des grèves, il était tellement évident que la majorité des étudiants étaient prêts à accepter le hausse de frais et qu’ils se sont fait manipuler par les extrémistes qui avaient un agenda caché, genre « casser le système ».
Ça donnera plus de chance au Bloc Québécois.
non mais…c’est tout simplement qu’on ne votera pas pour lui , un point c’est TOUT .
Monsieur Lisée,
Vous affirmez que « jamais l’idée d’obtenir une injonction pour aller au cours n’avait été testée avant que Monsieur le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, ait refusé d’accorder une des premières injonctions réclamées, jugeant que le droit de grève étudiant constitue «l’exercice d’un droit constitutionnel ou quasi-constitutionnel» ». Vous prétendez, ensuite, que l’honorable Juge Rolland se soit « attribueé la totalité des demandes d’injonction dans le but de les accepter toutes, créant du droit nouveau, imposant le primat du droit individuel sur le droit collectif ».
Or, ces affirmations sont totalement fausses et j’entends en faire ici la démonstration.
D’abord, je précise que je n’ai pas l’intention de m’avancer sur les théories du complot visant Monsieur Charest; l’objectif des présentes ne portera que sur les injonctions étudiantes et l’État du droit. Je ne me prononcerai pas, non plus, sur l’aspect politique de la chose.
Ensuite, je tiens à dénoncer, pour fins de transparence, que j’étais professionnellement impliqué dans ces injonctions étudiantes, puisque j’ai fait partie de ces avocats qui ont obtenu une injonction pour permettre à des étudiants d’accéder à leurs cours. On m’a, même, surnommé « l’avocat des carrés verts ».
Alors, permettez-moi de présenter un récapitulatif de l’historique des injonctions étudiantes avant que l’honorable François Rolland, alors juge en chef à la Cour supérieure, se saisisse pour la première fois d’une demande d’injonction étudiante, le 3 mai 2012, dans l’affaire Mahseredjian c. Collège Montmorency, 2012 QCCS 2276 (CanLII).
J’ai recensé, entre le 30 mars et le 2 mai 2012, 19 jugements au sujet des injonctions étudiantes, desquels trois demandes ont été refusées (et donc 16 acceptées, soit la vaste majorité) :
1. Charrette c. Chaudier (Association des étudiants en droit de l’Université de Montréal (AED)), 2012 QCCS 1541 (CanLII)
Le 30 mars 2012, Monsieur le Juge Luc Lefebvre conclu en l’absence d’urgence et de préjudice grave, puisque la grève n’avait été votée que pour une durée de deux jours (il ne s’agissait pas d’une grève d’une durée illimitée), ce qui ne mettait pas en péril la session du demandeur.
2. Louati c. Université du Québec à Rimouski, 2012 QCCS 1728 (CanLII)
Le 28 avril 2012, Madame la Juge Johanne April conclu en l’absence d’urgence et de préjudice grave, car la direction de l’Université du Québec à Rimouski avait produit un affidavit attestant que la session pouvait être prolongée sans préjudice, dans les délais du 30 juin, puisqu’une entente avec les enseignants avait été conclue pour reprendre les cours.
3. Beausoleil c. Cégep régional de Lanaudière, 2012 QCCS 1673 (CanLII)
Le 20 avril 2012, Monsieur le Juge Marc-André Blanchard conclu en l’absence d’urgence, puisqu’il n’avait pas été démontré que le Cégep de Lanaudière ne pouvait pas compléter les sessions dans les délais du 30 juin et, donc, qu’il n’y avait pas de preuve à l’effet que la session des étudiants était en péril.
Tel que résumé ci-précédemment, les motifs derrière les refus d’accorder les demandes d’injonctions n’avaient rien à voir avec un prétendu droit constitutionnel ou quasi-constitutionnel à la grève étudiante. Il s’agissait, plutôt, d’une question factuelle de preuve : Les demandeurs ont-ils été en mesure de démontrer l’urgence et le préjudice irréparable qui les affligeait. Les cas refusés le furent dans un contexte où la durée de la grève était trop courte pour causer un préjudice grave, que les professeurs avaient accepté de reprendre les cours en modifiant et prolongeant leur horaire de travail ou, encore, qu’il n’avait pas été démontré que l’institution scolaire ne pouvait pas respecter ses obligations de compléter la session au 30 juin.
Plus est, lorsque vous référez au jugement de l’honorable Marc-André Blanchard, Juge à la Cour supérieure, vous détournez volontairement ses propos afin de satisfaire votre agenda politique. En effet, vous affirmez qu’il a déterminé que le droit de grève étudiant constituait un droit constitutionnel ou quasi-constitutionnel, alors que ce qu’il a affirmé était ni plus ni moins que le contraire de ce que vous lui faites dire! Je vous réfère au paragraphe 9 de son jugement, reproduit ci-après:
« 9 CONSIDÉRANT dans ce contexte d’absence de droit clair que d’un côté quant à la prépondérance des inconvénients, il existe à l’égard de l’Association générale des étudiants et des étudiantes du Cégep de Lanaudière, l’exercice d’un droit constitutionnel ou quasi-constitutionnel en l’occurrence le droit à la liberté d’expression qui s’oppose à un droit de grève étudiante qui bien qu’extrêmement important ne constitue pas un droit constitutionnel ou un droit quasi-constitutionnel; »
Enfin, quant à l’intervention de Monsieur le Juge Rolland, elle a eu lieu après que 17 autres juges aient tous rendus des jugements accueillant les injonctions étudiantes pour les mêmes motifs en droit et devant des faits largement similaires. L’objectif de Monsieur le Juge Rolland était d’améliorer l’efficacité de l’administration de la justice, ainsi que de réduire les frais d’avocat des justiciables, et non pas de renverser un courant jurisprudentiel inexistant. En effet, lorsque je plaidais devant Monsieur le Juge Rolland, la durée des auditions n’était que de quelques dizaines de minutes, alors que ma toute première injonction, devant Monsieur le Juge Mongeon, a duré une journée complète! Le fait de procéder devant le même juge permettait des économies de temps importantes, ne serait-ce qu’en permettant d’éviter la lecture des mêmes jurisprudences encore et encore.
Il me semble avoir entendu qu’en politique, la fin justifie les moyens. Dans un tel contexte, écrire une chronique et la reproduire sur un blogue lu par des avocats (Droit inc.), dans laquelle vous détournez volontairement les propos d’un magistrat quant à l’état du droit, pour ensuite prétendre à une théorie du complot impliquant l’ancien juge en chef de la Cour supérieure, constitue une insulte à l’intelligence et un affront au droit. Si vous étiez avocat, nul doute que vous auriez à répondre au syndic du Barreau pour avoir manqué d’agir avec dignité, honneur, respect, modération et courtoisie, et que vos propos à l’égard de l’honorable François Rolland constituent des propos dérogatoires.
Me Damien Pellerin, avocat
N.B. : Je joins un hyperlien vers mon tableau excel des jugements rendus entre le 30 mars et le 3 mai 2012, contenant un résumé des informations pertinentes, ainsi que les références et hyperliens pour que vous puissiez prendre connaissance desdites décisions : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1gOVtysAVwA8rRdCvWDhPuSMTpt5bKlV8YWx3b6iQSII/edit?usp=sharing
Cher Me Pellerin,
Je vous ai lu attentivement et je juge que vos arguments ne mettent nullement en cause mon résumé des événements en ce qui touche la jurisprudence.
D’abord je n’ai nulle par écrit que le juge Blanchard avait été le premier à rendre un jugement sur ce point.
Contrairement à ce que vous affirmez, je cite très correctement le juge Blanchard lorsqu’il affirme la prédominance du droit à la grève « droit constitutionnel » sur le droit individuel à se présenter au cours, « pas un droit constitutionnel ».
Il affirme donc une façon de voir les choses, dans ce litige qui n’avait, avant le printemps 2012, jamais été jugé.
Le fait que le juge en chef prenne ensuite toutes les causes semblables accélère certainement la cadence, mais puisqu’il prend une position opposée à celle du juge Blanchard, il fixe ce droit nouveau pour la suite.
Bien cordialement,
Jean-François Lisée
Il faut faire une liste exhaustive de toute l’action trouble de J Charest pour avoir un portrait global du recul qu’il a fait subir à la nation québécoise.
Capitaine Canada, clan du NON, magouille, mensonges etc….
Merci M. Lisée.