Plus d’une centaine d’internautes ont contribué leurs anecdotes et répondu à ma demande de témoignages pour répondre à la question du billet Is l’unilingue anglais back ? Sommes nous en présence d’une tendance ? D’une nouvelle ethnie d’unilingues anglais venus à Montréal du reste du continent et qui prennent la décision de ne pas apprendre le français ?
La réponse courte: difficile à dire. Les internautes ont versé des dizaines de récits de contacts avec des unilingues. Certains (peu) venus d’ailleurs. Beaucoup, venant de Montréal. Et beaucoup, d’ailleurs et d’ici, qui font au contraire état des efforts d’anglos pour comprendre et parler le français.
Mais la question n’est pas de savoir si la majorité des Anglo-québécois sont bilingues. Ils le sont. La question est de savoir si on trouve aujourd’hui une quantité significative d’Anglo-montréalais, de souche ou d’adoption, qui prennent la décision de rester en marge de la majorité des Québécois.
La récolte d’anecdote atteste que c’est bien le cas.
Dans l’enseignement
Plusieurs témoignages concernent le milieu de l’enseignement, donc un milieu où les professeurs sont, évidemment, scolarisés et conscients de leur environnement.
C’est le cas de cet internaute :
Je travaille dans un milieu montréalais anglophone – étant une division de l’université McGill – et où la majorité de mes collègues ont fait des études graduées. Une de mes collègues, anglophone d’origine mais née à Montréal, qui parle très bien le Français par ailleurs lorsque confrontée à un unilingue francophone, se refuse à entamer la conversation en Français si ce n’est pas strictement requis, et ce avec qui que ce soit, incluant son conjoint franco.
D’ailleurs, lors d’un récent “happy hour” pour reprendre ses termes, où nous avions invité des collègues potentiels venus de l’extérieur de la province pour une entrevue, elle a expliqué en longueur, et bien souriante, comment il était possible de vivre à Montréal pendant des années sans apprendre un traître mot de Français et – le pire selon moi – sans avoir à s’exposer à la culture francophone, musique, arts et cinéma inclus…
Aubert a étudié à Concordia:
J’ai étudié à Concordia à la maîtrise et sur les trois Montréalais d’origine que nous étions, l’un venait du West Island, “born and raise”, mais ne savait pas placer un mot de français! Pourquoi lui ai-je demandé? Mais c’est qu’on parle qu’anglais dans son coin de l’île, pourquoi se fatiguer à apprendre le français?
Toutefois, à l’époque, il n’arrivait pas à trouver mieux comme emploi qu’emballeur dans une épicerie car il ne parlait pas français.
Un internaute, travaillant dans un Cégep anglophone du Québec, écrit ce qui suit:
L’autre jour un collègue de bureau, dans la 30aine et qui ne m’a jamais adressé un mot en français en 2 ans, me lance « I will never understand Quebec politics ». Ben c’est sûr, il parle à peine français malgré le fait d’être né au Québec et d’y avoir passé rien de moins que toute sa vie.
Et quand il lance sur le ton de l’évidence que la politique québécoise est incompréhensible, il veut dire que nous sommes une bande d’irrationnels. Est-ce que c’est normal? […]
Une autre collègue, arrivée au Québec depuis 25 ans, refuse d’apprendre le français et vit dans le West-Island. Elle confie un jour à une collègue, qui me le raconte par la suite, qu’elle n’aime pas aller à l’est de St-Laurent parce qu’elle se sent mal vue parfois de ne pas parler français.
L’internaute Raman, qui enseigne le français dans une école secondaire bilingue de Montréal, ajoute ce témoignage:
dans une école bilingue du centre-ville — je répète, une école bilingue —, certains profs ne parlent pas un mot de français. Un jour, le fils d’une d’entre elles, élève à cette école, remit une composition pour sa classe de français, dont le thème était : « Pourquoi apprendre le français est inutile ».
[…] beaucoup sont convaincus qu’ils n’en ont simplement pas besoin, et que l’anglais est en voie de devenir la seule langue sur la planète. (J’écoutais deux de mes élèves se dire exactement ça dans le couloir de l’école, il y a 2 semaines.)
Des quartiers où on trouve les unilingues:
Le Mile-End n’est pas le seul endroit où on signale la présence d’unilingues invétérés.
Plusieurs internautes se plaignent de l’augmentation de l’usage de l’anglais dans les services, notamment dans l’ouest de l’île et au centre-ville. Un témoignage intéressant vient d’un internaute anglophone qui parle français, Victor:
Pour l’anecdote, au niveau du service, il m’est arrivé souvent de croiser des employés qui ne disent même pas “merci”, et certains qui laissent savoir qu’ils n’essaieront même pas.
Mais récemment, ce qui m’a le plus heurté est lorsque je commandais à un restaurant auquel je ne ferai pas de promotion, et que l’employé m’a dit que je n’avais pas besoin de parler français avec lui, qu’il vivait depuis longtemps à Montréal et que le français était inutile et que c’était stupide de l’apprendre, que ça ne servait à rien. Il a en tout cas perdu un client.
Gregor, arrivé à Laval en 1980, note entre autres que « si vous allez au Centre d’achat, Carrefour Laval, vous constaterez une anglicisation fulgurante ».
Daniel Roy vit dans l’Ouest de l’île et perçoit une aggravation de la situation:
L’intransigeance anglaise a toujours été dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal. Que cela soit un entraîneur de football refusant ou étant incapable d’enseigner le football en français à une groupe de jeune comprenant des Français et des allophones allant à l’école française, ou que cela soit des commerçants qui refusent, qui ne savent pas ou qui attendent trois ou quatre échanges pour passer au français. Je remarque cependant une recrudescence depuis 5 ans. Vivre à Montréal ou dans ses banlieues est devenu intolérable.
Il y a des contre-exemples, comme ceux apportés par une commerçante, Denise Groulx:
Dans mon cas, je note une grosse amélioration parmi ma clientèle depuis une quinzaine d’années. Les anglos qui sont encore incapables de faire une phrase au complet en français sont en général des octogénaires. Les jeunes de 25 à 50 ans parlent soit un français passable ou sont parfaitement bilingues.
Par contre, je constate malheureusement que trop de mes compatriotes francophones discutent en anglais avec des anglos ou des canadiens d’autres ethnies alors même qu’ils sont tous parfaitement bilingues (français – anglais) sans compter la langue d’origine (portugais, créole etc).
Il y a aussi la nouvelle mode chez les jeunes francophones qui semblent s’amuser et se trouver cool de parler anglais alors qu’ils sont tous francophones!
Pour le moment des anglos endurcis comme vous le mentionnez dans votre article, je n’en ai pas côtoyé depuis longtemps.
Mais Bertrand raconte ce qui suit, et qui est arrivé dans Ahuntsic:
Été 2010, je veux faire évaluer mon duplex par un agent immobilier. À trois maisons de chez moi (Ahuntsic, Montréal), un autre duplex est à vendre par ReMax. J’appelle cet agent : il ne parle pas un mot de français, pas même «bonjour». Incrédule?
Quand j’ai finalement mis ma maison en vente, j’ai tenu des statistiques des visiteurs. 20 visites: 10 francophones, 10 anglophones dont 2 autres agents (que celui de remax) ne parlant pas français, zéro mot.
Quand comme vendeur, vous pouvez vous permettre de séduire sans français à Ahuntsic, vous pouvez vous le permettre sur toute l’île…
Et voici un témoignage de Mathieu, du Mile-End:
J’ai travaillé le temps d’un été entre mes deux sessions à l’université pour une épicerie à rabais qui fournit les dépanneurs et les restaurants dans le Plateau et le Mile-End. La très grande majorité des gens qui n’avaient pas le français comme langue maternelle m’abordaient en anglais et une bonne proportion d’entre eux ne comprenait rien au français. Ce sont des commerçants qui résident dans le quartier. Les francophones, nous sommes traités comme des hystériques par les commerçants qui ne sont pas capables de dire 2$25 en français.
Le phénomène se retrouve même dans la très francophone vieille capitale, comme l’explique Michel Monette:
J’ai récemment sollicité deux entrevues pour une émission que j’anime sur les ondes de CKRL 89,1. J’y fait le tour de la blogosphère de Québec et ses environs. Les personnes que j’ai contactées tiennent chacune un blogue ici à Québec, où elles vivent depuis plusieurs années. Devinez quoi? Dans les deux cas elles m’ont avoué ne pas parler français.
Plusieurs anglophones [et pas seulement à Montréal] vivent au Québec comme si nous étions une minorité. S’ils devaient utiliser le français pour survivre (acheter leur nourriture, vêtements, à la banque, etc.) ils l’apprendraient rapidement. Guess what?
Rick apporte un point de vue en contrepoint:
J`ai habité Kingston Ontario environ huit années et j`ai connu des francophones qui refusaient d`apprendre l`anglais. C`est quoi votre point au juste ?
Érick Desbois offre ce témoignage venant de Vancouver:
Vivant à Vancouver, depuis quelque années on m’approche de façon anecdotique, par des connaissances anglophone qui m’exprime leur grand désir de visiter plus que jamais cette superbe ville qu’est Montréal. Mais ce qui plus fréquemment finit la conversation avec moi est leur désir d’absolument visiter non pas la ville et la majorité de ses habitants, mais de visiter ce “merveilleux” petit quartier “branché” où tu n’a pas à parler français et où “Arcade Fire” demeure ou demeurait?????
L’impact des unilingues au travail
Les exemples de cadres supérieurs de la Banque nationale et de la Caisse de dépôt dont la présence entraîne l’imposition de l’anglais comme langue d’échange n’est pas unique. Voici ce que rapporte J.C. Vigil:
Mon fils travaille dans une entreprise de jeu video à Montréal. Il me racontait qu’un de ses collègues arrivé d’Écosse au Québec depuis deux ans refuse d’apprendre le français sous prétexte que c’est trop difficile. Les réunions où il est présent se passent donc en anglais pour accommoder.
D’ailleurs les réunions se passent généralement en anglais dans cette entreprise. Même si par exemple quatorze francophones sont présents, il suffit qu’une personne qu’elle soit anglaise chinoise ou hongroise etc…ne parle pas français pour que la réunion se déroule en anglais.
Raman ajoute plusieurs éléments:
Depuis mes premiers boulots en manufacture et ensuite comme émondeur, jusqu’à un autre plus récent sur un chantier de SNC, en passant par des fêtes avec des copains de mon coloc, étudiant à Concordia. Tous ces cas où la présence d’un seul, ou de quelques unilingues anglos, faisait en sorte que la majorité de francos devaient passer à l’anglais.
Et dans les cas où les francos retournaient spontanément au français, on entendait soudainement : « Sorry, would you mind speaking English ? I can’t understand anymore ! »
Sur le chantier de SNC, il s’agissait d’un seul ingénieur, sur 12, « born and raised in Westmount », qui faisait en sorte que toutes les réunions avaient lieu en anglais… Et je me rappelle particulièrement d’une fête, où une seule fille, à Montréal depuis 12 ans, insistait pour que tout le monde parle anglais puisqu’elle y était; au grand dam de ma copine, qui ne comprenait que très peu cette langue !!!
Pierre parle d’une situation un peu… brumeuse:
Le bain de vapeur des hommes, au YMCA du Parc, en plein coeur du Mile End, est un laboratoire à suggérer aux anthropologues en herbe.
C’est un lieu propice aux confidences plus ou moins intimistes entre copains ou citoyens du quartier. On y parle le grec, le chinois, l’espagnol, l’arabe et bien sûr l’anglais. Mais pas le français… Enfin, sauf quand des Français de France s’y trouvent réunis! Parce que les Québécois de souche adoptent systématiquement l’anglais. Il y a deux semaines, j’ai même vu un compatriote de souche demander à deux Français… de se taire!
Les francophones: grands responsables de la situation ?
L’attitude des francophones eux-mêmes est évoqué par plusieurs internautes, dont Petite Patriote:
le véritable problème, qui est celui de la place grandissante que les francophones ACCORDENT de plein gré à l’anglais, au quotidien, et ce au mépris du statut précaire du français à Montréal.
Je travaille dans un commerce où se côtoient anglos et francos, les anglos maîtrisant le français et aimant le parler. Que se passe-t-il? Les employés francophones initient les conversations en anglais avec les employés anglophones, soit disant parce qu’ils aiment parler anglais et veulent améliorer leur maîtrise de cette langue. Résultat: on entend de l’anglais dans le commerce, toute la journée. Et si on s’oppose à cette situation, on se fait naturellement traiter d’intolérant. Le problème est dans cette schizophrénie, et son ampleur est assez effarante.
L’internaute de Québec Petite Cosmonaute raconte pour sa part:
De mon côté, je réside à Québec, mais je vous fait tout de même état d’une situation qui n’en est que plus troublante compte tenu du fait que ma ville soit turbo-majoritairement francophone.
Je travaillais l’an passé dans un établissement hôtelier dont je tairai le nom, et l’un de mes collègues de travail de 34 ans qui vivait au Québec depuis plus de dix ans et qui avait une conjointe francophone (… vous devinez la suite) ne parlait pas français.
Personnellement, j’y vois un manque de curiosité intellectuelle et ce genre de comportement m’irrite, mais soit. Le vrai problème, si vous voulez mon avis, c’était que dès que Monsieur était dans les parages, TOUS LES EMPLOYÉS se mettaient à parler anglais (avec lui et entre eux s’il souhaitait participer à la conversation). Bien que cela n’excuserait pas la chose, il importe de mentionner que l’anglophone en question n’était ni le supérieur, ni l’égal de ces autres employés d’un point de vue hiérarchique; il occupait un poste similaire au mien alors que je travaillais en tant qu’employée étudiante (alors soyons francs : au plus bas des échelons). […]
Le plus frustrant n’était donc pas l’unilingue lui-même, mais les Québécois qui l’entouraient et la manière qu’ils avaient d’excuser non seulement la paresse intellectuelle dudit anglophone, mais surtout leur à-plat-ventrisme…
Johanne Fortier aborde la question du point de vue des services gouvernementaux:
Voici mon expérience: je suis récemment retraitée mais j’ai travaillé durant plus de 18 ans dans un Service de renseignements gouvernemental et ce, au téléphone. Comme je suis bilingue, je me faisais un plaisir de répondre aux clients anglophones qui me disaient qu’ils ne parlaient pas français… jusqu’à ce que “j’allume” (malheureusement à peine 1 an avant ma retraite).
Je me suis dit que si tant de gens ne parlaient pas français, c’est parce qu’ils le pouvaient (comme dit le Dr. Phil) (because it works for them). Si personne ne leur répondait en anglais…
Donc, lorsqu’on me demandait de répondre en anglais, je répliquais que je ne pouvais pas le faire mais que je pouvais faire le message à quelqu’un qui les rappellerait… Plus de la moitié se mettait à me parler en français, en s’excusant de leur accent ou du fait qu’ils cherchaient leurs mots, mais la plupart du temps de façon très compréhensible.
Peut-être 15% d’entre eux fermait la ligne furieusement ou me traitait de Fucking bitch ou autres mots bien choisis… Conclusion: avec les anglophones, utilisons le “Tough love”! Ils n’en seront que plus fiers d’eux-même par la suite ou ils déménageront à Toronto…
Martin Turgeon finit notre tour d’horizon avec ce mot d’esprit:
Une connaissance à moi, un programme analyste, est né ici de parents immigrants. Père dominicain, mère chinoise. Il a grandi à Pierrefonds. Il ne parle pas français. Ses parents non plus, d’ailleurs. Devant la difficulté de se trouver du travail il y a quelques années, il me dit: “Maybe I should learn a new language”. Il voulait dire programming language, bien sûr. Je lui ai répondu immédiatement: “That’s right, you should learn French”.