Vous êtes au courant ? L’état des relations Québec-Canada n’est pas au beau fixe. « Dans les dernières décennies, le gouvernement fédéral a souvent agi unilatéralement, tantôt pour imposer ses volontés dans des champs de compétence provinciale, tantôt pour diminuer son financement aux provinces », nous apprend un document officiel.
C’est vrai ça. Juste pendant les toutes dernières années, Ottawa a refusé de rétablir son financement historique en santé, ce qui limite la capacité des provinces de bien pourvoir à leurs besoins. Mais de l’autre main, Ottawa a créé de toutes pièces ses propres programmes en santé. Il a décidé d’utiliser son superpouvoir, appelé « pouvoir de dépenser », pour rendre gratuits l’insuline pour les diabétiques, la contraception pour les femmes ainsi que les soins dentaires pour les aînés et les démunis.
Que de bonnes idées, sauf pour deux microbémols. D’abord, si le Québec et les autres provinces n’avaient pas jusqu’ici cru utile de développer ces programmes, c’est qu’ils ont d’autres priorités. Par exemple : réduire le nombre d’heures que passent les aînés sur des civières avant d’être soignés. En lisant un document un peu désuet qui s’appelle la Constitution, on pensait que ces choix déchirants sur quels services couvrir ou non revenaient aux provinces, pas au gouvernement fédéral.
Le second bémol est le suivant. Une des raisons pour lesquelles le Québec ne rembourse pas la totalité des soins dentaires et des médicaments est qu’il n’a pas les revenus nécessaires pour payer toutes ces factures. Si Ottawa décide de compenser ce manque, c’est parce qu’il a les sous, pensez-vous ? Même pas. Le fédéral est aussi, sinon plus, endetté que les provinces. Il décide donc d’être généreux avec nous, mais à même notre carte de crédit collective.
On connaît la chanson : Ottawa décide de venir se mêler de nos affaires, mais puisque nous sommes les prestataires de services, il faut quand même qu’on signe une entente. C’est comme ça en habitation, en infrastructures, et tout le reste.
La beauté du programme de soins dentaires concocté par Ottawa est qu’il n’a nullement besoin d’entente avec Québec pour s’appliquer. Via une compagnie d’assurances privée qui a obtenu le contrat fédéral, Ottawa rembourse directement les dentistes privés affiliés au programme. Les aînés québécois, attirés — on le comprend — par la perspective de soins dentaires à bas coûts, sont allés cogner à la porte des dentistes qui oeuvrent dans nos établissements publics, par exemple les CHSLD et les cliniques communautaires. Mais puisque ces derniers sont employés par l’État québécois, ils avaient la directive de ne pas embarquer dans ce stratagème. Scandale !
Un homme qui tient beaucoup à la condition dentaire des aînés, le député de Rosemont aux Communes, le néodémocrate Alexandre Boulerice, a monté le ton : « Ça prend une méchante gang de sans-coeur pour être capable de punir des gens, de faire mal à des gens comme ça, qui, autrement, auraient le droit d’avoir accès au dentiste ! » Je décode : la méchante gang de sans-coeur est, en l’espèce, les membres du gouvernement de la Coalition avenir Québec. Vlan : dans les dents !
Le sans-coeur-en-chef dans cette affaire, Christian Dubé, ministre de la Santé, a immédiatement réagi. Il a cédé. Et a donné aux dentistes salariés de l’État l’ordre immédiat de se conformer aux désirs de M. Boulerice, par ailleurs chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD). Oui, car c’est son parti qui a imposé à Ottawa la chouette idée de s’ingérer dans la compétence provinciale de la santé. Informé pendant le processus que la santé était de compétence québécoise, son chef, Jagmeet Singh, n’y est pas allé avec le dos de la fraise : « Est-ce que les aînés parlent de champs de compétence ou est-ce qu’ils disent : “je veux traiter mes dents, ça coûte trop cher et je ne peux pas” ? » Il a ajouté, mordant : « Dans ce cas précis, [le gouvernement Legault et Québec solidaire] ne sont pas liés à la réalité de la population du Québec. » Le NPD, lui, l’est. C’est en tout cas ce que lui dit son caucus du Québec, unanime. Ils sont un.
Boulerice a d’ailleurs intimé Trudeau de « rappeler le Québec à l’ordre ». Il voulait dire « aux ordres », donc aux ordres du souverain fédéral. Celui qui sait, celui qui décide, celui qui donne des ordres. « Province », au fond, signifie « vaincus ».
Je reviens au document que je vous citais au début de cette chronique. Je l’ai trouvé sur le site du député Boulerice. On y lit entre autres ceci : « Une entente qui n’obtient pas le consentement du Québec n’est pas une entente du tout : c’est une mésentente. »
On y lit aussi : « Le Québec a simplement besoin d’assurances que le gouvernement fédéral va respecter les processus et politiques [pris] par le Québec. » Voilà une idée, qu’elle est bonne ! Encore : « Il est clair que des garanties données au Québec quant à l’asymétrie et quant au respect des juridictions provinciales pourraient considérablement contribuer à favoriser une plus grande coopération. » Que de sagesse ! « Une reconnaissance formelle et un respect pour le Québec pourraient contribuer à réduire les méfiances. » On ne saurait mieux dire.
Ces citations proviennent d’un monde révolu. Celui où le NPD, dans un bref moment de lucidité en 2005, en adoptant cette Déclaration de Sherbrooke, jugeait opportun de respecter la différence québécoise et, plus fondamentalement, le principe de division des pouvoirs inhérent à toute fédération qui se respecte. C’est une constante dans la politique canadienne : les seuls vrais fédéralistes sont les Québécois. Sans eux, le pays aurait été unitaire. Le respect du fédéralisme est donc consubstantiel au respect de la différence québécoise.
Le NPD et son ex-allié libéral fédéral n’en ont rien à cirer du fédéralisme et de la différence québécoise. Jagmeet Singh se pose en champion des déchirures. En proposant des politiques fédérales qu’il souhaite imposer au Québec, insultes en prime, il a déchiré la Déclaration de Sherbrooke. Il a ensuite déchiré l’entente qui le liait à Justin Trudeau, sans même l’aviser par téléphone qu’il allait procéder de la sorte.
La Déclaration disait pourtant vrai. L’irrespect pour le Québec provoque la mésentente. Et nourrit la méfiance. Lorsque le Québec sera enfin souverain, on pourra, dans un futur musée de l’indépendance, afficher dans un hall de la grande déchirure le portrait de ceux qui nous ont poussés vers la sortie. On y verra en bonne place celui de Jagmeet Singh avec, en mortaise, le profil du dernier spécimen de Neodemocratinus quebecensus, Alexandre Boulerice.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)