Legault, la peinture et le coin

5497087-pleine-longueur-d-39-un-comit-permanent-des-affaires-homme-coinc-dans-le-coin-d-39-un-plancher-peint« Le commencement est la moitié de l’action. » C’est Platon qui disait ça. Et même s’il n’a pas signé la déclaration de la nouvelle Coalition pour l’avenir du Québec, il en donne le cadre.

C’est ainsi que les choix faits par MM Legault et Sirois dans leurs déclarations de ce lundi définissent leur marge de manoeuvre. Or M. Legault a clairement écarté toute modification au cocktail actuel de revenus et de dépenses en ce qui concerne les principales variables.

Résumons-le:

Ni hausse ni baisse des impôts ou de taxes pour les particuliers;

Aucune augmentation de tarifs, électriques ou autre, au-delà de ce qui est prévu dans le dernier budget libéral;

Quelques réaménagements fiscaux sont évoqués:

il faudra revoir les manières d’imposer les entreprises et les individus de façon à encourager le travail, l’investissement, la productivité et l’épargne. […] ces changements devront se faire en tenant compte de la situation particulière des plus défavorisés et en maintenant une fiscalité résolument progressive.

Traduction: réaménagements, oui. Révolutions, non.

Dans ce cadre financier essentiellement inchangé, ce qu’un alertinternaute a appelé la « Coalition pour l’avenir de François Legault » compte cependant dépenser davantage:

– Pour réinvestir dans les universités. Pas de chiffre n’est avancé mais les recteurs affirment qu’il leur « manque » 600 millions par an. Le réinvestissement doit être « réparti de manière équitable entre l’État et les étudiants » écrit la Coalition. Donc environ la moitié viendra du seul segment de la population que l’équipe Legault veut ponctionner: les étudiants;

– Pour revaloriser le salaire des enseignants du primaire et du secondaire. Ce qui peut faire beaucoup de sous. Selon le calcul de la journaliste du Soleil Daphné Dion-Viens, une augmentation de 20 à 30% sur une masse salariale de 5 milliards équivaut à 1 milliard $ par an. (J’avoue que ce n’est pas un calcul compliqué, mais elle l’a fait avant les autres, alors…)

L’équipe Legault doit donc trouver, en éducation, une somme d’environ 1,3 milliards par an. (Bonification des salaires plus la moitié du réinvestissement dans les universités).

– Ailleurs. La Coalition ne chiffre pas la volonté d’investir dans l’innovation, mais on note que « Davantage de ressources et d’efforts doivent donc être affectés à la francisation des nouveaux Québécois ».

Ce n’est pas fini, car la Coalition estime aussi qu’il faut:

assainir ses finances publiques pour laisser les générations futures libres de leurs choix, ce qui exige que l’on se dote d’un plan crédible de réduction de notre endettement public.

Donc il faut dégager des sommes pour réduire la dette. On ne sait pas combien, mais on suppose qu’il faut un investissement conséquent.

Bref, davantage de dépenses + une réduction de la dette, sans augmenter les taxes, tarifs et impôts. Comment la coalition compte-t-elle y arriver ?

En réduisant le nombre de services offerts à la population ? Jamais elle ne soulève cette possibilité. En réduisant le nombre d’employés de l’État ? Ces mots ne sont pas prononcés.

La seule réforme proposée est la suivante:

Une gestion beaucoup plus rigoureuse est possible entre autres dans les réseaux publics et les sociétés d’État.

On ne semble pas pouvoir compter sur le fait de « remettre en question les instances actuelles pour assurer l’efficacité des services », c’est-à-dire le régime minceur annoncé pour les bureaucraties régionales de la santé et de l’éducation, car ces budgets-là doivent, du moins pour l’essentiel, être décentralisés dans les écoles et les institutions de santé.

Bon. Voici donc les paramètres. Le carré de sable. Autrement dit, le coin dans lequel s’est peinturé la coalition.

Restons dans leur mouvance idéologique et voyons ce que disaient(pdf), en février 2010, de l’avenir financier du Québec les quatre économistes embauchés pour conseiller le ministre des Finances Bachand — Pierre Fortin, Robert Gagné, Claude Montmarquette et Luc Godbout.

Selon eux il fallait trouver 11 milliards de dollars par an, d’ici 2014, répartis entre réductions de dépenses et augmentations de revenus, pour retrouver durablement l’équilibre budgétaire et faire graduellement fondre la dette. C’est ce qu’a fait le budget Bachand qui, théoriquement, en impute 60% à l’État en réduction de la croissance de ses dépenses et 40% aux contribuables en augmentation de TVQ, de tarifs et de revenus tirés de la croissance. Supposons que c’est ce qui est en train de se produire.

Il faut désormais ajouter le 1,3 milliards supplémentaire du programme de dépenses Legault, qu’il faut bien financer. Mais MM Legault et compagnie indiquent clairement qu’ils estiment que la trajectoire actuelle n’est pas soutenable et que le plan de réduction de la dette est à concevoir. Il faut donc ajouter à cette somme. Combien ? Mystère. Mais soyons crédibles et affirmons qu’il faut au moins 700 millions de plus, sinon ça ne vaut pas une conférence de presse. Nous sommes donc à 2 milliards à trouver. Donc un effort presque 20% supérieur à celui du budget Bachand.

Pour les quatre économistes, une fois les cibles, pour l’essentiel reprises dans le budget Bachand, atteintes en 2014, il n’y aura qu’une façon de maintenir l’équilibre budgétaire et de contenir l’endettement:

l’introduction de tout nouveau programme gouvernemental devra être financée par la réduction ou l’abolition d’un
programme existant financièrement équivalent.

M. Legault doit donc nous dire où il compte trouver les 2 milliards qu’il compte réinvestir en éducation et en réduction de la dette.

Il doit suivre le constat qu’il pose lui-même dans son texte:

Lorsqu’une idée audacieuse est mise de l’avant, on entend le plus souvent que le doute, la méfiance ou des réactions hostiles. Il est vrai que ce qui est proposé aux Québécois ne s’inscrit que rarement dans un plan global et cohérent de gouvernance. En l’absence d’une vision et d’une ambition communes, il est difficile de convaincre les citoyens d’accepter des objectifs exigeants.

Le texte de la Coalition n’est pour l’instant exigeant que pour les médecins omnipraticiens (qui devraient accepter davantage de patients), les professeurs qui devraient être évalués pour voir leurs salaires augmenter, les étudiants qui devront casquer, et des cadres de la fonction publique qui devront bouger.

On est donc loin d »objectifs exigeants » pour les Québécois dans leur ensemble. Cependant l’exigence s’impose, au moins, aux proposeurs des changements. Le « plan global et cohérent de gouvernance » annoncé n’est — pour l’instant — pas au rendez-vous.

Et s’étant bien peinturé dans le coin en rejetant tout revenu « exigeant » de la part des Québécois — ou tout abandon de services — la Coalition doit nous dire d’où viendra le bel argent qu’elle nous promet. Peut-être devra-t-il appliquer cette maxime chère à Jean Chrétien:

« Si on s’est peinturé dans le coin, on marchera sur la peinture. »