Les enquêtes Charest : une vraie bonne question éthique

24-gomeryLe premier ministre Jean Charest a pris la décision qu’il fallait, ce mardi, en annonçant la tenue d’une enquête publique sur les allégations de son ancien ministre de la Justice. Il faut bien sûr que toutes les allégations soient examinées.

Des liens indirects peuvent certes être établis entre le milieu de la construction et les allégations de Marc Bellemare, (le collecteur de fonds libéral demandant, selon l’ex-ministre, la nomination de ses avocats favoris comme juges est lié à ce milieu). Cependant il est préférable de tenir indépendamment l’enquête sur ces nouvelles allégations et celle sur la construction. De plus, puisque le gouvernement s’entête à ne pas ouvrir publiquement le dossier de la construction, il n’est pas impossible que l’enquête sur les allégations Bellemare lève un ou deux lièvres sur les réseaux de financement du PLQ liés à ce milieu. Ce qui serait un tremplin pour la suite.

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Permettez-moi d’être précis. Il faut une commission sur la construction et le financement électoral. Il la fallait il y a huit mois. Il la faut aujourd’hui. Mais même si elle existait, la nature des nouvelles accusations est différente, car elle entache et la fonction du premier ministre et le processus judiciaire. Une enquête distincte, et par définition plus rapide, est indispensable. (Nous en verrons le libellé du mandat ce mercredi, mais il appert que le témoignage de l’ex-ministre, et la version de M. Charest, seront au coeur de l’enquête.)

Quoi qu’il en soit, le premier ministre s’est rendu vulnérable à une question qui touche, précisément, l’éthique. Pendant toute la période de question, l’opposition a martelé un point central. Puisque l’enquête à venir porte sur les agissements du premier ministre, comment peut-il lui-même participer à la désignation de la personne qui enquêtera ?

Au Conseil des ministres, il est systématique qu’un ministre s’exclue de tout débat où il peut avoir un intérêt personnel, ou même une apparence d’intérêt personnel. Ainsi, la ministre Pauline Marois se retirait toujours des délibérations du Conseil lorsque étaient discutés les dossiers de la Société Générale de Financement, que dirigeait alors son mari.

Comment, dans ce cas-ci, bien plus grave, le premier ministre pourrait-il non seulement participer, mais en plus présider la désignation de la personne qui enquêtera sur sa propre ses faits et gestes ?

Gomery, pas assez intègre aux yeux du PLQ !

Ce mardi, il a refusé de se plier à cet argument. Il devrait le faire maintenant. Le Parti québécois a proposé de déléguer au Juge Gomery et au Vérificateur général la tâche de désigner le futur juge et de déterminer son mandat. Le gouvernement a préféré discréditer M. Gomery en chambre. On comprend qu’ils s’en méfient — sa grande curiosité les agacent. Reste que le gouvernement pourrait très bien proposer son propre panel, qui désigne le futur juge.

L’exemple américain et… canadien

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Aux États-Unis où, depuis le Watergate, la tradition de désignation d’enquêteurs spéciaux devant examiner le comportement du président est bien établie, ce panel existe d’office.  Lorsque le président accepte une enquête, son Procureur général demande à la Cour d’appel de Washington de former un panel de trois juges. Ceux-ci désignent à leur tour  l’Independent Counsel qui fera enquête et ils déterminent l’ampleur de son mandat.

À Ottawa, même, dans l’affaire Mulroney-Schreiber, le premier ministre Stephen Harper a cru bon désigner une personnalité indépendante — le juriste David Johnston — pour lui recommander quel devrait être le mandat de la commission d’enquête.

J’ai déjà noté sur ce blogue qu’il y avait un rouage manquant dans la démocratie québécoise pour déterminer le lancement de ces commissions.  Ce vide juridique est plus évident que jamais. Mais de manière ad hoc, le premier ministre aurait intérêt à annoncer qu’il procède de cette façon. Sinon, l’impartialité du juge qu’il désignera sera viciée.

Des précédents viciés

Il y a bien sur des précédents pour vicier des processus. Jean Chrétien, lors du renvoi en Cour suprême sur la sécession du Québec, ayant posé des questions dont un ancien Président de la Commission du droit international des Nations Unies, Alain Pelet, déclarait qu’elles étaient à ce point tendancieuses que la Cour devrait refuser d’y répondre, avait en plus nommé sur le banc de neuf juges, trois juges (donc le tiers) alors que la cause était pendante !

Et malgré tout cela, la Cour suprême a produit un avis qui a rendu livide le Premier ministre qui l’avait consultée — notamment parce qu’elle établissait « l’obligation de négocier » d’Ottawa, au lendemain d’un référendum favorable à l’indépendance.

Tout cela pour dire qu’on ne sait jamais où mène une commission que l’on nomme, même lorsqu’on vicie intentionnellement le processus.

D’où ma conclusion : puisqu’on ne sait pas où cela mène, autant être irréprochable au moment de sa création.

* * *

Un dernier mot sur un sujet incident. J’ai vu la période de questions ce mardi,  présidée par le député libéral Jacques Chagnon, 2e V-P de l’Assemblée, en l’absence du président Yvon Vallières. Chagnon a mené les débats de façon admirable. Quand il ne sera pas là, on s’ennuiera de lui…

Les Libéraux avaient-ils vraiment besoin de mettre en cause l’intégrité du juge Gomery ? (Photo : PC)