Il manque une consonne à l’annonce faite ce lundi par le couple François Legault/Charles Sirois. Je dirais qu’il manque un « R ». Pour Révolutionnaire.
Car le document que lui et sa douzaine de cosignataires ont publié est un agréable assemblage de bonnes intentions, ce qui est bien, mais qui ne va pas au delà des bonnes intentions, ce qui est un peu court.
Ce parti-pris pour l’eau-de-vaisselle politique s’incarne même dans le nom du groupe: la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ). Humm. Cela n’écarte pas beaucoup de monde. La plupart des gens que j’ai rencontrés dans ma vie étaient plutôt favorables à l’avenir. Aurait-il été trop engageant de se prononcer également contre la lèpre et les feux de forêts ?
Ce lundi matin, j’écoutais sur les ondes Mario Dumont, qui a l’expérience des propositions innovantes. Lorsqu’on n’en est qu’à l’étape du groupe de réflexion, affirmait-il, et qu’on n’ose pas avancer des propositions qui dérangent « qu’est-ce que ce sera lorsqu’ils seront à la veille de l’élection ? »
L’équipe Legault nous demande d’être patients. D’ici décembre, quatre documents plus mordants seront publiés. On verra alors vraiment de quel bois ils se chauffent.
On ne pourra donc juger de cette stratégie qu’au point d’arrivée. Mais il semble clair que MM Legault, Sirois et cie ont décidé de ne pas effrayer les électeurs en leur disant tout de suite qu’ils veulent augmenter leurs tarifs d’électricité ou l’ensemble de la tarification (ils affirment au contraire que ce n’est pas leur intention) ni en leur disant comment ils veulent rétablir l’équilibre des finances publiques autrement qu’en réformant l’État. (Une exception est faite pour les étudiants: leurs frais de scolarité vont augmenter.)
Il n’est pas impossible de penser qu’il est en effet plus sage de profiter de l’effet d’annonce d’aujourd’hui en offrant de grands thèmes rassembleurs, sans brusquer le citoyen, puis de faire augmenter la température de l’effort demandé petit à petit. C’est l’approche évolutionnaire.
Une question qui dérange
Admettons d’abord que François Legault a gagné un de ses paris: se présenter avec des alliés provenant du cheptel fédéraliste. Charles Sirois, ci-devant ancien recruteur de candidats pour Jean Charest, a une main sur le volant. Même s’il affirme ne pas vouloir s’engager dans le combat politique — il ne sera pas candidat — et ne participer que de façon épisodique à la tournée qui s’amorce. L’ex-recteur et candidat libéral fédéral Bruno-Marie Béchard Marinier (qui gagnerait du temps à se faire appeler BMBM) est également une excellente recrue.
En fait, de toute l’équipée, la personne dont on peut le plus se demander ce qu’elle fait là est François Legault. Les politiques manageriales qu’il propose pour réformer l’Éducation et la Santé ? Il en avait appliqué les premiers éléments lorsqu’il était ministre de l’éducation et de la santé, sans qu’il rencontre la moindre résistance significative chez ses collègues péquistes.
Les mesures de nationalisme économique qu’il avance sont largement partagées par ses ex-collègues du parti de René Lévesque, Parizeau, Landry et Marois. On en retrouve de fortes traces dans l’actuel projet de programme péquiste. Sans parler, évidemment, du couplet favorable à la langue et à la culture française que le groupe entonne. Du copier-coller péquiste, légèrement édulcoré, tout simplement.
Bref, à cette lecture, on est en droit de se demander pourquoi François Legault croit bon de faire tout ce détour de création d’un mouvement et d’un parti, plutôt que d’avoir pris le contrôle du PQ à la faveur de — je dis ça au hasard — une course à la direction? Et ce n’est pas seulement pour tourner le fer dans la plaie que j’ajoute que la personne qui a remporté une des courses à la direction dont François fut absent, André Boisclair, a précisément fait de l’éducation la priorité de sa campagne.
Ses ambitions étaient moins précises que celles avancées aujourd’hui par le co-président de la CAQ, mais rien ne l’aurait empêché, s’il avait concouru et avait gagné, d’imposer ses propres thèmes.
Demain, c’est l’avenir
Mais cessons de vivre dans le passé. Le couple Legault-Sirois a décidé de commencer par surfer. Surfer sur la volonté populaire de la nouveauté et du changement.
Ils n’ont pas beaucoup de mérite, je le dis sans méchanceté. Parmi les personnes qui ont voulu surfer sur leurs lunes de miel dans l’électorat québécois, on compte notamment Jean Charest (défait à l’élection de 1998), Paul Martin (en chute libre peu après) et le meilleur des meilleurs: l’alors nouveau chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion.
Oui, oui. Même Stéphane Dion a eu sa lune de miel, de plusieurs mois, au Québec.
Puis il y a l’ADQ, qui a successivement représenté le changement, puis l’a tellement incarné, un peu gauchement, qu’il a fait fuir l’électeur centriste.
On trouve sans doute là l’exemple-repoussoir utilisé par la CAQ. Comment introduire, une à une, des propositions de changement sans faire éclater la bulle que constitue l’attrait de la nouveauté ?
Comment passer d’évolutionnaire à révolutionnaire en gardant derrière soi un électorat qui aime le changement mais répugne à passer à la caisse ? Comment, donc, faire une omelette sans casser d’œufs ?
Voilà ce qu’on saura, chers internautes, pendant les prochains épisodes de l’avenir du Québec.