Les crimes de Benoît XVI

Portrait fabriqué à l’aide de… préservatifs !

La chose se passait au Cameroun, pays pour moitié catholique, en 2009. Il s’agissait de la première visite du pape Benoît XVI en Afrique, continent où, depuis alors 10 ans, le VIH-sida était la première cause de décès. L’Organisation mondiale de la santé, les ONG, plusieurs gouvernements et l’archevêque sud-africain anglican Desmond Tutu redoublaient d’efforts pour prévenir la contagion grâce au programme AFC (abstinence, fidélité, condom). Oui, mais qu’en pensent Dieu et son représentant sur terre ? pouvaient alors se demander les quelque 160 millions d’Africains catholiques.

Historiquement, le Vatican a toujours été opposé à la contraception — et au condom —, prônant seulement les deux premiers éléments du triptyque : abstinence et fidélité. Mais alors que le nombre de morts en Afrique avait franchi les 30 millions et que l’épidémie se propageait aux femmes (61 % des personnes infectées) et aux enfants (90 % de tous les enfants infectés au monde étaient africains), fallait-il se montrer plus flexible ? Ou du moins rester muet sur le condom pour ne pas nuire aux efforts ?

Devant cette énorme responsabilité, Benoît XVI allait surprendre. Désagréablement. « On ne peut résoudre ce fléau par la distribution des préservatifs : au contraire, ils augmentent le problème », a-t-il dit. Le pape allait gauchement tenter de rectifier le tir l’année suivante en affirmant que le condom pouvait être utilisé dans des cas « exceptionnels » — chez les prostitués mâles, par exemple, pour lesquels ce serait « un premier pas vers la moralisation ». La question n’était pas là.

On ne peut évidemment quantifier le nombre de vies qui auraient pu être sauvées si le pape s’était rangé du côté de la santé publique plutôt que du côté de la version la plus rigide du dogme. Une seule chose est certaine : par sa faute, davantage de personnes furent infectées, malades, mortes prématurément, y compris des femmes et des enfants.

L’inflexibilité de Benoît XVI dans des situations où la tolérance et le pardon auraient dû prévaloir s’était peu avant illustrée au sujet de l’avortement.

Au Brésil, pays à 61 % catholique, une enfant de neuf ans plusieurs fois violée par son beau-père avait eu recours à l’avortement. L’archevêque local, ultraconservateur, réagit en excommuniant les médecins ayant pratiqué l’interruption de grossesse ainsi que la mère de l’enfant, qui avait approuvé l’intervention. Le tollé fut général, mais le Vatican approuva les excommunications au nom du « droit à la vie ». Ici encore, on peine à mesurer l’impact de cette insensibilité sur la vie de jeunes catholiques latino-américaines victimes d’agressions, mais sommées par leur Église de mener leur grossesse à terme, même dans les pires conditions.

Depuis le décès de Benoît XVI, on entend des voix charitables estimer qu’il a entamé la marche de l’Église vers la reconnaissance de sa responsabilité dans les agressions sexuelles extrêmement nombreuses perpétrées par des membres du clergé. Il est vrai qu’il fut le premier, en 2008, à se dire « profondément désolé » pour les souffrances que les victimes ont endurées. Mais le critère d’appréciation qui devrait s’appliquer ici n’est pas de savoir s’il a su commencer à gérer, en 2008, une crise devenue aiguë. Il faut plutôt se demander s’il a tout fait ce qui était en sa responsabilité pour limiter le nombre de victimes dès qu’il en a été mis au courant et dès qu’il a été en situation de pouvoir au sein de l’Église.

La réponse est un assourdissant non. Évêque de Munich de 1977 à 1982, il a, selon un rapport indépendant, couvert les actions de quatre agresseurs punis par la justice allemande, mais maintenus dans leurs fonctions pastorales par le futur pape, qui ne les a aucunement sanctionnés. Il a ainsi personnellement envoyé aux autres agresseurs un grave signal d’impunité et ignoré cette injonction de Jésus : « Si quelqu’un fait tomber dans le péché l’un de ces petits qui croient en moi, il vaut mieux qu’on lui attache une grosse pierre au cou et qu’on le jette au fond de la mer » (Matthieu 18.6).

Il est devenu ensuite l’un des personnages les plus puissants au Vatican, officiant pendant 23 ans à titre de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et centralisant à son bureau, à compter de 2001, les dossiers d’agression sexuelle.

Il ne fait rétrospectivement aucun doute qu’il fut longtemps à ce poste l’un des principaux rouages de la plus grande opération de camouflage de crimes sexuels de l’ère moderne. Cette action se déployait, on le sait, par le refus de dénoncer aux forces policières les agresseurs — 4 % des membres du clergé catholique, estime-t-on —, par la pratique de muter les agresseurs d’une paroisse à une autre sans évidemment en informer les fidèles. Pendant des décennies, particulièrement celles où Joseph Ratzinger fut aux affaires, la réponse du Vatican fut de nier, de minimiser, de camoufler.

Devant l’ampleur grandissante du scandale et talonné par l’ONU, Ratzinger se mit à sévir tardivement, au tournant de 2010, expulsant près de 400 prêtres en deux ans. Même pape, il a continué à minimiser la responsabilité du Vatican, blâmant plutôt les Églises nationales, voire les effets du concile Vatican II, plutôt que la complicité de toute la hiérarchie. Sa gestion de la crise n’a pas satisfait les enquêteurs de l’ONU, qui ont conclu en 2019 que, notamment sous sa gouverne, se déroulait au Vatican une « action apparemment systémique de camouflage (cover-up) et d’obstruction à la mise en responsabilité des abuseurs ».

Il est encore impossible de calculer le nombre de victimes contemporaines, mais un récent rapport officiel faisait état de 330 000 victimes en France seulement. Ratzinger, devenu Benoît XVI, n’est évidemment pas seul en cause, loin de là. Un groupe de survivants avait réclamé en 2013 à la Cour pénale internationale (CPI) d’intenter contre lui et d’autres responsables catholiques un procès de crime contre l’humanité pour avoir « toléré et permis la dissimulation systématique et généralisée des viols et des crimes sexuels commis contre des enfants dans le monde ». La CPI a décliné la demande. C’est dommage. On aurait pu ainsi aller au fond des choses. En avoir le coeur net.

Mais puisque le moment est venu de faire le bilan de son action à lui, comment ne pas conclure que non seulement un saint homme, mais simplement un homme bon — ou, comme le dit notre droit civil, « un bon père de famille » —, informé que se déroulaient sous sa responsabilité d’innommables crimes visant des dizaines de milliers d’enfants — voire un seul —, aurait remué ciel et terre, dès le matin de son premier jour à l’ouvrage, pour que cela cesse ? Pas lui. Il s’est plutôt réfugié, selon les mots de Matthias Katsch, représentant des survivants allemands des sévices, derrière un « édifice de mensonges ».

10 avis sur « Les crimes de Benoît XVI »

  1. Merci pour ce texte qui rappelle les faits et ravive la réflexion sur les erreurs à éviter pour un monde meilleur.

  2. Pour moi, ces abus sexuels sont des tentatives de meurtre psychique. Avoir le choix, je préférerais qu’ils se sucent entre eux, consentants adultes. Et qu’ils soient reconnus comme tel de plein droit!

    Leur plus grand crime contre l’humanité, à mon point de vue, est d’avoir, M.Lisée , monopolisé l’accès au Divin et fait croire qu’ils étaient les seuls à avoir un téléphone rouge directement branché sur le Divin. Ma dignité d’Enfant de Dieu est proprement ahurie devant un tel dévoiement séculaire. Des tueurs de Conscience ! Y’a pas pire que ça!
    Ils sont des fabricants d’une religion sur Jésus contraire à la religion de Jésus ( le royaume est en vous!).

  3. Bravo! Jean-François Lisée, on ne dira jamais assez à quel point l’Église catholique est loin de l’éthique biblique et obsédée par ses dogmes et ses sacrements plutöt qu’en recherche de vérité dans le réel.

  4. Le théologien allemand, Eugène Drewermann, aujourd’hui excommunié, a eu plusieurs échanges épistolaires avec Ratzinger sur les dérèglements et contradictions de l’Eglise, notamment la sexualité des clercs. Il faut lire Les Fonctionnaires de Dieu, son livre probablement le plus connu.

  5. Je trouve dommage que vous et combien d’autres personnifiés le passé d’une personne une fois décédée. Il me semble que ces décideurs méritent d’être châtié lorsqu’ils sont vivants.

  6. J F Lisée On va s’émouvoir encore davantage devant les méfaits catho, quand la Gauche atavistique va ouvrir le moindrement les yeux sur l’engeance islamo.

    • M. Jaroussault vous avez le bons sens de réveiller .L H Lisée et je vous cite: «quand la Gauche atavistique va ouvrir le moindrement les yeux sur l’engeance islamo.» Pensez-y Lizée !!

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