Le vrai message du Bonjour-Hi

Vous me direz que j’ai des passe-temps bizarres mais, je l’avoue, j’aime écouter les entrevues accordées par nos leaders politiques à des médias anglophones. C’est là qu’on avait entendu François Legault affirmer qu’on donnait trop d’importance à la connaissance du français dans la sélection des immigrants. C’est là qu’on a entendu Manon Massé annoncer que dans un Québec indépendant à-la-solidaire, l’anglais serait aussi une langue officielle (elle s’en est excusé, puis l’a répété dans une autre entrevue, s’excusant à nouveau).

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)


L’entrevue qui m’a le plus retourné fut celle où l’alors premier ministre Philippe Couillard tentait de se dépatouiller de la crise provoquée par le « Bonjour-Hi ». En novembre 2017, je l’avais amené à voter à l’Assemblée nationale une motion rappelant que «Bonjour est un des mots de la langue française les plus connus chez les non-francophones du monde» et qu’il «exprime magnifiquement la convivialité québécoise». Voilà pourquoi, concluait la motion adoptée unanimement, l’Assemblée nationale «invite tous les commerçants et tous les salariés qui sont en contact avec la clientèle locale et internationale à les accueillir chaleureusement avec le mot Bonjour».

Pensant n’avoir qu’enfoncé une porte ouverte, le bon docteur Couillard fut estomaqué de voir ses ministres anglophones se dissocier de la motion et d’entendre les radios anglo-montréalaises monter aux barricades comme si le ciel linguistique leur était tombé sur la tête. « Je ne comprends pas, a-t-confié sur un ton empreint de sincérité sur les ondes de CJAD. Je viens de relire la motion et je la trouve très correcte ». Il s’engageait néanmoins fermement à ne lui donner aucune suite.

Ils ont choisi le Québec

Une information cruciale lui avait échappé. L’immense majorité des Anglos-Montréalais n’ont jamais accepté l’idée que le français devrait être notre langue commune. Je fus pendant 18 mois ministre chargé des relations avec nos Anglos et j’ai pris conscience du fossé conceptuel qui nous sépare. Globalement, nos concitoyens estiment à bon droit avoir consenti depuis 40 ans un effort considérable pour apprendre le français et devenir bilingues (à 70%). Toute conversation sur le sujet débouche rapidement sur une expérience personnelle déterminante : entre 1960 et 1990, environ 600 000 Anglos ont quitté le Québec pour vivre en anglais ailleurs sur le continent. Chaque Anglo-Québécois a des frères, des oncles, des amis qui ont choisi de tourner le dos au Québec d’aujourd’hui. Mais eux sont restés. Malgré ces déchirements, ils ont fait le choix du Québec et estiment n’en retirer, de la part des francophones, aucune reconnaissance.

Cliquez pour commander. Versions numériques disponibles.

Avant, ils disaient Hi. Aujoud’hui, ils disent Bonjour-Hi. Voyez le chemin parcouru ? De l’unilinguisme à la prédominance du français. De leur point de vue, l’étape suivante, le Bonjour seul, équivaut à l’effacement de leur présence. Ça ne passe pas.

Dans l’enquête réalisée par le Journal de Montréal sur l’augmentation des cas où les clients sont reçus en anglais seulement dans des commerces de la métropole, on trouvait cette anecdote très révélatrice. «On est au centre-ville, a expliqué une employée du magasin Victoria’s Secret. Souvent, lorsqu’on accueille des clients en français, certains le prennent personnel et on se fait crier après.» Elle parle évidemment de clients anglophones, outrés qu’on les aborde dans la seule langue de Molière. Par conséquent, poursuit cette employée, certains collègues préfèrent s’adresser aux clients en anglais, par crainte de représailles.

Il est probable que ces cas soient peu nombreux. Suffisamment cependant pour moduler la réponse des commis pour éviter ces esclandres. On peut aussi penser que les clients francophones abordés en anglais ne manifestant pas la même agressivité, la solution coule donc de source. Le Bonjour-Hi est pour le personnel commercial montréalais un bouclier contre la mauvaise humeur de certains Anglos et une façon de savoir en quelle langue ils doivent poursuivre leur conversation. (J’avoue m’amuser parfois en leur répondant moi-même « Bonjour-Hi », ce qui provoque chez l’employé un bref choc synaptique.)

La controverse autour du Bonjour-Hi incarne donc parfaitement le défi auquel est confrontée la santé du français dans la métropole : la profonde résistance à la notion du français langue commune. Il n’est pas inutile de rappeler que selon Statistique Canada, dans ce Québec où, selon la loi 101, le français devrait être la langue normale et habituelle du travail, seulement le quart des Anglos œuvrent dans un lieu de travail principalement francophone (30% n’y utilisent jamais le français) et moins de la moitié des Allophones sont dans une entreprise où ça se passe principalement en français (20% n’y utilisent jamais le français).

De tous les indicateurs pointant vers une bilinguisation du réel, le pire, et rarement cité, est celui-ci. Selon Statistique Canada le nombre d’entreprises montréalaises qui opèrent de façon intégralement bilingue est passé de 9% en 2006 à 15% en 2016. C’est la bande-annonce du Montréal de demain.

René Lévesque et Camille Laurin ont opéré des changements titanesques en 1977, notamment en éducation et dans l’affichage, pour freiner le déclin. Après une brève embellie (due pour beaucoup à une immigration modérée en nombre et encline au français), le déclin est de retour. L’effort à déployer pour renverser à nouveau la tendance et établir pour la prochaine génération le français langue commune, doit être du même ordre. Comme on le dit de plus en plus dans nos entreprises montréalaises : Go Big or Go Home.


Cliquez pour vous renseigner ou vous abonner.
Ce contenu a été publié dans Anglo-Québécois, Langue par Jean-François Lisée, et étiqueté avec , , , , . Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !