Les impunis

On reprochera ce qu’on voudra aux influenceurs ostrogoths, aux complotistes, aux réfractaires à la vaccination. On pourra jusqu’à plus soif blâmer François Legault pour notre Noël à 25 invités qui n’aura jamais eu lieu, Horacio Arruda pour les tests rapides qui ont moisi en entrepôt, Jean-François Roberge pour les ratés de la ventilation. Mais une chose est certaine : ils ne sont responsables ni de l’apparition ni de la diffusion du virus.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Pendant que la planète assume le choc d’un nouveau variant et que l’insatisfaction gronde face à des gouvernants épuisés par deux ans de gestion de pandémie, on ne parle pas du grand impuni de la catastrophe sanitaire.

Un crime sanitaire contre l’humanité

Dans un monde normal où le droit international primerait sur les rapports de force, la Cour pénale internationale lancerait ces jours-ci le procès du gouvernement communiste chinois. L’acte d’accusation serait : crime sanitaire contre l’humanité. En détail, on parlerait d’infractions caractérisées à ses engagements de prompt transfert d’information à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de négligence criminelle ayant provoqué la mort, à ce jour, de 5,5 millions de personnes. On noterait un facteur aggravant : la récidive.

La tâche du procureur serait aisée, tant les éléments de preuve sont déjà du domaine public. Nous savons que le premier cas du virus, dont les caractéristiques étaient inconnues, a été découvert à Wuhan le 1er décembre 2019. Courant décembre, des douzaines de patients sont hospitalisés à Wuhan et des médecins constatent que le virus peut se transmettre de personne à personne, puisque du personnel médical est atteint. C’est une information capitale.

Un laboratoire chinois détermine le 26 décembre que le virus s’apparente au SRAS, qui a fait plus de 700 morts en 2003. Consciente de cette information, la Commission nationale de la santé de Chine, le 30 décembre, ment et affirme qu’il y a à Wuhan une « pneumonie virale » qui n’a « aucun rapport avec le SRAS ». Le même jour, la Commission municipale de la santé de Wuhan ordonne au personnel de la santé de ne donner aucune information au public au sujet du virus. Mais l’ophtalmologiste Li Wenliang exprime son inquiétude dans son réseau. Son message est largement distribué. Le 1er janvier, Li et des collègues médecins sont arrêtés par la police locale et forcés de signer une confession selon laquelle ils ont « publié des propos fictifs » et « sévèrement troublé l’ordre social ».

L’OMS est avisée de l’éclosion chinoise, non par les autorités de Pékin, mais par un réseau international de veille, Promed, alerté par les messages privés de médecins chinois. Réclamant de l’information, l’OMS est officiellement avisée le 3 janvier de 44 cas de « pneumonie virale » de cause inconnue.

Le 5 janvier, le virologue chinois Zhang Yongzhen réussit à séquencer génétiquement le virus, confirme sa similarité avec le SRAS et la probabilité de sa transmission entre humains. Il souhaite partager la découverte avec ses collègues mondiaux, mais la Commission nationale de la santé de Chine a ordonné qu’aucune information ne soit diffusée sans son autorisation. Le 11 janvier, au risque de sa liberté, Zhang contrevient aux ordres et envoie le séquençage à un collègue australien, qui le rend public. La digue de la désinformation est rompue. Le 14 janvier 2020, l’État chinois ment encore à l’OMS en affirmant n’avoir trouvé aucun signe de transmission humaine, alors même que, secrètement, le ministre chinois de la Santé avise ses subalternes de « se préparer à une possible pandémie ». Le lendemain, le 15 janvier, le directeur du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies affirme que « les risques de transmission humaine sont faibles ». À ce moment, plus de 1700 travailleurs chinois de la santé ont été infectés.

Ce n’est que le 20 janvier que les autorités chinoises admettent que le virus se transmet entre humains. Le 23 janvier, la ville de Wuhan est mise en quarantaine, confirmant au monde l’importance de l’épidémie.

La question qui tue

Que se serait-il passé si la Chine avait agi plus rapidement ?

Deux études, une de l’Université Yale, une autre de l’Université britannique de Southampton, indiquent que le virus aurait été massivement contenu, et sa propagation réduite d’au moins 86 %, si la Chine avait imposé un confinement début janvier, alors qu’elle avait déjà en main les éléments de preuve scientifiques sur sa dangerosité. Un confinement mi-janvier l’aurait réduit de 66 %.

La culpabilité de la Chine est d’autant plus grande que son comportement lors de la crise du SRAS lui avait déjà valu la réprobation internationale. La première irruption du virus avait eu lieu en novembre 2002 dans sa province du Guangdong, mais la Chine n’en a avisé l’OMS qu’en février 2003. Les autorités chinoises s’étaient alors formellement engagées à être plus transparentes avec l’OMS à l’avenir. Promesse brisée.

Je vous épargne les détails légaux, mais les juristes spécialisés estiment que la démarche la plus sûre serait qu’un ou plusieurs pays membres de l’OMS saisissent la Cour internationale de justice. Si la Cour accepte d’entendre la poursuite, le procès s’ouvrira. Évidemment, la Chine pourrait refuser de se défendre et, plus encore, refuser de se soumettre au jugement, ce qui la mettrait en contravention de ses obligations internationales.

Une seule grande question demeure. Trouvera-t-on dans la communauté internationale un ou plusieurs pays ayant suffisamment de cran pour entamer cette procédure ? Si ce crime sanitaire contre l’humanité ne vaut pas un procès, si 5,5 millions de morts ne suffisent pas à réclamer l’imputabilité, sinon la réparation, c’est la justice même qui sera l’ultime victime du fléau combiné du virus et de la dictature.


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