L’avantage avec les familles nombreuses, c’est qu’elles nous permettent de mesurer les changements sur une longue période. Isabelle Létourneau et son conjoint, Vincent Hubert, ont vu leurs enfants grandir pendant 18 ans dans une même école primaire, publique et francophone, à Montréal. À la fiesta organisée à la fin de chaque année, ils ont vu fondre la place donnée aux chansons francophones. Chaque année à Noël, un choeur d’enfants du primaire apprenait et présentait une chanson de Leclerc — comme Le train du Nord — ou de Vigneault. Le budget a été comprimé.
Allant conduire et chercher leurs bambins, le couple a constaté que l’anglais, jadis absent hors des cours lui étant consacré, est devenu un outil de communication fréquent entre enfants. On leur a signalé deux cas où des enfants ont été exclus d’un groupe informel d’élèves, dans la cour de récréation, car leur connaissance de la langue anglaise n’était pas assez forte. « On a vu une sorte de dégradation, disent-ils, et ça s’est comme étiolé, le lien entre la langue et la culture. »
Lecteurs du Devoir, ces parents ont constaté en lisant en février ma chronique « Identité anti-québécoise » qu’ils n’avaient pas la berlue, et qu’ils n’étaient pas seuls. Avec deux autres parents, ils se sont mis à la recherche de solutions et ont présenté au conseil d’établissement de leur école une liste d’actions visant la « valorisation du français et de la culture québécoise ». Le conseil l’a adoptée.
La francoresponsabilité
Parmi leurs propositions, celle d’emprunter une technique utilisée pour la valorisation de l’environnement. On demande aux élèves d’être écoresponsables ? Montrons-leur comment être francoresponsables en désignant une enseignante responsable de la francoresposabilité ! Ils constatent qu’une enseignante enlève des points aux élèves qui utilisent l’anglais entre eux dans la classe. Pourquoi ne pas généraliser la pratique ? (J’ajoute : l’appliquer aux autres langues aussi ?) Ils notent aussi qu’il arrive que lorsque des élèves s’adressent à eux en anglais, des enseignants répondent en anglais. Ils souhaitent que le signal inverse soit envoyé.
Ils veulent documenter le caractère anecdotique ou répandu de ce qu’ils appellent « l’intimidation linguistique », en insérant une question à ce sujet dans le questionnaire existant sur les autres formes d’intimidation à l’école, permettant ainsi d’obtenir un portrait du phénomène et d’en suivre l’évolution d’une année à l’autre.
Constatant que, lors d’activités spéciales et au service de garde, la musique choisie par les responsables est majoritairement anglophone, ils proposent d’inverser le choix, et de faire de la fiesta de fin d’année une fiesta francophone, pour lier la langue française à la notion de plaisir. Parents et enfants seraient invités à y chanter une chanson d’au revoir, en français, pour ceux de 6e année, lorsqu’ils traversent, comme c’est déjà la coutume, la haie d’honneur des finissants.
Le conseil d’établissement a aussi choisi de prendre prétexte du Mois de la Francophonie, en mars, pour lancer plus tôt dans l’année un concours d’affiches illustrant une expression francophone, les meilleurs remportant des livres (en français). Il est question aussi d’organiser un karaoké de chansons québécoises et un moulin à paroles, concours d’art oratoire adapté aux différents niveaux.
Un journal étudiant préparé par des élèves et des parents serait une autre façon d’utiliser la langue, et un artiste francophone du quartier pourrait être invité à venir présenter sa production culturelle. La chorale du temps des Fêtes serait de retour, avec une chanson du répertoire québécois. La Journée nationale des patriotes en mai ne devrait plus n’être qu’un jour férié, mais plutôt l’occasion d’expliquer le combat et les idées de ces précurseurs.
Des fêtes présentent la diversité culturelle de l’école et doivent continuer de le faire. Mais il faut veiller à ce que la culture québécoise y ait une place de choix. « Des élèves nés ici ou vivant ici depuis longtemps sont fiers de présenter aux autres élèves leur coin de pays. Il ne faut pas les en empêcher », écrivent les parents.
Certains des superhéros de Marvel pourraient-ils céder leur place à des figures québécoises dans les classes ? Et de citer Louis Cyr, Maurice Richard…
La directrice de l’école, Daphnée Landry, a présenté cette semaine les initiatives de son conseil d’établissement aux représentants de 25 autres écoles de Notre-Dame-de-Grâce. On me rapporte que la réception fut enthousiaste. Comme si ces actions répondaient à un réel besoin.
Une année de Québec intensif ?
Ils ont également observé un phénomène paradoxal en 6e année, moment où les élèves peuvent opter pour un semestre d’anglais intensif. Seuls les élèves de 5e qui ont de bons résultats en français et dont la langue d’usage à la maison n’est pas l’anglais peuvent y accéder. Comme il y a trois classes par niveau, suffisamment d’élèves se qualifient pour que deux des trois classes de 6e soient pourvues.
Mais cela a pour résultat de laisser dans la classe ordinaire restante ceux dont la qualité du français est la plus faible et ceux qui parlent anglais à la maison, donc ceux qui ont culturellement le moins de contact avec la québécitude. Résultat : l’émergence de l’anglais comme langue commune entre élèves qui ne sont pas en anglais intensif. Dilemme.
Une solution, boiteuse, est de fermer une des classes intensives d’anglais pour que davantage de francophones restent dans les groupes réguliers. Vincent Hubert en a une autre, bien meilleure (note à Bernard Drainville, pour ce qui suit, sors ton surligneur) : transformer la classe régulière en classe intensive de langue et culture québécoises. Pendant que leurs copains francophones s’initient à l’anglais, à Sherlock Holmes et à Taylor Swift, les autres plongeraient dans les aventures imaginées par nos auteurs jeunesse, découvriraient des émissions pour enfants de Télé-Québec, apprendraient qu’il existe de la radio et de la télé en français. J’ajoute : qu’on les emmène aux sucres, au Carnaval. On pourrait même leur organiser une semaine dans une famille et une école de Trois-Rivières, Saint-Georges de Beauce ou Saguenay. Bernard, penses-y, ça pourrait être un de tes grands legs !
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
Quelle excellente initiative. Je souhaite qu’elle soit contagieuse dans toutes les écoles du Québec.
Quelle baume, aujourd’hui, sur mon inquiétude grandissante de la survie de notre belle et riche langue française.