L’enfer patriacal caquiste (vraiment ?)

Je retiens de mes lectures féministes des derniers jours que la Coalition avenir Québec (CAQ) défend une vision fondée sur la famille patriarcale, préférablement blanche, qu’elle se distingue par son mépris envers les bas salariés, le travail de soin et dont l’action « féministe » ne sert que les femmes occupant déjà des lieux de pouvoir.

Progressiste et féministe, je me suis demandé comment je n’avais pas moi-même constaté et dénoncé cette dérive ? Opérer un changement nécessite principalement deux ingrédients : prendre conscience de ce qui cloche, pour s’en détacher, et décrire comment un autre itinéraire est possible, pour le faire advenir. J’ai donc imaginé ce qu’aurait fait un gouvernement pro-femmes élu en 2018.

Simone de Beauvoir nous a appris qu’il n’y avait pas de libération de la femme sans indépendance économique. Mon gouvernement rêvé aurait donc agi avec force pour augmenter de façon plus importante qu’ailleurs les revenus des catégories d’emploi massivement féminines, notamment dans les soins. Les préposées aux bénéficiaires, où on trouve beaucoup de salariées issues des minorités visibles, auraient obtenu des hausses de 23 %.

On aurait conclu avec les infirmières un accord reconnu comme « historique » par leur syndicat en rehaussant jusqu’à 18 % les primes de soir et de nuit, étendant leurs responsabilités médicales et leur offrant d’autogérer leurs horaires. Pendant une pandémie, on leur aurait offert des primes de 12 000 $ à 18 000 $. On ferait aussi la guerre aux agences privées, comme le demandent les quatre principaux syndicats québécois, désormais tous, dans ce monde idéal, dirigés par des femmes.

Ce gouvernement rêvé n’oublierait pas les éducatrices en garderie, augmentant jusqu’à 18 % leur salaire. Il aurait surtout tourné le dos aux garderies privées en privilégiant partout les CPE. Au primaire et au secondaire, où l’on trouve une majorité de femmes enseignantes, il aurait rehaussé le salaire d’entrée de près de 15 % et aurait mobilisé les éducatrices scolaires pour leur prêter main-forte. Pour mener ces négociations ouvertement biaisées en faveur des femmes, ce gouvernement nommerait au Conseil du trésor une femme, oui, mais connue surtout pour ne pas se laisser intimider par les machos.

Tableau tiré d’une conférence de l’économiste Pierre Fortin

Hors du cadre de l’État, il aurait dès son arrivée annulé les hausses de tarifs de garderie du gouvernement patriarcal libéral et aurait haussé les allocations familiales, en bas de l’échelle, de 17 %. Les proches aidants — massivement des femmes — bénéficieraient aussi d’un soutien financier doublé. L’absurde décision antérieure de ne plus rembourser la procréation assistée serait annulée.

Sachant que parmi les personnes les plus pauvres, on trouve beaucoup de femmes, il aurait mené une politique économique permettant en quatre ans à 90 000 personnes de quitter l’aide sociale pour intégrer le marché du travail, soit le quart des prestataires aptes au travail.

Ce gouvernement déploierait un effort colossal — disons, un demi-milliard — contre les tares que sont les féminicides, la culture du viol et la masculinité toxique. Il réunirait un panel des meilleures femmes parlementaires et appliquerait ses recommandations unanimes pour mieux recevoir les plaintes, accompagner les plaignantes, créer un tribunal spécial en matière de violence conjugale. Il aurait attribué 100 % de la somme demandée par la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes.

Il aurait lancé une campagne de publicité contre la violence envers les femmes, du jamais vu. Il aurait fait en sorte que le ministre de la Sécurité publique — chasse gardée masculine — soit une femme et nomme une femme directrice de la Sûreté du Québec. Elle introduirait, pour protéger les victimes, des « bracelets anti-rapprochement » pour empêcher les accusés d’intimider celles-ci.

Les budgets de lutte contre le proxénétisme et la traite des femmes, réduits par le gouvernement précédent, seraient rehaussés de 20 millions par an. De nouvelles escouades seraient créées et une campagne de sensibilisation des adolescentes sur les réseaux sociaux deviendrait virale, cumulant (on peut rêver !) 14 millions de vues.

Ce gouvernement serait très attentif aux notions patriarcales véhiculées dans l’éducation et dans l’État par des forces misogynes, notamment les religions monothéistes. Il évacuerait des classes les cours présentant comme anodins les signes religieux et ferait en sorte que des employés de l’État en autorité ne portent aucun signe de mouvements ou de religions qui tiennent les femmes pour inégales, modestes ou soumises.

La personne dirigeant ce parti imposerait que la moitié de ses candidats soient des candidates, quoi qu’en disent ses militants attachés aux archaïsmes patriarcaux. Il désignerait pour une partielle cruciale une infirmière syndicaliste noire, gigantesque doigt d’honneur aux partisans du statu quo. Il nommerait aussi une Autochtone ministre, une première.

Chers lecteurs, vous sachant très allumés, je sais que vous avez dès le début compris que je résumais ici les actions prises par le gouvernement Legault, dont je suis généralement extrêmement critique. La réalité est que, sauf pour l’intermède Couillard, depuis un demi-siècle, nos gouvernements se passent le relais pour améliorer concrètement la condition des femmes.

La politique familiale introduite par Lucien Bouchard a eu un effet majeur sur l’indépendance économique des femmes, bien plus grande qu’ailleurs sur le continent.
L’effet combiné des politiques gouvernementales fait du Québec le lieu au Canada où l’écart de revenu entre les hommes et les femmes est le plus faible.

La CAQ figure en bonne place dans cette marche du progrès, d’autant qu’elle n’était nullement prédisposée à s’y investir à ce point. On peut et doit être plus exigeants encore. Mais je ne sais quelle cause on sert en déclarant qu’il y a reculs quand il y a progrès. En insultant ceux et celles, députés et ministres, qui ont depuis cinq ans concrètement rendu service aux femmes pauvres, sous-payées, violentées. Moi, je les applaudis et les encourage à faire mieux encore.

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

Ce contenu a été publié dans Femmes et féminisme, François Legault / CAQ par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

4 avis sur « L’enfer patriacal caquiste (vraiment ?) »

  1. Merci de ne pas laisser n’importe quoi se dire sur le Québec, celles et ceux qui l’on à coeur, dont ceux et celles qui le servent!

    On était habitué que la désinformation provienne de la droite, c’est profondément triste qu’elle infiltre désormais la gauche dont pourtant on a tant besoin…ce qui risque de rendre sa dérive plus dangereuse que le monstre d’extrême droite car lui est bien visible!

    Merci pour les lumières, je les faits circuler…

  2. Bien d’accord avec vous, il y a eu beaucoup de progrès donc du positif pour la situation de la FEMME et l’augmentation de salaire, mais il reste effectivement beaucoup à faire pour arriver à une certaine parité avec les hommes et à augmenter les salaires minimum qui sont ENCORE trop existant .

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