Je m’y attendais, mes billets sur les dangers du vote stratégique et sur la soudaine popularité de mon amie Françoise David chez les Libéraux ont provoqué des réactions, parfois vives, sur ce blogue et ailleurs. Je le comprends aisément. Mon estimé collègue candidat QS dans Rosemont, François Saillant, s’est entre autres dit choqué de ce qu’il appelle ma « campagne de peur ».
J’écrivais en effet ce mercredi que « Dans mon cas dans Rosemont, sur la base des résultats de la dernière élection, il suffirait que moins de 2 de mes électeurs sur 5 passent à QS pour que la candidate libérale l’emporte. »
Voici ce que François m’écrit:
Bonjour Jean-François,
Moi qui ai milité au Parti québécois à l’époque du Coup de la Brinks, je croyais sincèrement que les campagnes de peur étaient l’apanage du Parti libéral du Québec… (et ces jours-ci de la CAQ et de ses caribous!)
Je savais déjà que le PQ était un vieux parti, usé par ses années de pouvoir, les défaites du Québec (référendums perdus, rapatriement de la constitution malgré l’opposition du Québec et son adhésion au crédo néo-libéral). J’estimais néanmoins qu’il demeurait un parti qui tentait de conquérir les cœurs et les esprits par ses idées, ses propositions, ses espoirs, ses ambitions. Je vois bien ces jours-ci que je me trompais.
Laisser croire que la candidate libérale pourrait gagner dans Rosemont est risible, surtout quand on sait qu’elle fait une campagne minimale, sans espoirs de victoire. Est-ce tout ce qui reste comme argument au PQ et à un intellectuel de ton calibre pour convaincre les électrices et les électeurs de demeurer dans le giron péquiste? Dans ce cas, ce n’est plus risible, c’est triste!
François Saillant
Candidat de Québec solidaire dans Rosemont
Un monopole de la mathématique à QS ?
Bon, François est très très fâché, je le sens bien. Il me reproche d’utiliser des arguments de nature stratégique pour retenir mes électeurs, plutôt que des arguments de fond. Mais je fais les deux, François, exactement comme toi, à ton exemple de jeune parti. Car n’est-ce pas toi qui a envoyé ce gazouillis ?
Pas beaucoup de promotion d’idées ici.
Rassures-toi, je ne trouve ni triste ni minable que tu utilises un argument stratégique pour attirer des votes dans le giron Solidaire. C’est d’ailleurs un de vos arguments principaux: l’élection de députés QS vous donnerait la « balance du pouvoir » et rendrait « mathématiquement impossible » une victoire libérale. Vous en faites même une vidéo et distribuez largement un feuillet statistique explicatif.
Êtes-vous les seuls à avoir le droit d’utiliser la mathématique dans votre argumentation ? Je ne le crois pas. Vous n’en avez pas, comme le veut une expression à la mode, le « monopole ».
Une victoire libérale dans Rosemont, « risible » ?
J’admets avec François qu’une victoire libérale dans Rosemont est improbable, même si les Libéraux ont tenu la circonscription pendant neuf ans, de 1985 à 1994. Il m’apparaît en effet impossible que la candidate libérale, malgré toutes ses qualités, réussisse à elle seule à récolter davantage de votes que les partis souverainistes cumulés.
Mais il est mathématiquement tout à fait possible que QS, qui fait une campagne très active dans Rosemont, fasse basculer assez de vote pour fragmenter le vote souverainiste jusqu’à ce qu’il soit suffisamment en morceaux pour que la candidate libérale nous double au fil d’arrivée.
Samedi dernier j’interprétais le gazouillis de François comme s’il me me concédais la victoire. Il me répondait en commentaire:
Je ne te concède pas la victoire. Ce que j’affirme, c’est que les partis se réclamant de la souveraineté ou de l’indépendance du Québec sont tellement forts dans Rosemont que ni le Parti libéral (qui, tu l’avoueras, mène une campagne bien timide dans notre comté) ni la CAQ ne peuvent l’emporter, d’autant plus qu’eux aussi se divisent des votes, ceux des fédéralistes.
François, il faudrait savoir ! Si tu ne me concèdes pas la victoire, c’est donc que tu espères avoir davantage de votes que moi. Si tu m’en enlèves la moitié, la libérale gagne. Il faudrait que tu m’en enlèves 4 sur 5 pour que tu sois élu, que la libérale soit seconde, et que je sois troisième (sur la base du dernier scrutin — la CAQ est quasi invisible dans le comté).
Je suis confiant de l’emporter dans Rosemont, j’y travaille tous les jours.On me dit que ma victoire est probable. Je veux bien le croire. Mais je me méfie des certitudes.
Un résultat « risible » bis
En tant que candidat d’un vieux parti, je crois savoir que l’électorat est extraordinairement indépendant d’esprit. Et que des choses considérées comme « mathématiquement impossibles » surviennent assez souvent. Amir nous affirme ces jours-ci que c’est « impossible » que les Libéraux s’accrochent au pouvoir, même minoritaires. Mais n’était ce pas le même Amir qui nous disait au printemps dernier qu’un vote ponctuel pour le NPD n’allait absolument pas conduire à un effondrement du Bloc ? Il ne prévoyait qu’au mieux 10 députés du NPD, et 40 au Bloc. C’était sa prédiction trois jours avant le vote.
N’aurait-il pas été complètement risible de prévoir la défaite de l’excellent député bloquiste dans Rosemont, Bernard Bigras ? Et de Pierre Paquette dans Joliette ? Et de Gilles Duceppe ? Oui, complètement risible.
Lors du référendum de 1995, les meilleurs analystes libéraux estimaient complètement risible que le Oui puisse dépasser les 40% des voix. Un des meilleurs analystes péquistes a fait devant moi la démonstration que nous avions un « plafond absolu » de 44%. Nous avons eu plus de 49%.
Lors de l’élection de 1998, que j’ai vécue de l’intérieur, la campagne de Jean Charest fut si catastrophique qu’on a inventé pour lui le terme de « Pré-Mortem », plutôt que post-mortem, pour décrire dans des dizaines d’articles sa chute prodigieuse. Au fil d’arrivée, il eut moins de sièges que le PQ, mais davantage de votes. L’imminence, annoncée dans les sondages, d’une grande victoire péquiste a démobilisé une partie de l’électorat et sapé notre élan vers un autre référendum.
J’estime donc qu’il faut faire preuve d’un sain scepticisme envers ceux qui nous affirment avec certitude que la division du vote souverainiste n’aura aucune conséquence négative. Un sain scepticisme, mais du respect. Pas d’insultes ou d’invectives envers d’autres souverainistes.
La prochaine fois, des alliances tactiques ?
Ceux qui suivent ce blogue de près savent que je suis le premier peiné que le PQ et QS n’aient pu, en décembre et janvier avant que la machine électorale soit en marche, conclure des alliances tactiques dans plusieurs comtés. Avec plusieurs députés péquistes favorables (il y en avait des défavorables) j’ai tenté d’ouvrir cette fenêtre, en toute bonne foi et de toutes mes forces. Je ne puis dire si nous aurions réussi, mais nous devons à la vérité de dire que les discussions, préliminaires, ont cessé lorsque Amir a envoyé un courriel à plusieurs militants de ce rapprochement. Avec sa permission, je l’ai mis en ligne ici. En voici l’extrait-clé:
Dans une conjoncture politique étroite, qui inspire très peu confiance, les gens pourraient penser que nos tentatives sont mues par un opportunisme de carrière. C’est très regrettable, mais ce risque existe et serait intolérable à plusieurs d’entre nous. Je suis personnellement très sensible à cette difficulté. En conclusion, la pente me paraît difficile à remonter.
Dans son courriel, Amir se dit peiné de constater que la base militante de QS refusait d’envisager des alliances tactiques avec le PQ, malgré la bonne volonté affichée par lui-même, Françoise et, dois-je ajouter, François Saillant. Je ne leur en veut pas. Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Moi aussi.
Mais cette impossibilité nous conduit au dilemme de la division du vote et aux hourras qu’elle provoque chez nos adversaires. Espérons que nous serons tous plus sages la prochaine fois. Espérons que la prochaine fois l’élection se fera dans un Québec souverain. Espérons que la prochaine fois nous aurons combiné nos forces, plutôt que de les diviser.
Pour ces trois espoirs, François, Françoise, Amir, vous savez pouvoir compter sur moi. Mais seulement si, le 4 septembre, le Québec se donne un gouvernement du Parti québécois. Car si nous sommes dans l’opposition, rien de toute cela ne sera possible.