Les progrès de la pensée unique

Un parti devrait-il pouvoir présenter, à l’élection d’octobre, des candidats opposés à l’avortement ? Non, dit le premier gardien de nos droits démocratiques, le premier ministre François Legault : « Ce n’est pas normal, il ne devrait pas y en avoir. »

La cheffe de l’opposition officielle est du même avis. « Le message au Québec doit être sans compromis, dit la libérale Dominique Anglade. Je demande à l’ensemble des formations politiques d’avoir clairement des candidats qui ne sont pas contre l’avortement. » Même propos chez Gabriel Nadeau-Dubois : « Nous, à Québec solidaire, on s’attend à ce que les partis politiques au Québec défendent le consensus social québécois que les droits des femmes, c’est non négociable, puis que le droit des femmes à disposer de leur corps, c’est non négociable. Puis je pense que c’est un test pour l’ensemble des partis politiques qui aspirent à gouverner au Québec. »

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C’est en effet un test. Un test de respect de la démocratie, du débat et de la diversité des opinions. Legault, Anglade et Nadeau-Dubois y échouent lamentablement. Comme eux, je suis personnellement favorable au statu quo, qui fait du Canada un des pays où ce droit pour les femmes est le plus étendu — même si l’accès à l’avortement n’est pas toujours au rendez-vous, surtout à l’extérieur du Québec. Cela dit, si le consensus social dictait qui peut se présenter aux élections, aucun candidat pro-avortement n’aurait pu faire campagne jusque tard dans les années 1960. Aucun candidat pro-mariage gai avant les années 1970. Aucun candidat pro-légalisation du cannabis avant les années 1980.

L’idée que le consensus doit baliser l’espace démocratique est fondamentalement malsaine, pour ne pas dire toxique. L’élection doit au contraire être le lieu où les opinions présentes dans la cité s’expriment, s’affrontent, triomphent, végètent ou périssent. Combattre une opinion est une chose. Les anti-avortement sont heureusement aujourd’hui marginalisés dans notre coin d’Amérique. Leur interdire droit de cité revient cependant à bafouer leur liberté d’expression et à pousser certains de ces exclus dans la radicalité.

Sur le fond, si on peut affirmer sans crainte que l’appui québécois au droit absolu à l’avortement est massif (les deux tiers, selon les dernières données disponibles, recueillies en 2016), il n’est pas hégémonique. Près du tiers de l’électorat y est toujours opposé (plus précisément, 24 % pensent qu’il devrait être permis, mais seulement sous certaines conditions et 5 % le refusent en toutes circonstances, sauf si la vie de la mère est en danger). Ces Québécois ne doivent-ils pas trouver quelqu’un, dans l’opposition, qui relaie leur malaise ? Et lorsqu’on interroge même les pro-choix sur l’avortement au troisième trimestre, ou dans le but de choisir le sexe de l’enfant (ce qui est un euphémisme pour parler d’avortement des fœtus féminins), les majorités s’effondrent. Il n’y a pas, là-dessus, de consensus.

Éric Duhaime aurait pu décider de n’accepter parmi ses candidats que des personnes qui partagent sa propre position pro-choix. C’est certainement par calcul qu’il veut signaler aux 30 % d’électeurs anti-avortement qu’ils peuvent trouver chez lui un accueil bienveillant. Quand on veut fédérer les mécontents et les exclus, on ne procède pas autrement. À lui d’expliquer ensuite pourquoi il veut interdire à l’État de nous imposer vaccins et masques, mais qu’il accepte qu’on discute chez lui que l’État fasse la circulation dans les cavités vaginales. Bonne chance !

Une dérive

La députée Lise Thériault, du Parti libéral du Québec, a fait un pas de plus en point de presse jeudi. Outrée, à bon droit, que Rénald Grondin ait pu devenir président de la FTQ-Construction malgré un jugement antérieur lui reprochant une agression sexuelle, elle a proposé que soit désormais interdite l’accession à des fonctions électives syndicales à toute personne ayant un dossier ainsi entaché. Elle ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Cette inéligibilité, a-t-elle dit, « peut s’étendre aux députés, elle peut s’étendre aux élus municipaux, elle peut s’étendre à n’importe qui qui est représentatif de sa population dans un poste électif ». Pour combien de temps ? Elle n’en est pas certaine.

Ce principe existe, de façon très balisée, en droit municipal, pour les peines d’au moins deux ans. L’inéligibilité expire après un délai égal au double de la période d’emprisonnement prononcée. Reste que c’est le principe de la double peine. Vous commettez une infraction, la justice vous punit. Vous purgez votre peine, payez votre dette. Puis la politique vous punit : votre rédemption attendra, quelles que soient les circonstances.

Heureusement, il y avait un adulte dans la pièce, à Québec, cette semaine.

Sur l’interdiction d’être candidat avec des opinions contraires au consensus, l’adulte a dit ceci : « Si quelqu’un veut se présenter en politique, avec des positions comme le fait que la Terre est plate ou que la personne est climatosceptique, moi, je ne dirai jamais, comme l’ont fait d’autres partis d’opposition : “On va vous empêcher, de toutes les manières, de vous présenter”. Présentez-vous en disant que la Terre est plate, puis on regardera votre résultat électoral. »

Sur l’idée de rendre inéligible une personne coupable d’une infraction, l’adulte a dit ceci : « La personne nous a démontré qu’elle s’est réhabilitée, qu’elle devient un agent de paix, un agent de changement positif dans la société, on peut prendre la décision de prendre quand même cette candidature-là, en disant : “Ça, c’est un bel exemple”. Mais je ne veux pas qu’une loi de l’Assemblée nationale me fasse une liste de dix infractions criminelles qui empêchent de sélectionner quelqu’un. »

Son nom ? Paul St-Pierre Plamondon. Ce n’est pas parce qu’il m’a succédé à la tête du Parti québécois que, comme chroniqueur, je ne lui donnerai pas ce qu’il mérite, et de loin : l’étoile du match démocratique de la semaine.

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

Ce contenu a été publié dans Démocratie, Politique québécoise par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

1 avis sur « Les progrès de la pensée unique »

  1. Bravo pour votre texte, Jean-François! Belle rigueur démocratique de Paul St Pierre Plamondon.
    Sous l’angle de cet esprit démocratique , je m’insurge contre la décision du Devoir d’aujourd’hui de ne permettre aucun commentaire du texte de M. Lisée paru dans Le Devoir de ce jour. Il y a toujours des modérateurs pour éviter les dérapages, n’est-ce pas?
    Franchement, pour aujourd’hui, on se croirait à Radio-Canada, qui à tout moment interdit de commenter telle nouvelle sous prétexte qu’il s’agit de  » question sensible ». Eux aussi ont pourtant des modérateurs pour éviter tout excès de langage.

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