Les bonnes idées d’André Pratte

« L’histoire économique du Québec est jalonnée de grands projets, de la Manic à la Baie-James. Cette fois-ci, tous les experts s’entendent, le grand projet dont le Québec a besoin n’est pas fait de béton et d’acier, mais de productivité et d’innovation. » La citation, de bon sens, est tirée du « nouveau plan économique » déposé — et pour l’essentiel adopté — lors du conseil général du Parti libéral du Québec (PLQ) en fin de semaine.

Le document est le fruit du travail de l’hyperproductif André Pratte, devenu président de la commission politique du PLQ. Il s’agit d’une contribution qui doit, à mon humble avis, nourrir une discussion essentielle : celle de l’économie québécoise de l’après-François Legault et de l’après-Pierre Fitzgibbon.

Un effort colossal a été déployé par le gouvernement caquiste, souvent avec l’appui conséquent d’Ottawa, pour attirer des investissements étrangers de forte taille. La construction d’une filière batterie allant de la mine au produit fini peut devenir un pilier de l’économie québécoise si se développe autour d’elle une constellation de PME innovantes qui peuvent déployer leurs propres ailes et générer leur propre croissance. C’est à voir, mais c’est vraisemblable. L’organisme Montréal international livre aussi chaque année sa récolte parfois multimilliardaire d’investisseurs étrangers attirés par la qualité de notre main-d’oeuvre, par nos ressources, ainsi que par les charmes de notre climat et de notre savoir-vivre.

Ayant grandi avec des surplus de main-d’oeuvre et d’énergie, nous ne sommes pas encore sortis du réflexe de l’applaudissement béat pour chacune de ces annonces. Or, notre petit monde a changé. En pénurie de main-d’oeuvre et d’électricité, chaque implantation étrangère déplace vers elle des salariés et des watts qui pourraient — et qui peuvent — être mieux utilisés par nos propres entreprises. Il y a un point de bascule à partir duquel trop d’investissements étrangers nuisent.

Sans renier ce qui a été fait par l’équipe caquiste, et qui a indubitablement augmenté la richesse québécoise par habitant, le gouvernement qui sera élu en octobre 2026 (vous connaissez ma préférence) sera bien avisé d’opérer pour l’avenir une correction majeure de trajectoire et de favoriser pour cette nouvelle phase l’entreprise locale.

Il est par exemple honteux de constater que l’augmentation des tarifs d’électricité sera de 3,3 % pour la grande industrie l’an prochain, mais de 5,1 % pour les PME. Il s’agit d’une décision consciente de faire porter sur l’entreprise locale les rabais offerts aux grandes entreprises, principalement étrangères.

Un changement de cap s’impose. Le document d’André Pratte reprend des propositions connues, mais jamais complètement appliquées : la revue et la simplification de la fiscalité des petites entreprises, un effort renouvelé, et dirigé par le Conseil exécutif, d’allégement de la paperasse administrative. (Transparence totale : ces éléments faisaient partie de la stratégie Priorité PME que j’avais lancée au Parti québécois en 2016.)

Pratte propose aussi de refaire un diagnostic complet de l’enchevêtrement de programmes d’aide et de crédits d’impôt, dont certains sont contre-productifs ou désuets. Le ministre des Finances, Eric Girard, a annoncé exactement ce processus nécessaire dans le dernier budget, mais malheureusement, il n’a aucune prise sur la propension du fédéral à inventer chaque année de nouveaux programmes dont l’efficience est particulièrement oiseuse. S’il y a trop de paperasse dans le système, c’est peut-être qu’il y a un gouvernement de trop. Ou alors un gouvernement qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas.

Pour la nécessaire augmentation de la productivité par heure travaillée, qui constitue l’épine dorsale de la création de richesse, Pratte ajoute un argument massue en citant une toute récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, concluant que, pour l’essor de l’innovation, l’aide fiscale des États à la recherche et développement est plus efficace lorsqu’elle vise les PME plutôt que les grandes entreprises.

Autre piste intéressante : l’investissement plutôt que la subvention. Qu’en échange de son aide, l’État puisse « recouvrer son investissement grâce à une mécanique de participation aux bénéfices futurs de l’innovation, par une redevance sur les futurs produits commercialisés ». Bravo.

On trouve dans le document adopté par le PLQ des éléments audacieux pour ceux qui, dans ce parti, préféraient dans le passé le laisser-faire. On lit : « Les droits d’exploitation, de transformation et d’allocation énergétique seront liés à une obligation de transformation à valeur ajoutée dans les régions ressources. » De plus, on propose qu’un « seuil minimum obligatoire de transformation locale des ressources naturelles du Québec soit déterminé ». On croirait lire du Martine Ouellet. Ce qui se veut, en l’espèce, un compliment.

J’ai particulièrement apprécié la section consacrée à la concertation régionale. On y annonce la création de pôles de concertation régionale, instance décisionnelle responsable d’impliquer l’ensemble des acteurs du milieu et de coordonner le développement économique et social de chaque région.

L’idée est tellement bonne qu’elle ressemble aux Sociétés de développement économique créés à la fin des années soixante, puis aux Conseils régionaux de développement renforcés par le gouvernement de Lucien Bouchard, transformés en conférences régionales des élus par le gouvernement de Jean Charest (qui souhaitait, à la demande des chambres de commerce, en expulser les représentants syndicaux et communautaires), puis abolis par le gouvernement de Philippe Couillard, qui a procédé au démantèlement de toute cette expérience cumulée de concertation, signifiant notamment aux 3000 entrepreneurs locaux engagés dans le mentorat qu’on n’avait pas besoin d’eux.

Il était quand même paradoxal qu’un même conseil général du PLQ célèbre, sans la moindre réserve, l’action du gouvernement de Philippe Couillard et adopte simultanément des propositions économiques et régionales en contradiction totale avec son action. Mais j’insiste, il n’est jamais trop tard pour avoir raison.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

3 avis sur « Les bonnes idées d’André Pratte »

  1. Si Drummondville a réussi sa reconversion industrielle entre 1980 et 2020 en passant d’une base mono-industrielle-grande entreprise multinationale (textile)) à une base industrielle s’appuyant sur des PME de près d’une dizaine de secteurs manufacturiers , c’est en s’appuyant sur sa SDED (Société de développement économique de Drummondville)… qui heureusement avait survécu aux actions du gouvernement Couillard.

    Vous référéz à un rapport récent de l’OCDE qui met de l’avant cette idée qu’il serait plus intéressant de s’appuyer sur des PME que sur des Méga-firmes multinationales quand il est question d’espérer des innovations…

    J’ai cherché sur le site de l’OCDE et je n’ai pas trouvé ce rapport…. Est-ce que quelqu’un connaît le titre exact de ce rapport, ou encore un lien qui mènerait à ce rapport ?

    Merci … Alain Lavallée

    • La référence apparaît dans cette publication: .
      Conseil de l’innovation du Québec, Rapport de recommandations pour repenser le modèle québécois
      d’appui à la recherche et développement des entreprises, avril 2024, p. 11.

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