Legault face au Péril Orange

C’est quand même bizarre, cette obsession. À la sortie du débat de jeudi dernier, le premier ministre a montré son jeu, affirmant que son premier objectif avait été de dénoncer Québec solidaire et son appétit fiscal envers la classe moyenne.

On comprend l’homme d’affaires Legault de ne pas adhérer à la doctrine solidaire. Mais il a amplement de quoi s’opposer aussi aux autres partis qui tentent de lui ravir des sièges. Ses députés sortants en Beauce et dans certaines circonscriptions de Québec ont dû être très étonnés d’apprendre que la menace venait des solidaires et non d’Éric Duhaime, capable, lui, de réunir 3000 personnes dans la capitale.

La réalité est que face au Goliath caquiste, quatre David font aller leurs lance-pierres vers des zones variées de son anatomie politique. Les libéraux affrontent la CAQ à Laval et en Outaouais. Éric Duhaime lui mord les jarrets noirs en Beauce, à Lévis et dans Chauveau. Le Parti québécois résiste à sa tentative d’invasion dans l’Est — Gaspésie, Côte-Nord —, ainsi qu’à Joliette, et veut se saisir de Camille-Laurin. Le parti orange dérange la CAQ, oui, mais seulement en Estrie, en Abitibi, dans deux comtés de la capitale et dans Maurice-Richard.

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La volonté du chef de la CAQ de gonfler l’importance de QS n’est pas nouvelle. Depuis près d’un an, il a désigné Gabriel Nadeau-Dubois comme son adversaire chouchou et semble brûler d’envie de le voir enlever aux libéraux le poste de chef de l’opposition officielle.

Au premier abord, on a pu penser qu’il instrumentalisait GND dans sa volonté d’éradication du Parti québécois. Mais les libéraux savent que QS leur a ravi en 2018 leurs électeurs plus jeunes, la nouvelle génération de trudeauistes non francophones retrouvant à QS le même discours multiculturel et post-national qu’à la maison mère. (Ne vous demandez pas pourquoi il n’y a jamais — je veux dire vraiment jamais — de drapeau du Québec aux événements solidaires. C’est pour ne pas effrayer les post-nationalistes et les trudeauistes, qui y sont allergiques.)

Le marchepied offert par la CAQ à QS servirait donc aussi à tenter de vider de l’intérieur une partie de ce qui reste d’électorat libéral.

La méthode Duplessis

Legault use dans cette campagne d’une vieille technique de psychologie inversée. On raconte que le chef libéral Georges-Émile Lapalme s’était vanté devant Maurice Duplessis de toujours donner de gros pourboires, puis de dire aux bénéficiaires de sa générosité : « Votez libéral ! » Duplessis aurait rétorqué : « Moi, je ne donne pas de pourboire et je dis : “votez libéral !” »

En attaquant QS, en ayant même fait fabriquer une carte de crédit orange qu’il brandit régulièrement, Legault espère certes que quelques hésitants ayant pu être charmés par la rhétorique de gauche conduisent à la place leur Toyota Camry non surtaxée vers le bureau de vote pour y appuyer plutôt la CAQ. Mais il s’adresse principalement à ceux qui ne veulent vraiment pas voter CAQ. En leur disant que l’élection oppose deux visions, la sienne et celle de QS, il les appelle à se fédérer derrière celui qui — prétend-il — lui fait le plus peur.

Ce discours ne peut évidemment avoir aucun effet sur l’électorat d’Éric Duhaime, le plus éloigné des thèmes solidaires. Mais la bruyante opposition aux taxes orange permet à François Legault de se poser en défenseur du portefeuille des braves gens, et donc d’occuper une partie de l’espace convoité par Duhaime.

Ce calcul politique n’est-il que tactique ? Jetable après l’élection ? Je ne le pense pas. Legault a déjà comparé son parti à l’Union nationale. Outre son positionnement autonomiste modéré, centré sur l’économie, l’attrait de l’Union nationale fut sa longévité. Une hégémonie politique s’étendant sur un quart de siècle.

Un puissant repoussoir

Comment s’assurer que la CAQ devienne pour l’avenir prévisible le seul parti de gouvernement ? En choisissant parmi ses adversaires celui qui a le moins de chance de le devenir. Le PLQ et le PQ, malgré toutes leurs avanies récentes, sont des partis qui ont gouverné et qui pourraient, dans de bonnes circonstances, prétendre au pouvoir. Ils ont chacun leur saveur politique, mais sont suffisamment centristes pour avoir su — et savoir encore — construire des coalitions gagnantes.

Québec solidaire offre au contraire un ancrage idéologique de gauche peu propice à la construction de coalitions, même à moyen terme. Qu’on le veuille ou non, le wokisme est un puissant repoussoir électoral dès qu’on déborde de sa base première. Il est vrai que 36 % des moins de 35 ans font le choix solidaire. Un exploit. Mais cela signifie que 64 % ne le font pas.

Pour cynique qu’il soit, le pari de François Legault est donc le bon. S’il peut choisir son adversaire, autant choisir celui qu’il adore détester. Les autres lui tenaillent les flancs : le PQ sur la langue et l’identité ; le PCQ sur son abandon du centre droit ; le PLQ sur l’économie. Trois thèmes qui lui sont chers et sur lesquels il doit paraître fort.

Québec solidaire l’attaque de front, offre réellement une vision différente sur plusieurs points : un nationalisme vidé de sa substance, une aversion de l’entreprise et du marché, un flirt avec les idées dangereuses de désarmement de la police, de disparition des genres et de nationalisations à tout-va.

Voilà des débats comme il les aime. Voilà le péril qu’il préfère. Celui qui lui assure la victoire.

(Ce texte a d’abord été pblié dans Le Devoir.)


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