Revêtus de notre cape d’invisibilité, assoyons-nous à l’arrière d’une classe de cinquième secondaire de la région de Montréal en ce frisquet mois de janvier pour être instruit sur le problème du racisme dans le cours Éthique et culture religieuse.
Nous avons d’abord droit à une définition classique du racisme : la conviction que certaines races sont supérieures aux autres. Bien. Qu’en est-il chez nous ? « Selon les chiffres de Statistique Canada, Statistique Québec, affirme l’enseignante, 59 % des Québécois se prétendent racistes. 59 %, c’est énorme. Alors, quand le gouvernement dit qu’on n’est pas racistes, c’est pas vrai, hein. Les chiffres parlent plus fort que les mots. »
Ça commence fort. Ce pourcentage existe : il vient d’un sondage Léger de 2007 qui demandait aux Québécois s’ils s’estimaient tels, au plus fort du débat sur les accommodements religieux. Le total de 59% cumule les réponses « fortement ou moyennement » (16%) et « faiblement » (43%) racistes. Léger n’avait cependant pas demandé si les Québécois estimaient certaines races supérieures aux autres. Angus Reid l’a demandé pas plus tard qu’en 2021 et a trouvé que 9 % des Québécois partageaient cette odieuse conviction, comparativement à 12 % des Canadiens et (cramponnez-vous) à 18 % des membres des minorités visibles.
Mais ne chipotons pas, continuons d’écouter la prof qui assène cette vérité : « Le Québec est la province la moins tolérante et la moins accueillante du Canada. » Mais d’où vient notre propension à autant détester l’autre ? Pas des générations dont font partie la prof et ses élèves, précise-t-elle. Alors qui ? Voici l’extrait complet de l’enregistrement audio qu’une bonne âme m’a fait parvenir : « Ça s’explique avec la génération des baby-boomers — vous connaissez ? —, donc ceux qui ont grandi dans les années 1950 et 1960. Et qu’est-ce qui est arrivé de majeur dans les années 1950 et 1960 ? Il y a eu des grosses vagues d’immigration. Ç’a créé un choc culturel que certains d’entre eux n’ont pas encore digéré. Nous, on est habitués de vivre avec d’autres cultures, mais cette génération-là, au départ, ne l’était pas. » » Et, « ça a mené à ce chiffre puisque les baby-boomers sont encore en vie ». Heureusement, ce problème va finir par disparaître de lui-même.
Mais il continue de sévir car, nous dit l’enseignante, « le taux de discrimination au travail est de 57 % ». Je n’ai pas trouvé de source pour ce taux et, s’il est certain que la discrimination à l’embauche est bien documentée, selon les chiffres de l’économiste Mario Jodoin le taux d’emploi en 2022 des 25 à 54 ans est de 74,9 % pour les immigrants (en forte hausse depuis une dizaine d’années) et de 88,8 % pour ceux nés au Canada. On est donc loin d’une différence de 57% et l’écart se referme graduellement.
Mais ne chipotons pas. Les élèves visionnent ensuite un documentaire de 20 minutes intitulé Racisme, ses origines, son histoire, présenté par l’historien Laurent Turcot sur un texte de l’historien Alexandre Dumas. Il est vrai que, comme le précise Dumas dans un échange consécutif à la publication de ce texte dans Le Devoir, la vidéo indique que « le racisme n’est pas exclusif aux Blancs ou encore au monde occidental » et se consacre ensuite entièrement à l’évolution du racisme en Occident. Cependant les élèves qui y entendent que ce n’est qu’en Occident qu’on « retrouve une discrimination parfaitement assumée » et qu’« il faut attendre que les Européens découvrent l’Afrique noire pour qu’on puisse commencer à parler de racisme comme on l’entend aujourd’hui » ne peuvent tirer d’autre conclusion que le racisme est consubstantiel à l’Occident. Certes on peut — et l’on doit — dénoncer jusqu’à plus soif le racisme occidental, mais les jeunes sortant de ce visionnement seraient choqués d’apprendre que l’esclavage a été présent sur tous les continents, que les Africains le pratiquaient entre eux avant l’arrivée des Blancs, que les Autochtones d’Amérique le pratiquaient entre eux avant l’arrivée des colons européens ou encore que que la plus grande opération mondiale d’esclavage de l’histoire fut musulmane, les États musulmans ayant cumulativement mis environ un million de chrétiens en esclavage à partir du XVIe siècle. Pas un mot non plus sur le fait que les Québécois francophones furent victimes de racisme, ou du moins de discrimination linguistique.
La vidéo fait son boulot de bien dénoncer les Nazis, l’apartheid et la ségrégation américaine, mais minimise l’importance des victoires des antiracistes face à ce fléau et va jusqu’à attribuer les victoires de Martin Luther King et du mouvement pour les droits civiques des années 1960 à des impératifs de politique étrangère des États-Unis plutôt qu’au travail colossal de MLK et de son mouvement, et du grand nombre de Blancs, dont plusieurs Juifs, qui ont mis leur vie en danger pour faire triompher cette cause.
Bref, en 55 minutes, le cours réussit à inculquer une fausseté historique — le racisme est occidental —, une fausseté nationale — les Québécois sont massivement racistes —, une fausseté canadienne — le Québec est l’endroit le plus raciste au Canada — et une fausseté générationnelle — c’est la faute des baby-boomers. C’est beaucoup.
Je ne jette pas la pierre à cette enseignante, car elle relaie le discours dominant. Mais à l’heure où l’on invente un nouveau cours de citoyenneté québécoise pour remplacer le cours ECR, il faut saisir l’occasion de mieux enseigner à nos jeunes ce que sont le racisme et l’antiracisme.
D’abord, en donnant un portrait juste de l’universalité du racisme et de l’esclavage. Ensuite, en expliquant comment, au sein de l’Amérique du Nord et du Québec, les forces d’oppression et de libération se sont opposées à travers les siècles. Il faut avoir la franchise de parler à la fois de l’esclavage autochtone, de celui qui a eu cours en Nouvelle-France, puis d’indiquer que c’est au Québec que ce fléau a été abolide factoavant qu’il ne le soit dans le reste du Canada, dans l’Empire britannique et aux États-Unis. C’est aussi d’abord au Québec que les Juifs ont été reconnus comme des citoyens à part entière, avant le reste de l’empire.
Et si on tient à parler des baby-boomers, admettons qu’ils n’ont certes pas réussi à juguler le racisme envers les Autochtones, les Noirs ou les Arabes, mais qu’ils ont ouvert grands les bras aux réfugiés chiliens, vietnamiens et haïtiens alors même qu’ils se battaient contre des patrons qui refusaient de les embaucher, eux, dans des positions de pouvoir ou de leur parler dans leur langue. Et alors qu’ils se battaient, de l’autre main, pour les droits des femmes et des gais.
La réalité du racisme et de l’antiracisme au Québec déborde largement les cases caricaturales dans lesquelles on tente de l’enfermer. Enseigner à la future génération que depuis Champlain — le plus égalitariste de tous les colonisateurs européens — jusqu’aux baby-boomers, nous avons eu notre part de racistes et d’antiracistes, de brutes et de héros (et qu’au fil du temps, les seconds l’ont généralement emporté sur les premiers ), leur dire que ce juste combat leur incombera bientôt à eux, me semble autrement plus juste historiquement — et motivant pour les progrès à venir — que la bouillie mensongère et culpabilisatrice qu’on les force aujourd’hui à ingurgiter.
(Une version un peu plus courte de ce texte a été publiée dans Le Devoir.)
En 2007, j’ai été sondée à ce sujet par la firme de sondage Léger Marketing qui n’avait pas daigné me dire ce qu’elle entendait par «racisme» / «raciste». J’avais alors refusé de répondre.
Après coup, j’ai regretté ne pas avoir pensé leur dire qu’ils (Léger Marketing) étaient irresponsables de traiter de racisme dans un sondage sans définir correctement la chose.
Pareil pour le JdeMtl qui avait publié ledit sondage sans définir correctement la notion de racisme.
Comme peu de gens consultent les dicos, chacun a souvent sa propre définition du mot «racisme». C’est facile à vérifier: demandez aux gens de votre entourage ce que «racisme» signifie pour eux, et je vous parie que vous aurez toutes sortes de définitions.
Comme l’a écrit Katia Dion ci-dessous, le racisme a deux définitions officielles, ce que bien des gens ignorent.
En anglais, le mot «racism» a même quatre définitions, ce qui peut expliquer pourquoi les anglophones usent et abusent de ce mot: ils voient du racisme partout! https://www.dictionary.com/browse/racism
Et les accusations non fondées de racisme servent souvent à mettre les gens au pilori et à empêcher toute discussion pondérée sur un sujet sensible.
Le sujet est trop sérieux pour être traité superficiellement, même si certains (comme Stéphane Dion naguère et Justin Trudeau aujourd’hui) ne se gênent pas pour être racistes à leur manière.
En effet, ils nous donnent des leçons du haut de leur vertu ostentatoire, et du haut de leur soi-disant supériorité morale.
Ladite «vertu» et ladite «supériorité» étant ici des qualités autoproclamées par ces messieurs.
La supériorité morale est pourtant une forme de «racisme» dans laquelle les libéraux aiment bien se vautrer. Justin connaît-il la parabole de la paille et de la poutre?
Enfin, contrastons la 2e définition du Larousse donnée par Katia Dion:
« racisme • 2. Attitude d’hostilité SYSTÉMATIQUE à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes.
…avec les 43% de gens qui se prétendent «faiblement» racistes.
Pour peu qu’on respecte le sens des mots, il y a ici une contradiction évidente entre les termes SYSTÉMATIQUE et FAIBLEMENT.
En effet, on ne peut pas être À LA FOIS «systématiquement» raciste, ET «faiblement» raciste envers certaines personnes.
C’est carrément antinomique, mais l’incompatibilité entre les mots «systématique» et «faiblement» semble avoir curieusement échappé à Léger Marketing!
Bonjour Monsieur Lisée!
Encore une fois, vous avez visé dans le mille à propos de la dérive particulièrement incongrue d’une enseignante de secondaire dans son analyse du racisme « québécois » devant ses élèves. Au point, semble-t-il, qu’on en voit l’écho sourdre jusqu’à l’Assemblée Nationale! Grand bien lui fasse! Pour avoir été dans l’enseignement pendant 30 ans, rien de tout cela ne me surprend. À la fin de ma carrière, je voyais arriver une jeune cohorte d’enseignants où l’on trouvait parfois des personnages pour qui le monde commençait avec leur petite cervelle et finissait aussi, comme dans la course automobile, dans son cercle infernal. En dehors de leur seule spécialité, ils affichaient une ignorance aussi grande que le Sahara et une compréhension du monde casée dans un dé à coudre. Il est facile d’être un produit de son siècle : on y échappe difficilement. Il est plus difficile d’atteindre à l’universel de la profonde nature des hommes et des nations. Quand on prétend former l’intelligence des enfants et des jeunes adultes, on doit se contenter d’étaler les faits le plus sobrement, puis les amener à s’interroger et trouver les outils pour qu’ils se fabriquent une opinion dont la grande qualité demeure l’analyse des opinions contraires et le souci constant du doute pour cerner au plus près une approximation de la vérité.
Vous savez : la vie est un long tissu de mensonges que la « tabula rasa » du petit de l’homme absorbe, comme une éponge, de son entourage, de son milieu et de la mouvance des mœurs du moment. Il lui faut un long cheminement pour se débarrasser de toutes les idées reçues et de toutes les vicissitudes de son temps pour n’accéder ne fût-ce qu’ à la seule ombre d’une vérité.
Bravo pour votre lecture éditoriale de l’événement!
Très bon article , et j’aurais rajouté aussi à cet article lorsque vous parlez de l’acceptation des juifs au Québec, que le Québec fut l’endroit en Amérique du Nord ou le premier noir a débuté sa carrière professionnelle au Baseball soit l’illustre Jackie Robinson lors de son séjour avec les Royaux de Montréal , alors que la ségrégation contre les noirs était à son plus fort en Amérique du Nord . Ce joueur grâce à sa visibilité et ce chez nous au Québec a permis par la suite d’ouvrir les portes de tout les sports professionnels, mais ça personne n’en dit un mot , et pourtant une statut en son honneur prône au Parc Olympique.Parcontre on vient des USA avec le mouvement Black Lives Matter chez les anglophones nous faire la morale et nous traiter de raciste a Montréal…. Mais personne ne connaît l’histoire de Jackie Robinson et de ce que le peuple québécois a permis à cette communauté et les suivantes de percer dans les grandes lignes professionnelles 🙄🤦♂️
Vous écrivez : « [Selon Léger,] 59 % des Québécois se prétendent racistes. […] Léger n’avait cependant pas demandé si les Québécois estimaient certaines races supérieures aux autres. »
Il est là le problème, M. Lisée. Si Léger avait été sérieux (surtout sur un sujet aussi délicat!) ils auraient demandé aux sondés : Êtes-vous raciste? / Vous croyez-vous raciste? Si oui, il aurait fallu demander dans quel sens.
Première définition : la personne sondée se dit raciste et se croit en droit de dominer les races dites inférieures (bienvenue alors dans le club des esclavagistes et des nazis!).
Deuxième définition : la personne sondée se dit SYSTÉMATIQUEMENT hostile à un ou à certains groupes.
racisme • 1. Idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une HIÉRARCHIE entre les groupes humains, autrefois appelés « races » ; comportement inspiré par cette idéologie.
racisme • 2. Attitude d’hostilité SYSTÉMATIQUE à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/racisme/65932
Vous écrivez aussi : « Je ne jette pas la pierre à cette enseignante, car elle relaie le discours dominant. »
Moi, j’aurais plutôt écrit : …à cette enseignante tristement inculte, car elle relaie le discours dominant et sciemment culpabilisant à des jeunes. Elle le fait par ignorance crasse, par manque de professionnalisme, voire par haine…
Enfin, le sujet étant grave, j’aurais blâmé Léger de ne pas avoir lu aux sondés les véritables significations du mot racisme.
salut J-F,
La lecture de ta chronique m’a estomaqué! Car si l’école enseigne bien ce genre de discours et donc la honte de la population québécoise qui en a pourtant arraché pendant plus d’un siècle et qui continue de recevoir de la péréquation, ce qui signifie que les gens d’ici sont plus pauvres que dans le reste du pays, alors ce n’est plus de la véritable éducation mais plutôt une forme de militantisme déguisé. De plus, identifier un bouc émissaire, le « baby-boomer », et la civilisation occidentale, en plus d’être factuellement faux, n’est-ce pas une forme d’incitation à la haîne ou à tout le moins une tentative institutionnalisée de montrer du doigt un groupe ?
Tout ça me semble préoccupant, et le temps est peut être venu de créer une nouvelle association pour remettre les pendules à l’heure car on voit bien le manque de nuance dans ce discours. En l’absence de contrepoids, les gens et les opinions ont parfois tendance à aller aussi loin qu’elles le peuvent, peu importe les dommages collatéraux qui en résultent. Et tout ça est malsain, en particulier dans un pays qui a une charte des droits et liberté et une justice car tout cela a été soutenu et implanté par des gens appartenant au groupe visé…
Merci Jean-François Lysėe, de remettre les pendules à l’heure…
Fort en math, j’ai en tête la courbe normale où il y a des gens à gauche de la moyenne et des gens à droite sur la courbe, qui jouissent de pouvoir manipuler les premiers et je dois me faire violence pour ne pas être fataliste.