Les rondeurs perdues de Denis Coderre (en rappel)

Avez-vous déjà pris un ascenseur avec Denis Coderre ? Moi, oui. C’est une expérience. L’usage veut qu’en présence d’étrangers dans cette cage fermée, on fasse preuve de réserve. Denis n’avait jamais eu vent de cet usage, ou du moins avait décidé de n’en tenir aucun compte. Pénétrant dans l’ascenseur déjà occupé par plusieurs personnes, il commençait par serrer vigoureusement la main de chacun en les saluant bruyamment, comme s’il venait d’entrer dans son local électoral. (C’était évidemment au temps d’avant, quand on avait encore le droit de se toucher les uns les autres.)

Lorsque des personnes sortaient, il leur disait au revoir comme s’il s’agissait de vieux copains. Lorsque de nouveaux passagers entraient, il les recevait comme s’il était l’hôte jovial, heureux de les accueillir dans sa modeste demeure.

Il était maire, j’étais ministre. La distribution de poignées de main est une façon concrète et habituelle d’entrer en contact avec des citoyens électeurs. J’avais pour ma part pris l’habitude, dans un ascenseur, de dire bonjour. Mais je n’avais pas l’audace de prendre le contrôle du lieu. Le voyant s’exécuter avec une belle assurance, je ne pouvais faire autrement que de serrer à mon tour les mains qu’il venait de bénir de sa présence. Mais j’y ajoutais un sourire complice. Avais-je tort de penser trouver dans les regards furtifs que je partageais avec ces citoyens une reconnaissance commune qu’on assistait à une performance un peu étonnante, dans un endroit clos et avec un public captif ?

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Si Denis Coderre pouvait se permettre ces petits écarts — et être convaincu de leur rendement électoral —, c’est bien sûr parce que sa personnalité s’y prêtait et qu’il y avait, dans sa démarche et dans sa personne, un côté bonhomme invitant et désarmant. Et c’est là où je veux en venir.

Ceci n’est pas une chronique grossophobe. Plutôt l’inverse. C’est une chronique sur les vertus des rondeurs dans la communication politique. Pas seulement politique, d’ailleurs. Grand fan de la chanteuse britannique Adele, puis-je avouer que j’ai été catastrophé d’apprendre qu’elle avait entrepris une cure minceur ? Certes, chacun est libre de son régime. Mais j’aimais Adele tant pour son chant et son charme que pour son physique, et il me semblait que ses formes généreuses se conjuguaient à sa voix enveloppante pour nous entraîner dans ses nostalgies, chagrins et colères contre des hommes qui l’avaient plaquée pour n’avoir pas su, pensais-je, l’apprécier dans sa totalité. Je m’égare, mais à peine. Dans un monde où l’impératif du poids santé est omniprésent, ceux qui y dérogent imposent une originalité qui démarque et qui peut, en certaines circonstances, conférer un avantage.

Il y a des exceptions. Gaétan Barrette a projeté avec constance l’image de l’intimidateur impénitent, quelles qu’aient été les considérables variations de son tour de taille.

Mais j’ai toujours pensé que Denis Coderre accordait avec bonheur son verbe populiste et sa physionomie tout en pare-chocs. L’homme sait être agressif, intransigeant, obtus, bagarreur. C’est aussi le cas d’Obélix. Mais n’est-il pas vrai que la rotondité du livreur de menhir le fait apparaître moins brutal qu’il ne l’est en réalité ? Dans le rétroviseur de l’histoire, au rayon des dictateurs, sachez que Mussolini était aussi assassin que Franco (la campagne italienne d’Éthiopie préfigurait les exactions nazies). Mais la rondeur du dictateur italien nous le faisait paraître plus proche de l’opéra-bouffe que du camp de concentration. On peut de même réellement débattre de la tyrannie comparée d’Hitler et de Mao. Mais le visage joufflu du leader chinois, affiché sur tous les murs du pays, en donnait une image bienveillante. Rien de tel chez le Führer, tout en angles.

Les artisans de la publicité ont bien compris le caractère apaisant d’un enveloppement conséquent de leurs symboles. Dans leur mouture d’origine, les bonshommes Pillsbury et Bibendum (des pneus Michelin) étalaient leur adiposité comme un gage de réconfort et de sécurité. Les scénaristes de Ghostbuster ont d’ailleurs joyeusement misé sur le concept en inventant un bonhomme Pillsbury géant qui, malgré ses airs inoffensifs, ravageait méchamment Manhattan devant des New-Yorkais incrédules. On peut citer encore les rondeurs de Bonhomme Carnaval et du père Noël, synonymes de joie de vivre. Sveltes, ils feraient peur aux enfants.

Le relooking de Denis Coderre est donc un sujet pertinent, lorsqu’il s’agit de juger de la qualité de son retour sur la planète politique. Ce n’est pas, oserais-je dire, une mince affaire. Nouveau look, nouveau narratif de l’homme qui a chuté, qui a réfléchi, qui s’est recomposé et qui mérite donc, dans cette rédemption, une nouvelle chance. Une résurrection politique. Aussi, nouveau livre. Je l’ai lu. Il est costaud, fort de l’expérience accumulée à la mairie et à un réel effort de réflexion sur les sujets municipaux du jour. L’opus donne à son auteur, intellectuellement, de l’épaisseur.

Ce sont des atouts. Puisqu’il ne peut pas être l’homme du changement, il jouera la carte de l’homme changé. Je crains cependant qu’une fois passé l’effet de nouveauté, on finisse par retrouver le même personnage, mais sans ce qui, naguère, lui permettait d’arrondir ses angles.

Il est de plus en plus délicat, pour un homme, de faire campagne contre une femme. Aux dernières élections, le Denis Coderre d’avant pouvait paraître paternaliste. Maintenant qu’il a le profil du boxeur, aura-t-il l’air trop carnassier ?

C’est l’un des périls qui l’attendent. Qu’on juge, en fin de compte, qu’il ne fait pas le poids.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir. en mars 2021)


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