Les yeux au beurre noir de Taylor/Bouchard/Charest

bouchard

Ils n’y sont pas allés avec le dos de la main morte, les Québécois, dans le sondage de ce matin de La Presse. (Accommodements: les Québécois disent Non!). 68% croient que le Québec accorde trop d’accommodements, 81% sont contre le fait qu’on puisse, pour des motifs religieux, refuser de se faire servir par une femme fonctionnaire et 90% refusent la ségrégation dans les piscine des écoles.

Ils résument leur sentiment avec un coup direct entre les deux oreilles des commissaires et du premier ministre qui les a nommés: 72% croient que le rapport Bouchard-Taylor n’a rien clarifié. Anecdote: Gérard Bouchard avait choisi le moment de ma comparution devant sa commission, en décembre 2007,  pour tirer pour la première fois publiquement son sentiment. « Peut-être avons-nous eu tort d’ameuter tout le Québec » a-t-il dit, ajoutant que, tout bien considéré, ‘il n’y avait pas de problème réel sur les accommodements, seulement de fausses perceptions qu’il fallait dissiper.  Alors que 70% des Québécois, dont une proportion équivalente de non-francophones, affirmaient le contraire aux sondeurs, cela m’a semblé, disons, un peu osé.

J’ai compris que ce n’était pas un lapsus lorsqu’un membre du groupe d’expert de la Commission m’a ensuite révélé qu’il y eut un moment où Bouchard et Taylor trouvaient que les choses allaient si bien qu’ils n’avaient aucune recommandation à faire.  L’hypothèse fut envisagée, puis écartée, par peur du ridicule.  Résultat:  la Commission a conclu que le Québec avait besoin d’une grande séance de pédagogie sur « l’interculturalisme ». Jean Charest a eu assez d’intelligence pour ne pas s’embarquer dans cette galère qui signifiait une campagne pour dire aux Québécois qu’ils n’étaient pas assez gentils avec le principe des accommodements. Adoptant une posture à-la-Bourassa (l’attentisme), Charest s’est tourné vers le crucifix de l’Assemblée Nationale pour prier le petit Jésus de faire en sorte que le dossier disparaisse de lui-même.

Je sais qu’il est inconvenant, dans un débat, de dire: je vous l’avais bien dit. Je vais donc être inconvenant. Dans mon texte Les malades imaginaires, publié au lendemain de la publication du rapport, j’y allais de cette prédiction:

L’intelligence des commissaires est indiscutable. C’est pourquoi de simples mortels se sont massés devant eux, forçant des prolongations, exprimant de mille manières un appel : imaginez pour nous des façons de réaffirmer les repères dans lesquels nous pourrions nous reconnaître et accueillir les autres. C’est non. MM. Bouchard et Taylor n’ont pas essayé. Ils n’ont pas voulu. […] La déception est à la hauteur des attentes [des Québécois]. L’absence de remède ne fera rien contre la résurgence du malaise, dès le prochain accommodement controversé venu – et il viendra.

Nous y sommes. Non seulement au point de départ, mais à un point où les Québécois se sentent floués par la Commission qui devait les comprendre et les accompagner dans une vraie résolution du problème. Bref, c’est pire.

Photo : Jacques Boissinot / PC

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !